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Andrew Leamy : terreur de l'Outaouais ?

ouimet-raymond Par Le 02/10/2022

Dans Biographies

          Le patronyme Leamy, en dépit du lac et du casino, n’a pas toujours été connu sous ses orthographe et prononciation originelles à Gatineau. En effet, les Hullois et Pointe-Gatinois avaient depuis longtemps francisé le nom en Lemay. Ainsi, le lac Leamy, situé dans le secteur Hull de la ville de Gatineau, est-il souvent appelé lac à Lemay ou encore, le lac Lemay. C’est le casino de l’ancienne ville de Hull qui a popularisé de nouveau le toponyme Leamy. Mais au XIXe siècle, le lac Leamy avait pour nom Columbia Pond.

          Le lac tient aujourd’hui son nom d’Andrew Leamy, né à Drom, dans le comté de Tipperary, en Irlande, le 17 avril 1810 comme l'indique un document de la North Tipperary Genealogy Center. Le personnage arrive à Bytown (Ottawa) vers 1826. Selon l'historienne Denise Latrémouille, il devient le bras droit de Peter Aylen (1799-1868), chef des Shiners, groupe de terroristes irlandais qui fait régner la terreur sur la Gatineau et à Bytown en incendiant les commerces et les maisons de ceux qui leur résistent, en brutalisant et tuant même ceux qui s’opposent à eux et essaient de chasser les Canadiens français des chantiers forestiers pour s’approprier les emplois (il n'y avait pas de police permanente à cette époque). Ces comportements font de Leamy un adversaire de Jos Montferrand. 

          En 1835, ce colosse d’Andrew Leamy épouse Erexina Wright, fille de Philemon Wright, fils, et de Sarah Olmstead. Exerina recevra en héritage Andrewleamyde son père une terre située à un jet de pierre du lac Columbia et où le couple semble s’être établi. De ce mariage naîtront 13 enfants ! Mais en 1843, Leamy déclare faillite, une faillite que d’aucuns ont prétendu frauduleuse.

Un dur de dur…

          Le 5 février 1839, Andrew Leamy et quatre de ses hommes de main agressent la famille du pasteur Holmes, son épouse, le pasteur John Sayers Orr et une amie, Margaret Fitz-Gibbon de Bytown, sur le territoire de Wrightstown aussi appelé Village des Chaudières par les francophones. Toujours est-il que Leamy est accusé de tentative de meurtre par le juge de paix Thomas Brigham (Assault & battery with intent to murder) ; le procès d’Andrew Leamy et de ses comparses, qui devait avoir lieu à Montréal, ne se fera… jamais !  Pourquoi ? Sans doute à cause de l'une des deux raisons suivantes : les émeutes qui ont conduit à l'incendie criminel de parlement du Bas-Canada à Montréal en 1840 ou de fortes pressions exercées sur l'appareil judiciaire.

         Le 20 avril 1845, le même Leamy a une altercation, à l'embouchure de la rivière Gatineau, avec un certain Donald McCrae qui s'était apparemment senti floué par la banqueroute de Leamy en 1843, et qu’il tue d’un coup de rame. On tient une enquête à Ottawa, puis un jury l’accuse de meurtre. Le procès a lieu à Montréal en août 1846 et Leamy y est déclaré non coupable faute d’un témoin oculaire. Le procès a-t-il été arrangé ? Peut-être, car dans son rapport le constable Henri Hébert rapporte qu'un aubergiste nommé Pinard aurait affirmé qu'on avait offert à deux témoins la somme de 300 dollars pour qu'ils quittent la région et évitent ainsi de témoigner. Étrangement, le constable n'aura pas été appelé à témoigner au procès. Toutefois, devant la colère de McCrae, Leamy a peut-être agi en légitime défense. Chose certaine, cette affaire est pour le moins nébuleuse. 

          En 1847, des entrepreneurs forestiers de la Gatineau, dont John Egan, Joseph Dumond, Allan Gilmour, Ruggles Wright et la Cie MacKay & MacKinnon, réclament du gouvernement du Canada-Uni la mise en œuvre de travaux à l’embouchure de la Gatineau pour recevoir et trier les billes de bois. L’année suivante le gouvernement entreprend des travaux, dont le creusage d’un premier canal entre le lac Columbia et la rivière Gatineau.

          En 1851, Leamy obtient de son richissime beau-père, Nicolas Sparks, second mari de Sarah Olmstead, la Gatineau Farm qui comprenait le lac Columbia. A-t-il loué ou acheté la ferme ? En tout cas, selon Albert LeBeau, sa succession aurait été incapable de prouver qu’il en était le légitime propriétaire[1]. Philemon Hull Wright (1828-1906) affirmera, le 16 juin 1874 dans l'Ottawa Daily Citizen, qu’il est l’héritier légal de la Gatineau Farm, mais ne réussira pas à le démontrer. En 1853, Leamy profite des travaux de canalisation pour ériger une scierie à vapeur sur la rive sud dudit lac. Le moulin Leamy, qui a été la seconde scierie à vapeur dans la région – une des deux seules n’ayant jamais fonctionné – sera plus tard détruite par l'explosion de l’une des deux chaudières à vapeur.

Retour du balancier ?

          Bien que violent, Leamy aurait été un fervent catholique et a travaillé de concert avec le Père Reboul, qui ne le tenait vraisembablement pas pour un assassin, afin de réaliser l'émancipation du système scolaire dans le canton de Hull, ce qui aura pour résultat la création de la Commission scolaire indépendante en 1866, dont il sera élu le premier président. Mais Leamy sera rattrapé par son passé, car la violence finit toujours par engendrer la violence.

          Le soir du 21 avril 1868, alors qu’il marche sur le chemin qui mène à son domicile (près du bd Saint-Joseph), Leamy aurait été attaqué par deux hommes qui auraient maquillé leur crime en accident. En dépit d’une enquête, le crime reste longtemps un mystère. Ce n’est que dix ans plus tard que l’on arrêtera les présumés meurtriers : un certain Henry Maxwell, ancien employé de Leamy, et son beau-frère qui réfutent l’accusation. On ne sait ce qui est advenu de Maxwell et de son complice. Curieusement, Peter Aylen serait décédé la même année que Leamy, soit en octobre 1868.

Leamy a été inhumé au cimetière Notre-Dame à Gatineau, secteur Hull, et sa tombe fait face au lac qui porte son nom.

SOURCES :

BAnQ-CAM, dossiers le la Cour du banc du Roi/de la Reine (TL19, S1, SS11) ; dossiers judiciaires 07H-P79-13.
Bytown Gazette and Ottawa Advertiser, Ottawa, 24 avril 1845, no 42, pages 12 et 13.
Dictionnaire biographique du Canada, volume IX (1861-1870).

Historical Society of Ottawa, La guerre des Shiners, site Internet La guerre des Shiners - Société historique d’Ottawa (historicalsocietyottawa.ca)
LATRÉMOUILLE, Denise, D'or et d'azur, de sueur et de labeur, Hull, 2000.

LEBEAU, Albert, Andrew Leamy (1810 – 1868) : quelques dossiers criminels, publication privée, 29 septembre 2022.
North Tipperary Genealogy Center, extrait de naissance, copyright 2015.

Ottawa Free Press (Ottawa), 15 février 1878.
The New York Times (New York), 19 août 1878.


[1] Voir cause de P. Wright : Chevrier c. La Reine, Cour suprême du Canada 3 mars 1879. L'appel sera rejeté.