Créer un site internet

Blog

La première exécution capitale en Outaouais

Par Le 12/10/2022

          Pendant une bonne partie du XIXe siècle, l’Outaouais est le Far West du Québec. La violence fait alors partie des mœurs des hommes qui vivent une bonne partie de l’année dans les chantiers à couper du bois ou à faire la drave sur la rivière des Outaouais et ses affluents. Et la loi, celle qui s’applique véritablement, est celle du plus brutal, du plus fort, car il n’y a pas là d’autorités judiciaires avant la fin des années 1840.

La mort du pêcheur

          En 1863, l’Outaouais est devenu plus paisible sans doute à cause de la mise en place d’une autorité judiciaire qui a pignon sur rue dans le petit village d’Aylmer. Les Shiners se sont calmés et les francophones gagnent en masse la région où de nombreux « moulins à scie » transforment en planches les immenses forêts de pins de la région. Le rôle de la prison du district judiciaire ne mentionne d’ailleurs que 36 arrestations pour cette année-là, la plupart pour de menus larcins.

          L’année est à son solstice estival. Plusieurs hommes pêchent dans le ruisseau Brigham – cours d’eau mal nommé, puisque c’est une petite rivière aujourd’hui connue sous le nom de ruisseau (sic) de la Brasserie – qui coule en la ville de Gatineau dans le quartier appelé Île de Hull. Sa source est la rivière des Outaouais, à 50 mètres en amont des chutes des Chaudières. Après avoir parcouru un demi-cercle de 2,5 kilomètres, il se jette dans cette même rivière, à 200 mètres en aval des chutes Rideau.

          À cette époque, il n’y a pas de ville de Gatineau et le ruisseau s’épanche dans un milieu bucolique qu’égaient les piaillements et les ritournelles de plus de 150 espèces d’oiseaux. De grands arbres feuillus se tendent les branches au-dessus des eaux limpides qui sont poissonneuses à souhait, puisque l’on y pratique la pêche commerciale au filet. Toujours est-il que le 20 juin, plusieurs personnes y tâtent qui le brochet qui la truite dans l’espoir d’en faire un bon repas ou d’en tirer de l’argent sonnant. Parmi eux, François-Xavier Séguin dit Ladéroute qui habite généralement au village de la Pointe-Gatineau situé à 3,5 kilomètres du ruisseau.

Âgé de 46 ans en 1863, Ladéroute s’est vu Palais de juctice aylmer 1878amputer d’une jambe 9 ans plus tôt par suite d’un accident. Depuis, son épouse l’a quitté emmenant avec elle les enfants. Il vit du produit de sa pêche et dort le plus souvent à la belle étoile. Ce pauvre bougre a changé et sa raison chancelle. Le 20 juin 1863, William Larocque , un robuste gaillard, navigue dans une chaloupe sur le ruisseau Brigham à environ 300 mètres de la rivière des Outaouais[1]. Plus loin, François-Xavier Larédoute pagaie dans son canot. Les deux hommes s’échangent quelques paroles : « Tu as encore pillé mes filets, mais je te jure que c’est la dernière fois. » Le lendemain, Ladéroute se vante auprès de sa belle-sœur d’avoir réglé le cas de Larocque le matin même. Deux pêcheurs trouvent le corps inerte de Larocque qui semble avoir été tué de cinq coups de rame. L’Outaouais est en émoi, car Larocque laisse dans le deuil une veuve et 9 enfants. Ainsi donc, dix-huit ans après l’affaire Leamy, l’aviron sert encore d’arme de combat.

Ladéroute est prestement arrêté et accusé de meurtre. Son procès commence le 12 juillet au palais de justice d’Aylmer. C’est le juge Aimé Lafontaine, un homme qui ne faisait pas l’unanimité en Outaouais, qui  préside le procès. Ironie de l’histoire, l’un des deux défenseurs de Ladéroute est le fils d’un des plus féroces Shiners : Peter Aylen ! La populace indignée crie vengeance et plusieurs des jurés ont déjà décidé du sort du prévenue : la pendaison. Et un des jurés dort pendant le procès.

Comme prévu, le jury trouve Ladéroute coupable de meurtre et le pauvre hère est condamné à être pendu haut et court le 18 septembre. Mais Ladéroute est-il coupable. Ce n’est pas sûr ; personne n’a tété témoin de l’homicide. Aussi, certains esprits éclairés, dont ses avocats, se demandent : « Comment un estropié dans un petit canot versant a-t-il pu attaquer et tuer un homme fort dans une chaloupe à fond plat ? »                                                                                              

Au mois de septembre, deux médecins, les Drs Douglas et Litchfield d’Ottawa procèdent d’abord à l’évaluation mentale du condamné et concluent qu’il est sain d’esprit, mais ignorant pour ne pas dire idiot. L’exécution est reportée au 2 octobre en dépit de nombreuses pétitions qui réclamaient que la peine capitale soit commuée en prison à vie. Déçu, le curé Ginguet de Pointe-Gatineau déclare alors : « L’exécution de ce pauvre malheureux sera celle d’un imbécile incapable de réaliser la conséquence de ses actions. »

Il est 10 h quand Ladéroute est lentement traîné à la potence, installée du coté ouest du palais de justice, par deux hommes. Comme le pays n’a pas de bourreau, les autorités ont sorti de la prison de Kingston un prisonnier qui a bien voulu exercer momentanément le rôle d’exécuteur des hautes œuvres. Une pluie fine commence à tomber. Ladéroute tremble de tous ses membres et au moment où le bourreau lui passe la corde au cou, il fond en larmes et s’écrie : « Oh ! Monsieur le Curé, je vous en prie, dites-leur donc de me laisser aller ! Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! » Le curé Michel de la paroisse d’Aymer ne peut que lui montrer le ciel en lui disant de prier. Puis à 10h10, le bourreau enfile un bonnet noir sur la tête de Ladéroute et expédie le condamné dans l'au-delà devant une foule nombreuse sous le regard d’un détachement de soldats chargé d’assurer l’ordre.

          Satisfaites, la foule et les autorités judiciaires abandonneront à leur pauvreté l’épouse et les enfants de William Larocque…

SOURCES :

BAC, RG4, C1, Provincial Secretary’s Office Canada East (P.S.O. C.-E.) 1863 « Goal Calendar », vol. 540, 541 et 543, nos 2144, 2147, 2413, 2482.
ROSSIGNOL, L., Histoire documentaire de Hull 1792-1900, Thèse de doctorat en philosophie, juin 1941, Université d’Ottawa.


[1] Vis-à-vis de l’église de la paroisse Notre-Dame-de-l’Île, boulevard Sacré-Cœur.

Andrew Leamy : terreur de l'Outaouais ?

Par Le 02/10/2022

          Le patronyme Leamy, en dépit du lac et du casino, n’a pas toujours été connu sous ses orthographe et prononciation originelles à Gatineau. En effet, les Hullois et Pointe-Gatinois avaient depuis longtemps francisé le nom en Lemay. Ainsi, le lac Leamy, situé dans le secteur Hull de la ville de Gatineau, est-il souvent appelé lac à Lemay ou encore, le lac Lemay. C’est le casino de l’ancienne ville de Hull qui a popularisé de nouveau le toponyme Leamy. Mais au XIXe siècle, le lac Leamy avait pour nom Columbia Pond.

          Le lac tient aujourd’hui son nom d’Andrew Leamy, né à Drom, dans le comté de Tipperary, en Irlande, le 17 avril 1810 comme l'indique un document de la North Tipperary Genealogy Center. Le personnage arrive à Bytown (Ottawa) vers 1826. Selon l'historienne Denise Latrémouille, il devient le bras droit de Peter Aylen (1799-1868), chef des Shiners, groupe de terroristes irlandais qui fait régner la terreur sur la Gatineau et à Bytown en incendiant les commerces et les maisons de ceux qui leur résistent, en brutalisant et tuant même ceux qui s’opposent à eux et essaient de chasser les Canadiens français des chantiers forestiers pour s’approprier les emplois (il n'y avait pas de police permanente à cette époque). Ces comportements font de Leamy un adversaire de Jos Montferrand. 

          En 1835, ce colosse d’Andrew Leamy épouse Erexina Wright, fille de Philemon Wright, fils, et de Sarah Olmstead. Exerina recevra en héritage Andrewleamyde son père une terre située à un jet de pierre du lac Columbia et où le couple semble s’être établi. De ce mariage naîtront 13 enfants ! Mais en 1843, Leamy déclare faillite, une faillite que d’aucuns ont prétendu frauduleuse.

Un dur de dur…

          Le 5 février 1839, Andrew Leamy et quatre de ses hommes de main agressent la famille du pasteur Holmes, son épouse, le pasteur John Sayers Orr et une amie, Margaret Fitz-Gibbon de Bytown, sur le territoire de Wrightstown aussi appelé Village des Chaudières par les francophones. Toujours est-il que Leamy est accusé de tentative de meurtre par le juge de paix Thomas Brigham (Assault & battery with intent to murder) ; le procès d’Andrew Leamy et de ses comparses, qui devait avoir lieu à Montréal, ne se fera… jamais !  Pourquoi ? Sans doute à cause de l'une des deux raisons suivantes : les émeutes qui ont conduit à l'incendie criminel de parlement du Bas-Canada à Montréal en 1840 ou de fortes pressions exercées sur l'appareil judiciaire.

         Le 20 avril 1845, le même Leamy a une altercation, à l'embouchure de la rivière Gatineau, avec un certain Donald McCrae qui s'était apparemment senti floué par la banqueroute de Leamy en 1843, et qu’il tue d’un coup de rame. On tient une enquête à Ottawa, puis un jury l’accuse de meurtre. Le procès a lieu à Montréal en août 1846 et Leamy y est déclaré non coupable faute d’un témoin oculaire. Le procès a-t-il été arrangé ? Peut-être, car dans son rapport le constable Henri Hébert rapporte qu'un aubergiste nommé Pinard aurait affirmé qu'on avait offert à deux témoins la somme de 300 dollars pour qu'ils quittent la région et évitent ainsi de témoigner. Étrangement, le constable n'aura pas été appelé à témoigner au procès. Toutefois, devant la colère de McCrae, Leamy a peut-être agi en légitime défense. Chose certaine, cette affaire est pour le moins nébuleuse. 

          En 1847, des entrepreneurs forestiers de la Gatineau, dont John Egan, Joseph Dumond, Allan Gilmour, Ruggles Wright et la Cie MacKay & MacKinnon, réclament du gouvernement du Canada-Uni la mise en œuvre de travaux à l’embouchure de la Gatineau pour recevoir et trier les billes de bois. L’année suivante le gouvernement entreprend des travaux, dont le creusage d’un premier canal entre le lac Columbia et la rivière Gatineau.

          En 1851, Leamy obtient de son richissime beau-père, Nicolas Sparks, second mari de Sarah Olmstead, la Gatineau Farm qui comprenait le lac Columbia. A-t-il loué ou acheté la ferme ? En tout cas, selon Albert LeBeau, sa succession aurait été incapable de prouver qu’il en était le légitime propriétaire[1]. Philemon Hull Wright (1828-1906) affirmera, le 16 juin 1874 dans l'Ottawa Daily Citizen, qu’il est l’héritier légal de la Gatineau Farm, mais ne réussira pas à le démontrer. En 1853, Leamy profite des travaux de canalisation pour ériger une scierie à vapeur sur la rive sud dudit lac. Le moulin Leamy, qui a été la seconde scierie à vapeur dans la région – une des deux seules n’ayant jamais fonctionné – sera plus tard détruite par l'explosion de l’une des deux chaudières à vapeur.

Retour du balancier ?

          Bien que violent, Leamy aurait été un fervent catholique et a travaillé de concert avec le Père Reboul, qui ne le tenait vraisembablement pas pour un assassin, afin de réaliser l'émancipation du système scolaire dans le canton de Hull, ce qui aura pour résultat la création de la Commission scolaire indépendante en 1866, dont il sera élu le premier président. Mais Leamy sera rattrapé par son passé, car la violence finit toujours par engendrer la violence.

          Le soir du 21 avril 1868, alors qu’il marche sur le chemin qui mène à son domicile (près du bd Saint-Joseph), Leamy aurait été attaqué par deux hommes qui auraient maquillé leur crime en accident. En dépit d’une enquête, le crime reste longtemps un mystère. Ce n’est que dix ans plus tard que l’on arrêtera les présumés meurtriers : un certain Henry Maxwell, ancien employé de Leamy, et son beau-frère qui réfutent l’accusation. On ne sait ce qui est advenu de Maxwell et de son complice. Curieusement, Peter Aylen serait décédé la même année que Leamy, soit en octobre 1868.

Leamy a été inhumé au cimetière Notre-Dame à Gatineau, secteur Hull, et sa tombe fait face au lac qui porte son nom.

SOURCES :

BAnQ-CAM, dossiers le la Cour du banc du Roi/de la Reine (TL19, S1, SS11) ; dossiers judiciaires 07H-P79-13.
Bytown Gazette and Ottawa Advertiser, Ottawa, 24 avril 1845, no 42, pages 12 et 13.
Dictionnaire biographique du Canada, volume IX (1861-1870).

Historical Society of Ottawa, La guerre des Shiners, site Internet La guerre des Shiners - Société historique d’Ottawa (historicalsocietyottawa.ca)
LATRÉMOUILLE, Denise, D'or et d'azur, de sueur et de labeur, Hull, 2000.

LEBEAU, Albert, Andrew Leamy (1810 – 1868) : quelques dossiers criminels, publication privée, 29 septembre 2022.
North Tipperary Genealogy Center, extrait de naissance, copyright 2015.

Ottawa Free Press (Ottawa), 15 février 1878.
The New York Times (New York), 19 août 1878.


[1] Voir cause de P. Wright : Chevrier c. La Reine, Cour suprême du Canada 3 mars 1879. L'appel sera rejeté.

Évasion à la prison de Bryson

Par Le 20/09/2022

       Bryson est un village du comté de Pontiac situé en face de l’Île-du-Grand-Calumet et qui, en 1909, était le siège du district judiciaire du comté. À ce titre, la municipalité comptait un palais de justice et une prison construits en 1895 par l’entrepreneur hullois Joseph Bourque.

       Le 31 août 1909, les autorités judiciaires y incarcéraient un certain Georges Guénette que l’on condamnera à quatre mois de prison avec travaux forcés le 9 septembre de la même année pour avoir commis un vol. Mais voilà, Guénette n’a pas l’intention de moisir longtemps en cellule aux frais du roi Édouard VII. En effet, ses vieux parents sont désargentés et ont besoin de sous, d’autant plus que le paternel est invalide. La prison ne compte alors que deux prisonniers, dont Guénette et un certain Thomas Newton écroué depuis le 12 juillet 1909 et condamné à trois mois de prison pour avoir obtenu de l’argent sous de mauvais prétextes.

       Depuis 16 ans, le geôlier Charles Delphis Blondin, 69 ans, gouverne la prison dont son épouse est la matrone. Le tourne-clef est William Bolam, 66 ans. La prison n’est pas totalement entourée d’un mur, qui est par ailleurs facile à franchir, et des fenêtres du bâtiment donnent sur l’extérieur du centre de détention alors que les portes des cellules sont verrouillées par un simple cadenas.

       Vers le 14 ou le 15 septembre, Guénette entre en communication, par la fenêtre de sa cellule, avec deux loustics. Il discute avec eux pendant au moins 45 minutes et leur montre un calendrier sur lequel il a souligné la date du 17. Cette date est bien choisie, parce que le geôlier est en congé du 11 au 18 septembre.

L’évasion

       Il est 18 heures, le 17 septembre, quand le tourne-clef sert le souper à ses prisonniers dans la salle de séjour de la prison, puis il quitte le bâtiment pour aller manger chez lui. De retour une demi-heure plus tard, il dessert la table des prisonniers auxquels il remet une lampe, puis va s’installer au bureau du shérif,07h p19s2d10p02 1 situé dans le même bâtiment.

       Pendant ce temps-là, le prisonnier Newton s’assoit dans le corridor des cellules pour y lire pendant que Guénette reste dans la salle de séjour pour y faire ses prières du soir comme à l’habitude. Mais ce soir-là, il prend plus de temps qu’à l’accoutumée. Aussi, Newton s’en inquiète-t-il, car il est déjà 19 heures 30, c’est-à-dire le temps de réintégrer les cellules. Il va donc aller voir ce que son compère brette. Il se rend compte que ce dernier n’est plus dans la salle et constate que les portes, habituellement cadenassées, sont ouvertes. Il se rend dans la cour où il n’y a pas âme qui vive. Il appelle d’un cri le tourne-clef qui vient tout juste de faire son entrée dans le bloc cellulaire pour y confiner les prisonniers.

       Averti de la fuite de Georges Guénette, le shérif adjoint, Cornelius McNally, alerte son père, le shérif Simon McNally, 81 ans, vers 22 heures. Le shérif adjoint se met de suite à la recherche du prisonnier en cavale et se rend à Campbell’s Bay où il croit que Guénette y prendra le train le lendemain matin. Quant au shérif, qui vit au village de l’Île-du-Grand-Calumet, il se rend à Bryson dès le lendemain pour y connaître les détails de l’évasion. Il se rend ensuite à Fort-Coulonge, lieu de rassemblement des hommes de chantier qui se préparent à partir en forêt ou cherchent à se faire embaucher, et alerte les autorités des différents villages des alentours, sans succès

       Le 30 septembre, l’inspecteur M. D. Woods lance une enquête sur l’évasion de Georges Guénette. On y apprend que la prison de Bryson a été mal conçue, que l’un des cadenas de la porte nord-ouest de la prison nécessite d’être verrouillé à double tour sinon, il est facilement ouvrable par un prisonnier qui passerait sa main à travers les barreaux de ladite porte. Qu’en grimpant sur les tambours des portes, un prisonnier peut facilement franchir le mur de l’enceinte de la prison ; que les prisonniers n’ont pas d’uniforme ; que le geôlier prenait en pitié Georges Guénette et que le tourne-clef n’avait pas vérifié que les portes donnant sur la cour avaient été verrouillées, etc.

       Le 21 octobre suivant, Georges Guénette est arrêté à Sudbury (Ontario), et le 26 du même mois, il est condamné à 2 ans de prison à passer au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul après avoir purgé les 4 mois auxquels il avait été précédemment condamné. Nous ne savons pas non plus ce qu’il est advenu du prisonnier par la suite.

Sources :

BAnQ TP9, S23 et TL198, S1 dossier 456, Georges Guénette, 1909. ANQ Gatineau, fonds Cour du Banc du Roi et fonds Cour de magistrat pour le district de Pontiac (Bryson).

L’auteur tient à souligner qu’il a pris connaissance de cette histoire grâce à la collaboration de Jacinthe Duval, archiviste-coordonnatrice aux Archives nationales du Québec à Gatineau.

Les frères Aubry ou chronique de scandales locaux

Par Le 09/09/2022

           La société est faite d'êtres humains dont la vanité et les ambitions, qui forment une jolie paire, ne sont guère différentes de celles que l'on observe partout où argent et pouvoir sont les seules choses qui comptent. Ainsi, n’y a-t-il rien de neuf sous le soleil. Pour preuve, l'histoire suivante : Les frères Aubry ou chronique de scandales locaux.

          Stanislas Aubry a vu le jour à Saint-Scholastique, aujourd’hui Mirabel, dans les Basses-Laurentides le 29 juillet 1860. D'un bouillant caractère, un rien le faisait sortir de ses gonds. Son comportement fantasque révélait, sans doute, une vieille blessure enfouie dans son inconscient, vraisemblablement celle causée par les circonstances de sa naissance. En effet, né en dehors des liens du mariage alors que sa mère était veuve depuis près de huit ans – un véritable déshonneur au siècle dernier –, il avait été baptisé à l'âge de neuf jours, soit la journée même des noces de ses parents. Pour quelqu'un qui voulait faire sa marque dans la vie, les circonstances de son arrivée en ce bas monde constituaient une tache... originelle.

     Médecin, Stanislas Aubry était un personnage fort imbu de lui-même ; il croyait vraisemblablement que son entourage était né pour le servir sinon pour faire ses quatre volontés. Une maison imposante, qu'il a fait construire en 1908 à l'angle de la promenade du Portage et de la rue Aubry, décrit bien la personnalité du médecin : elle a la particularité d'avoir deux façades apparemment identiques, mais qui se différencient par l'inversion de ses éléments architecturaux…

Scandale à l'église

          Ses défauts lui vaudront un étonnant scandale… familial qui fera le tour de la région. Stanislas Aubry et son frère cadet Georges avaient apparemment appris, peu de temps avant le mariage de leur jeune soeur Marie-Louise avec le photographe François-Xavier Filteau, que leur frangine était enceinte. Stanislas avait-il eu l'esprit obnubilé par la grossesse de sa soeur qui lui rappelait sa propre naissance ? La suite des événements Stanislas Aubryle laisse croire. Furieux, il avait résolu d'empêcher, avec l'aide de son frère, la célébration de ce mariage sans égard pour les sentiments des futurs mariés. Le jour de la cérémonie nuptiale, c'est-à-dire le 31 mai 1885, les frères Aubry mettaient à exécution leur plan, un beau scandale qui alimenta les conversations de la population hulloise pendant tout l'été. Le mariage avait lieu au presbytère de l'église Notre-Dame-de-Grâce, comme c'était généralement le cas quand on voulait éviter toute publicité. Au cours de la cérémonie, Stanislas s'était dirigé vers sa soeur qu'il avait d'abord frappée et à qui il avait ensuite arraché son chapeau devant une assistance ahurie. Puis, les deux frères s'étaient permis de bousculer vivement plusieurs personnes dans l'assistance. (Ci-contre, Stanislas Aubry)

              Le soir des noces, les frères Aubry étaient mis en état d'arrestation et le mercredi suivant, ils comparaissaient devant la cour de police. Les accusations étaient précises : avoir voulu empêcher la célébration d'un mariage et avoir frappé les personnes présentes à la célébration. L'avocat des deux frangins avait demandé que l'accusation soit limitée à une simple accusation de voie de fait, ce dont la cour n'avait pas tenu compte. Après avoir entendu plusieurs personnes qui avaient été témoins de la rixe, la cour de police condamnait les frères Aubry à subir un procès aux assises criminelles à Aylmer, là où le Palais de justice du district judiciaire était situé à cette époque.

          On ne sait pas si les frères Aubry ont été condamnés, car la plupart des documents d'époque sur cette affaire manquent. Mais, il a fort à parier que l’affaire s’est réglée hors cours.

Un politicailleux

          Trois ans après ce scandale, Stanislas Aubry, habile blablateur d'estrades, s'est lancé en politique municipale ; il sera élu conseiller municipal de Hull de 1888 à 1893 et maire de la ville en 1894. Il est le premier maire élu par le vote populaire – auparavant, le maire était élu par les échevins. Mais en 1895, il est déchu de ses droits civiques pour la vie et condamné à une imposante amende de 2 000 dollars pour avoir exigé des pots-de-vin d’entrepreneurs pour régler des factures. Il récupéra ses droits civiques quatre ans plus tard grâce à une étonnante loi passée au parlement à Québec.

          Aubry n’aura pas perdu le de sa prépondérance sociale : en 1905, il pose de nouveau sa candidature à la mairie de Hull. Et comme le peuple a la mémoire courte, Stanislas Aubry sera… réélu et restera au conseil jusqu’en 1907. Deux ans plus tard, il proposera le change de nom de la ville de Hull pour celui d’Ottawa-Nord ! Stanislas est décédé en 1936 à l’âge de 76 ans.

          Soulignons que magnifiquement restaurée, la maison Aubry a mérité à son propriétaire le prix d’excellence de la rénovation de la Ville de Hull en 1998.

SOURCES

Centre régional d'archives de l'Outaouais.
Encyclopedic Canada, vol. 5, The Bradley-Garretson Company Ltd, Toronto;1896.
Guitard, Michelle, Historique des bâtiments au coeur de Hull, Ville de Hull, 1990.
Le Spectateur, Hull, 12 janvier 1899.
La Vallée de l'Ottawa, 3 juin 1885, Hull.
Procès-verbal du 23 décembre 1885 du Conseil municipal de Hull.

Un amour fou, fou, fou !

Par Le 17/08/2022

      Qu’est-ce qu’un homme ne ferait pas pour épouser la femme de ses rêves ? Jean-Guy Lacroix, âgé de 19 ans, est amoureux fou d’une certaine Jacqueline N., âgée de 17 ans, qui lui rend bien son amour. Chaque jour, les deux tourtereaux trouvent le moyen de se rencontrer dans un endroit discret pour parler avec tendresse de leur bel amour et rêver doucement à leurs projets. Ils nourrissent l’ambition de se marier afin de vivre continuellement l’un près de l’autre.

      Il y a un obstacle à l'amour des tourtereaux : les parents de Jacqueline. Mais Jean-Guy est un homme déterminé et ne se décourage pas pour autant. Doué d’une imagination féconde, il ébauche dans son esprit un plan d’attaque qui l’obligera à exécuter des prouesses.

      Jean-Guy est un talentueux jeune homme débrouillard et plein d’idéaux. Il a obtenu des rôles dans de petites pièces de théâtre et  fait alors ses débuts à la radio, ce qui lui fait espérer de jouer un jour à la télévision. Peu de temps avant cette affaire, il s’est même rendu à Paris pour tenter fortune dans le monde artistique. Mais après un mois de vaines tentatives, il a dû rentrer chez lui.

      Au mois d’août 1954, il conçoit l’idée de tourner un court métrage pour la télé. Sa partenaire sera, il va sans dire, son amie Jacqueline qui possède une certaine expérience de la scène pour avoir joué avec Jean-Guy auparavant. Avec l’aide de deux camarades, Jean-Guy commence les prises de vue. L’intrigue tourne autour d’une jeune fille qui épouse un jeune homme sans le consentement de ses parents. À la fin de janvier 1955, tout est prêt pour la grande scène.

      Jean-Guy, qui habite à Hull, va rencontrer le curé de la paroisse Saint-François-de-Sales à Pointe-Gatineau, Antoine Lalonde, à qui il demande la permission de tourner la scène du mariage dans son église. Le curé n’y voit aucune objection et consent même à officier à la cérémonie. Flanqués du bedeau, qui sert de père au jeune homme, et de l’un des cameramen, André Croteau, qui sert de père à la jeune fille, les jeunes gens voient leur idylle scellée au pied de l’autel.

Une cérémonie bidon

      Ce n'était évidemment pas un vrai mariage. Le curé avait d'ailleurs pris soin de le souligner aux « époux ». Mais Jean-Guy voit dans ce petit bout de film une occasion merveilleuse de forcer la main des parents de Jacqueline. Aussi, muni d’un faux certificat de mariage, obtenu aux fins de l’histoire filmée, il se rend chez les parents de son amie et déclare à la mère que lui et sa fille sont bel et bien mariés, et que sa fille est même… enceinte !St frs de sales pte gatineau

      La mère n’a pas dû être trop contente. Mais, elle constate qu’elle ne peut plus résister à ce mariage et consent à ce que Jacqueline range tous ses effets personnels dans une valise et accompagne son « mari » à sa nouvelle demeure.

      Quand le père de Jacqueline apprend, de la bouche de sa femme, que sa fille est désormais mariée et, qui plus est, sans son consentement, il se dirige immédiatement chez les Lacroix et en ramène sa fille manu militari. Mais Jean-Guy a d’autres tours dans son sac. Et toujours aux fins du fameux film, il tourne une scène dans laquelle un avocat persuade la vedette féminine qu’elle est réellement mariée au jeune homme.

      Mais en allant reconduire la jeune fille chez lui, un certain Marcel Lévesque – il avait joué le rôle de l’avocat –, déclare tout bonnement à Jacqueline qu’il n’est pas du tout avocat et que les conseils qu'il lui a donnés venaient du scénario qu'on lui avait remis. Quelques jours plus tard, un « policier » aborde Jacqueline sur la rue et lui ordonne de le suivre chez son « mari ». Le hasard veut que le père de la jeune fille soit témoin de la scène et invite promptement le « policier » à lâcher sa fille.

      Quelques jours plus tard, un « huissier » se présente chez Jacqueline et lui remet un ordre de la cour, signé par un « juge » avec sceau du palais de justice, l’enjoignant à retourner auprès de son « mari » sous peine de poursuite judiciaire. Le père de Jacqueline entre de nouveau en scène : il remet le document à la police de Hull. Une enquête s’ensuit et des accusations sont portées contre Jean-Guy Lacroix dont l’enquête préliminaire se tient le 29 juin 1955 derrière des portes closes. Que s’y dit-il ? Je ne le sais pas. Mais le juge, Jacques Boucher, a rejeté la plainte et Jean-Guy a été libéré. Qu'est-il advenu du couple ? Je ne le sais pas. Mais peut-être qu'une lectrice ou un lecteur le saurait ?...

SOURCES

Allô Police (Montréal) 10 juillet 1955.
Annuaire de la ville de Hull, 1956.
Archives judiciaires, BAnQ-CAO.

L'incorrigible séducteur Louis Giroux

L'incorrigible séducteur Louis Giroux

Par Le 02/08/2022

          Il était une fois un beau grand garçon brun à moustache noire, Louis Giroux, aventurier qui pratiquait l'art de la persuasion avec une surprenante habileté pour subvenir à ses besoins. Il avait l'incurable manie des grandeurs qui l'a fait vivre pendant une trentaine d'années aux crochets de gens trop crédules. Originaire de Montebello, Giroux avait épousé Scholastique Cayer à l'Orignal le 30 juin 1872, à son retour des États-Unis où il avait participé, comme soldat, à la guerre de Sécession (1861-1865). Intelligent comme un singe et roublard comme un diplomate, Giroux était aussi beau parleur et petit faiseur. Doué d'un sens de la réplique hors du commun, il n'était jamais à court d'arguments : un véritable orfèvre du mensonge quoi !

          À cette époque, Louis Giroux se faisait appeler Antoine Cyr, et il demeurait chez un certain Legault, à Clapham dans le comté de Pontiac. Il n'avait encore jamais payé sa pension et devait à son logeur la somme de 49 dollars. Or, un certain dimanche, il a voulu fuir sans payer son dû, mais Legault a eu le temps de lui réclamer le paiement de la pension. Indigné, Giroux a répliqué :

Comment, vous osez me demander de l'argent le dimanche ! Me prenez-vous pour un fou ? Je vous connais vous monsieur. Vous voudriez bien vous faire payer aujourd'hui sous prétexte que les affaires conclues le dimanche ne valent rien.

          Et avec un air de mépris, Louis a tourné le dos à son interlocuteur médusé et s'en est allé. Bien entendu, jamais Legault n’a revu la binette de son chambreur.

Un survenant

          Grand voyageur, Giroux connaissait les petites histoires de beaucoup de monde tant en Outaouais que dans l'Est ontarien. Aussi, il avait appris un jour qu'un nommé Lacouture, de Plantagenet, avait quitté sa femme dix-huit ans auparavant pour ne plus revenir. Où était-il passé? Nul ne le savait. Mais Louis Giroux a vu là une occasion en or de remplir sa bourse, mal en point, auprès d'une femme esseulée qui avait réussi, malgré tout, à épargner la rondelette somme de 500 dollars depuis le départ de son mari. Giroux a alors emprunté le patronyme de Lacouture pour ensuite se présenter chez l'épouse esseulée en se jetant dans ses bras et en lui demandant pardon pour tout le mal qui lui avait fait en l'abandonnant. Évidemment, Virginie avait trouvé son mari bien changé en dix-huit ans et elle aurait eu, du moins au premier abord, comme un léger doute sur l'identité du survenant. Mais pour lui prouver qu'il était vraiment son mari, Louis, qui savait que Virginie avait déploré la mort de son petit garçon longtemps auparavant, est allé jusqu'à simuler son regret en se rendant tous les jours pleurer sur la tombe de son prétendu fils. Convaincue – ne demandait-elle d'ailleurs pas mieux ? – par la magistrale performance de Giroux en père repenti et surtout heureuse du retour du mari infidèle, Virginie s'est finalement offerte avec un pudique abandon à l'imposteur.

          Au bout de quelques mois de bonheur parfait dont Giroux gardera un souvenir impérissable, Virginie s'est retrouvée seule à nouveau ; Giroux avait déserté son lit en emportant toutes ses épargnes. L'imposteur n'a cependant pas réussi à se sauver bien loin et la Justice, qui a parfois le bras long, est arrivée à lui mettre la main au collet, même si l'affabulateur de Montebello avait à nouveau changé son nom, cette fois pour celui Joseph Prévost. Enfin, au mois de mai 1894, les autorités le confinaient dans une cellule du pénitencier de Kingston.

Une bonne râclée

          Le séducteur de ces dames n'est pas resté longtemps en prison puisqu’en 1896, il prenait le nom de Jos. Latreille pour sévir à Ottawa, dans le quartier Mechanicsville, chez l'épicier Hyacinthe Latreille, et ce, pour lui annoncer qu'il venait le rencontrerH005 01 0084 xix au nom de plusieurs membres de la famille. Il avait à régler, lui aurait-il dit, la succession du grand-père Latreille, soldat de la guerre de 1812, à qui le gouvernement avait concédé plusieurs terres. Giroux a bien sûr été accueilli à bras ouverts par l'épicier chez qui, pendant une semaine, il a été traité comme un enfant de la maison.

          Hyacinthe Latreille avait plusieurs filles dont l'une, Flavie, était veuve depuis peu. Giroux s'en était amouraché et il avait fini par lui promettre le mariage. Après lui avoir acheté un jonc et lui avoir fait visiter plusieurs maisons de briques à Ottawa, il avait rencontré la parenté ottavienne en sa compagnie. Mais un jour, il a aperçu la jeune veuve, chez elle, en compagnie d'un jeune homme. Fâché, il a élevé la voix pour interdire au jeune homme de parler à Flavie qui devait, du moins dans son esprit, devenir la sienne. Le frère de Flavie, Mérile Latreille, qui avait assisté à la scène de jalousie, a estimé que le cousin était allé trop loin. Armé d'un beau gros morceau de bois franc, il a servi une véritable raclée à Louis Giroux alias Jos. Latreille qui a alors quitté Ottawa sans demander son reste

          En dépit de ses échecs, Louis Giroux a conservé une assurance hors du commun et pendant six autres années, il a accompli des dizaines d'entourloupettes, tant dans la Petite-Nation, à Hull que dans la Haute-Gatineau. Mais en novembre 1902, à Perkins' Mills, il a été mis en état d'arrestation à la suite d'une accusation pour vol portée par le notaire Labelle de Hull. Incarcéré dans la prison de Hull sous le nom de Joseph Prévost, il a fallu prouver l'identité du voleur qui avait nié s'appeler Giroux. Et chaque fois qu'on lui emmenait une personne qui prétendait l'avoir connu, il restait de marbre. On a même fait venir Mélina Latreille, sœur de la jeune veuve que Giroux avait fréquentée, qui l'a reconnu comme étant Jos. Latreille grâce à la cicatrice qui lui était restée à la joue par suite de la raclée que son frère lui avait infligée autrefois. Mais peine perdue, Giroux est resté coi. Enfin, on a fait venir un certain David Ranger qui l'avait bien connu au temps de sa jeunesse. Il a reconnu sans la moindre hésitation Louis Giroux et lui a parlé comme à une ancienne connaissance des souvenirs de chantier en l'appelant par son surnom : Ti-Noir. Mais l'escroc est resté imperturbable. Il lui alors a rappelé des souvenirs de jeunesse. Rien. Silence total. Mais quand Ranger a prononcé les noms de Virginie Lacouture, alors là Giroux a porté son mouchoir à la bouche pour cacher ce sourire qu’il a esquissé comme celui d'un joueur de tours qui se souvient d'une bonne blague.

          Le 17 novembre 1902, Louis Giroux alias Antoine Cyr alias Jos. Latreille alias Joseph Prévost était condamné par le juge Talbot à deux ans de prison à passer au pénitencier Saint-Vincent-de-Paul pour crime de vol. Il est ensuite passé à la trappe de l'histoire.

Sources :

OUIMET, Raymond, Histoires de cœur insolites, Hull, éd. Vents d’Ouest, 1994.

Le Temps, Ottawa, du 3, 4, 5, 6, 8 et 17 novembre 1902.

Photographie des Archives de la Ville de Gatineau, H005--01-0084.

L'hôtel British d'Aylmer

L'hôtel British d'Aylmer

Par Le 07/07/2022

          On trouve, à Gatineau, dans le secteur Aylmer, un vieux bâtiment bien conservé dont l’histoire est généralement méconnue et fréquenté par nombre de Gatinois depuis plus de 180 ans. Il s’agit de l’hôtel British situé au 71, rue Principale, la plus vieille auberge située à l’ouest de Montréal et qui est toujours utilisée à des fins d’hôtellerie.

          On dit que l’hôtel a été construit vers 1834. Chose certaine, il était en activité en 1841 comme l’indique une annonce publiée dans la Bytown Gazette du 17 août 1841. Soulignons que l'odonyme Bytown est l’ancien nom de la ville d’Ottawa.

          L’hôtel a été érigé par Robert Conroy, originaire de l’Irlande du Nord, qui avait épousé, en 1837, Mary McConnell, fille de William, l’un des trois frères McConnell à venir s’installer dans la région de Deschênes au début du XIXe siècle. En épousant une McConnell, Robert Conroy a été, dès le début de son établissement à Aylmer, en contact étroit avec l’élite locale naissante. En 1839, il s’était associé à John Egan, Charles Symmes et Harvey Parker pour bâtir un moulin à farine fonctionnant à la vapeur, l’Aylmer Bakery. Dans les années 1850, Conroy devient l’un des hôteliers (dans ces années-là, il s’était aussi porté acquéreur de l’auberge de Symmes) et négociants en bois les plus prospères de la vallée de l’Outaouais.

Un hôtel incomparable

          Conroy a fait bâtir cet hôtel en pierres avec des murs de 122 centimètres d’épaisseur pour s’assurer que le froid rigoureux canadien n’y pénètre pas l’hiver. On rapporte qu’aucun autre hôtel ne pouvait s’y comparer au Canada à l’époque ; Bytown n’avait alors qu’une simple cabane en bois rond comme hôtel, près du pont des Sapeurs. Robert Conroy a érigé la première partie de cet édifice en pierres pour lui servir de résidence personnelle, mais elle a été rapidement transformée en hôtel. En plus des chambres et des repas qu’offrait l’hôtel British, un service de diligences « confortables » a relié, dès les années 1840, l’auberge au débarcadère (quai) de Hull. On trouvait aussi dans l’écurie de l’hôtel des chevaux et des voitures que les voyageurs pouvaient louer sans réserver à l’avance.British hotel

          Dès sa construction, l’hôtel British a été au centre des activités importantes d’Aylmer. Ainsi, en 1842, on raconte qu’on y a organisé des festivités pour célébrer la naissance du prince de Galles, futur roi Édouard VII de l'empire britannique. En 1860, le prince de Galles, venu poser la première pierre du futur édifice parlementaire à Ottawa, s’est adressé à la population aylmeroise du haut de la véranda du British où il assistera à un bal donné en son honneur.

Une veillée mortuaire

          En 1866, le conseil municipal, qui voulait exprimer son appréciation de façon tangible, a offert un déjeuner gratuit au British Hotel à un régiment de miliciens volontaires qui devaient aller protéger les édifices gouvernementaux nouvellement construits à Ottawa contre d’éventuels raids féniens. C’est alors que qu'un député canadien, Thomas D’Arcy McGee, a été assassiné à Ottawa. Or, si l’on en croit les dires de l'historien Pierre-Louis Lapointe, l’hôtel British aurait été, encore une fois, au centre des événements :

Thomas D’Arcy McGee a été assassiné à Bytown (Ottawa) le 7 avril 1868. Ce même soir, il y avait une veillée Conroy à l’hôtel British American, à Aylmer. On rapporte que, soudainement, quatre hommes ont surgi dans la pièce où avait lieu la veillée [mortuaire], après avoir laissé leurs chevaux épuisés, écumant de la gueule, à l’entrée. C’étaient tous des étrangers, très nerveux, tantôt surveillant la porte, tantôt regardant fréquemment leurs montres, et personne ne pouvait comprendre pourquoi ils étaient à la veillée des Conroy. On raconta plus tard qu’il s’agissait des assassins de Thomas D’Arcy McGee venus établir leur alibi à Aylmer.

          Cette anecdote est d’autant plus intéressante qu’il existe effectivement des doutes sérieux quant à la culpabilité de James Patrick Whelan, pendu le 10 février 1869 pour le meurtre du député.

          Soulignons que le 3 octobre 1895, Mackenzie Bowell (premier ministre du Canada 1894-1896), sir Charles Tupper (son successeur, 1896), sir Adolphe Caron, postier général du Canada, le comte de Westmeath (de l’ambassade britannique à Washington) et le vice-consul général des États-Unis au Canada, Julius G. Lay, étaient de passage à l’hôtel British. De quoi ont-ils parlé ? L’histoire ne le dit pas. Autre anecdote intéressante : le passage remarqué du célèbre homme fort canadien-français, Louis Cyr, à l’hôtel British en 1898.

          Robert Conroy est mort en 1868. Son épouse Mary est restée propriétaire de l‘hôtel. Puis, Mary Conroy s’est éteinte à son tour en 1887, mais l’édifice restera encore quelques années la propriété de la succession Conroy (Robert H. et William J.). Par la suite, l’hôtel British va connaître une série de propriétaires plus ou moins éphémères. Le 10 août 1921, un incendie a ravagé le centre-ville d’Aylmer et détruit la plupart des bâtiments du côté nord de la rue Principale, de la rivière jusqu’au parc municipal. Par chance, la conflagration n'a pas détruit British qui a ouvert ses portes à la collectivité, se transformant en école la semaine, en palais de justice le samedi et en église le dimanche.

          L’hôtel British est un témoignage du passé remarquable qu’a connu l’ancienne ville d’Aylmer. Seul hôtel à l’ouest de Montréal à n’avoir pas dérogé, pendant près de 180 ans, à sa vocation première, il a visiblement été au centre de l’histoire outaouaise.

Sources :

Asticou, nos 48-49, décembre 1996.
BÉGIN, Richard M., De l’auberge Conroy à l’hôtel British, Aylmer, 1993.
Wikipédia.

L'Affaire Richer

L'Affaire Richer

Par Le 26/06/2022

       12 juillet 1897. À l’église presbytérienne d'Ottawa, le pasteur Knowles bénit le mariage de Damien Richer et d'Éliza Côté. Ce mariage devient vite une source de scandale chez les francophones de l'époque non seulement parce que les mariés sont des leurs, mais surtout parce que… catholiques ! Des catholiques qui se mariaient devant un pasteur protestant… c’était de la trahison ! Et le scandale ne s'arrêtait pas là. Mais n’anticipons pas.

       Né le 25 septembre 1865, Damien Richer était le sixième d'une famille de dix enfants qui avaient tous vu le jour à Saint-André-Avellin du mariage de Joseph Richer, cultivateur, tanneur et boulanger, et d’Olive Gagnon, mariage qui avait été célébré à Saint-Jérôme le 26 mai 1851Richer damien.

       Jeune homme, Damien avait voulu être avocat, mais sa mère aurait dit qu’elle aimait mieux le voir tomber raide mort devant elle que de le voir devenir un menteur et un tricheur ! C’est ainsi que Damien est poussé vers la prêtrise par sa mère – à cette époque, toutes les familles s’enorgueillissaient d’avoir un prêtre parmi elles. Ordonné le 19 août 1888 à Saint-André-Avellin, Damien Richer fait un an de vicariat à la paroisse Sainte-Anne d'Ottawa, puis les autorités ecclésiastiques lui confient la cure de la jeune paroisse de Notre-Dame-de-la-Salette, dans la vallée de la Lièvre, de même que les missions voisines de Notre-Dame-de-la-Garde de Val-des-Bois et de Saint-Louis-de-France de Poltimore deux ans plus tard. Enfin, il terminera sa carrière de prêtre à Masson. Quoi qu’il en soit, Damien Richer tombe amoureux de l’une de ses paroissiennes de Poltimore, Éliza Côté, qui partage ses sentiments.

Coup de foudre

       Éliza avait vu le jour le 25 mai 1879 à Hébertville, au Lac-Saint-Jean, et sa famille s’était installée dans la Lièvre attirée par le travail crée par une nouvelle mine de mica. De 14 ans la cadette de Damien, elle était institutrice dans une école de rang à Poltimore. Toujours est-il que pour éloigner Damien Richer des attraits d’Éliza Côté, les autorités diocésaines le nomment curé de Notre-Dame-des-Neiges de Masson en octobre 1896. Mais l’amour est plus fort qu’un archevêque aussi puissant ou saint soit-il. Ainsi, le jour même où il bénit un mariage, Damien se rend à Ottawa et épouse l’objet de son amour.

       La réaction des autorités religieuses, des familles et de la communauté à leur union n’est évidemment pas unanime. Les nouveaux époux sont excommuniés et voués aux flammes de l’enfer. Il leur est même désormais interdit d’entrer dans une église catholique ! Les Richer excluent ce fils indigne de la famille. Seuls deux des frères et une des sœurs de Damien, Amélia, religieuse, gardent contact avec lui. Cet ostracisme fera que lorsque sa mère sera à l’agonie, il refusera de la voir. Toutefois, la belle-famille de Richer, c’est-à-dire les Côté, est plutôt complaisante et continuera à fréquenter assidûment Éliza.

       La collectivité semble avoir été divisée devant la situation du nouveau couple qui, par surcroît, s’était s'installer à Val-Des-Bois, et ce, d’autant plus que les prêtres visiteurs incitaient les fidèles à ignorer la famille Richer. Certains concitoyens valboisiens traitaient même Damien de « faux prêtre ». N’empêche, les enfants Richer fréquenteront l’Église catholique parce que la foi de leurs parents était plus forte que le mépris des autorités religieuses. Grâce à son expérience et à son instruction, Damien est secrétaire municipal et plusieurs de ses concitoyens ont recours à ses bons conseils, notamment en matière juridique. En revanche, son moulin à scie est la proie des flammes à deux reprises. Accidents ou vengeances ? En effet, tout en travaillant pour une compagnie d’exploitation forestière, il exploite localement et en partenariat un moulin à scie sur un bras de la Lièvre.

Richer cote eliza       Damien et Éliza ont eu six enfants – trois filles et trois garçons –, tous nés à Val-des-Bois entre 1898 et 1911, et baptisés dans la religion… catholique ! Il semble bien que les autorités religieuses aient hésité avant d'accueillir les enfants au sein de l'Église catholique. De fait, il faudra l'intervention de l'évêque pour que les enfants soient admis aux fonts baptismaux. Mais les autorités ecclésiastiques sont dures, si dures qu’on refuse à Damien et à son épouse d’assister aux funérailles de leur fille, Marie Damienne, décédée en 1900.

Une Église catholique intransigeante

       En 1911, Éliza, qui est hospitalisée à Ottawa, raconte son histoire à un prêtre dominicain qui offre de les aider, elle et son époux, à régulariser leur situation avec l'Église catholique. À la suite de tractations avec les autorités religieuses, le Vatican accepte de lever l'excommunication des deux époux. Mais à trois conditions : 1) quitter la région parce qu’ils sont une source d'embarras pour les autorités diocésaines et de scandale pour la collectivité ; 2) accepter de vivre comme frère et sœur ; 3) faire bénir leur mariage par un prêtre catholique. Il semble bien que le couple ait accepté les deux premières conditions, mais pas la troisième ce qui, pour Damien, aurait été reconnaître le caractère illégitime de ses enfants.

       En 1918, Damien et son épouse quittent Val-des-Bois pour Timmins, en Ontario, puis, deux ans plus tard, pour la Saskatchewan où leur fille Jeanne a déjà accepté un poste d'enseignante. La famille s'installe sur une ferme à Ditton Park, près de Prince Albert. Malgré le temps et la distance, le passé de la famille Richer les rattrape rapidement. Damien se plaint à l'évêque de Prince Albert du curé de sa paroisse qui lui fait des misères. Mgr Prud'homme décide d'intervenir auprès du prêtre un peu trop bavard. N’empêche, l’une des filles de Damien, appelée Damienne, et qui voulait devenir religieuse, se verra refuser chez les Grey Nuns de Regina parce que de naissance… n’était pas légitime !   Un des fils éprouve des problèmes avec son acte de naissance lorsqu'il veut se marier : on remet en cause sa légitimité.

       Les humiliations subies par les enfants motivent trois d'entre eux à abandonner la religion catholique au grand regret de leurs parents restés malgré tout catholiques. Entre-temps, les parents cèdent leur terre de Ditton Park à un de leurs fils pour s'établir quelques kilomètres plus loin, à Hudson Bay Junction. Damien décède en 1941 et son épouse Éliza s'établit alors chez sa fille Jeanne, à Edmonton, où elle meurt en 1953. Ainsi, l’amour partagé de Damien et Éliza aura été plus fort que la vindicte de l’Église catholique qui, elle, aura perdu des fidèles à la foi plus fortes que celle de la hiérarchie religieuse.

SOURCES :

OLSEN (RICHER), Jeanne-Élise, As I remember them, 2002, Calgary University Press.
Communications de Claire Leblanc et de Pierre Valois.