Hommage à Éléonore Gaudette, une femme de coeur

ouimet-raymond Par Le 10/09/2021

Dans Biographies

       Connaissez-vous l'île aux Allumettes ? Cette île, la plus grande de la rivière des Outaouais, est située à environ 140 kilomètres à l'ouest de Gatineau, au bout de la route 148. C'est le « père de la Nouvelle-France », Samuel de Champlain, qui en fit le premier la description en 1613, bien que l'île ait été explorée en 1610 par un premier Européen, Étienne Brûlé. La population autochtone de l'île, les Kichesipirinis de la nation algonquine, fut éliminée par les Iroquois dès 1650.

       C'est dans cette île, dont la population comptait alors un tiers de francophones, que naquit Éléonore Gaudette le 16 avril 1889 du mariage de Louis Gaudette et de Philomène Soucie. En 1911, celle que l'on surnommait « Lanore » épousa Isidore Mainville de qui elle aura treize enfants.Gaudette Éléonore

       Le couple Gaudette-Mainville vivait dans la maison de Zoé Chaput, mère d'Isidore Mainville, située dans le rang du Piquefort (4e rang). Chaque année, Éléonore voyait son mari partir dès l'automne pour les chantiers forestiers de l'Outaouais ou encore ceux du nord de l'Ontario. En février 1932, Éléonore avait dix enfants vivants, dont un âgé d'à peine cinq mois. Isidore travaillait, à ce moment-là, dans les chantiers de Gogama (Ontario) comme charretier.

       Le 8 février 1932, la famille Mainville apprit, par télégramme, la mort subite de l'un des siens dans les chantiers de Gogama : Édouard, 35 ans. Veuf, celui-ci avait quatre enfants placés dans deux familles différentes. Chagrinés, les enfants furent réunis chez une tante où le corps d'Édouard devait être exposé avant les funérailles qui seraient célébrées dans l'église paroissiale au village de Chapeau. Une des enfants, Rita, partie de Hull, a raconté qu'elle et ses parents nourriciers avaient pris train pour se rendre à Pembroke, Ontario, où un taxi les avait attendus pour les conduire à l'île aux Allumettes en traversant la rivière des Outaouais sur un pont de glace. Le jour avait déjà fait place à la nuit qui arrive tôt à cette époque de l'année. Comme il y avait un redoux, la glace de la rivière des Outaouais était recouverte d'eau par endroit. Néanmoins, le taxi s'aventura sur la rivière, ses portières ouvertes au cas où la glace céderait alors qu'aucun des passagers ne savait nager ! Or, le chauffeur était ivre et se perdit sur la rivière plongée dans le noir. Enfin, après plusieurs errements, le taxi parvint à laisser ses passagers au lieu prévu.

Un drame imprévu

       Toute la famille Mainville – et elle était grande – était réunie dans la maison dont le salon avait été préparé pour recevoir la dépouille d'Édouard que l'un des frères Mainville, Athanase, était parti « quérir » à la gare ferroviaire de Pembroke. Dans la maison surchauffée, on avait commencé à discuter de l'avenir des enfants du disparu. Après avoir longuement palabré, certains proposèrent de tout simplement placer les enfants dans un orphelinat, soit à Hull soit à Pembroke. Une femme, tante par alliance, s'y opposa : Éléonore Gaudette. « Il n'en est pas question », lança-t-elle avec autorité. « Je vais les prendre chez moi s'il le faut, mais on ne placera pas ces enfants dans un orphelinat ! » Voilà un bon cœur, pour ne pas dire une belle âme comme on le formulait à l'époque !

Mainville isidore       La discussion n'était pas achevée qu'arriva à la porte Athanase Mainville qui hésita à franchir le seuil. Il avait le visage couvert de sueur. Embarrassé sinon confus, il bégaya : « Il y a eu erreur : Édouard est vivant ! » Les enfants de celui-ci émirent des cris de joie. La voix tremblante, Athanase reprit son propos : « On a confondu les prénoms en écrivant le télégramme : c’est Isidore qui est mort. » La famille fut consternée. Des enfants se mirent à pleurer.

       Tout l'attirail funéraire fut déplacé de l'autre côté du chemin du Piquefort où Isidore, décédé à l'âge de 46 ans, fut veillé dans son lieu de résidence habituelle, maison de sa mère veuve depuis vingt ans. Quant à Éléonore Gaudette, elle éleva sa famille en compagnie de sa belle-mère sans jamais se remarier. L'abbé Harrington, qui deviendra curé de la paroisse de Chapeau, s'arrangea pour faire instruire l'aînée de la famille, Imelda, pour qu'elle devienne enseignante et puisse ainsi aider la famille à subsister. Quant aux enfants d'Édouard, ils retournèrent dans leur foyer nourricier respectif, au lieu de l'orphelinat, en attendant que leur père se remarie. La leçon d'Éléonore avait été retenue.

       Éléonore Gaudette vécut longtemps. Elle quitta ce monde à Peterborough, Ontario, le 2 juillet 1984 à l'âge de 95 ans, mais sera inhumée dans son milieu d'origine au côté de son mari. Deux de ses enfants vécurent plus longtemps qu'elle : sa fille aînée, Imelda, décédée à l'âge de 98 ans et Ange-Maie, qui a présentement 96 ans.