Créer un site internet

L'affaire Dorothea Palmer

ouimet-raymond Par Le 19/11/2020

Dans Biographies

Les Canadiennes ont longtemps lutté pour avoir le droit de disposer de leur corps comme bon leur semble. Retour sur un étonnant procès qui s’est déroulé à Ottawa en 1936-1937 et qui a fait les manchettes de tous les journaux du pays : l’affaire Dorothea Palmer.

          Le droit à la contraception existe chez les autorités civiles depuis longtemps, mais pas chez les toutes les autorités religieuses. Par contre, les autorités civiles ont longtemps interdit d'en faire la promotion. L’Église catholique acceptait la contraception par des moyens naturels et elle accusait les Églises protestantes et le judaïsme d’accepter la contraception avec des moyens artificiels et mécaniques.

          Né en Angleterre en 1908, Dorothea Palmer exploite une bibliothèque à Ottawa et est, à temps partiel, une infirmière visiteuse de la Parent Information Bureau qui avait été fondé en 1935 à Kitchener par un riche philanthrope de l’endroit, A. R. Kaufman. L’objectif de l’organisation était d’informer les parents de familles pauvres sur des moyens anticonceptionnels et de leur vendre des instruments peu coûteux. Depuis sa fondation, la Parent Information Bureau avait répondu à 43 000 demandes à la suite d’enquête dans des foyers de pauvres.

          À partir de renseignements qui lui provenaient surtout des médecins, Dorothea Palmer organisait des réunions de famille dans les quartiers pauvres de la ville et informait les mères des moyens de contraception qui étaient à leur disposition. Elle leur remettait un guide intitulé Le contrôle de la natalité et quelques-unes de ses méthodes les plus simples.

          Arrêtée le 14 septembre 1936, elle est accusée d’avoir fait la promotion illégale du contrôle de la natalité, diffusé des instruments « antifécondants » dans la ville d’Eastview (aujourd’hui le quartier Vanier à Ottawa), eu en sa possession des moyens de contraception et suggéré la stérilisation des femmes faibles d’esprit. Cette accusation a été portée en vertu d’un article du Code criminel sur… l’obscénité ! Commence alors un procès qui durera pas moins de six mois.Dorothea palmer

          Le procès commence le 21 octobre 1936 à Eastview. Des femmes viennent témoigner. Plusieurs, dont une mère de 3 enfants, disent que leur revenu familial n’est que de 40 dollars par mois. Or, à cette époque, une famille de 5 personnes a besoin d’un revenu annuel d’au moins 1 000 dollars. D’autres disent que Dorothea Palmer leur a même remis gratuitement des moyens de contraception.

          Habile, l’avocat de Palmer, un certain F. W. Wanegast, réussit à transformer le procès en celui du contrôle de la natalité au Canada en faisant témoigner une foule de gens : des ministres du culte, des médecins, des universitaires. Or, les ministres du culte se contredisent et interprètent des passages de la bible différemment au grand plaisir de l’avocat qui démontre que même chez les doctes religieux la morale n’est pas une chose aisée à définir.

Un certain révérend Wiclox, du Social Service Council of Canada est en faveur de la contraception parce que par une fécondité extraordinaire, les catholiques canadiens-français tentent de délibérément de dépasser les Anglais par le nombre des naissances ! Maurice Zeidman, pasteur presbytérien, déclare que ceux qui condamnent aujourd’hui la régulation des naissances érigeront peut-être un jour un monument à Dorothea Palmer et accusent les sectes religieuses qui s’opposent à la femme d’être un siècle en retard et ils les traitent de morons !

Les non-catholiques ne sont pas tous en faveur du contrôle de la natalité. L’épiscopat anglican le condamne et la High-Chuch of England s’y oppose formellement. Les médecins catholiques, comme le docteur Ernest Couture, estiment que la régulation des naissances peut engendrer une « condition pathologique » et préconise la continence. Son témoignage est conforté par celui du Dr Gérin-Lajoie, professeur de gynécologie à l’Université de Montréal. Il estime que l’usage « d’antifécondants » sont de nature à affecter le système nerveux et qu’ils pouvaient constituer un danger même pour l’homme ! Il est contredit par le professeur Scott de l’université de Toronto. Gérin-Lajoie dit que si quelqu’un s’avisait d’enseigner la contraception à l’Université de Montréal, il en serait expulsé. D’autres médecins ne s’opposent pas à la contraception, mais s’opposent à ce que les moyens soient diffusés autrement que sous leur contrôle… direct ! Certains ont peur que ces moyens tombent en de mauvaises mains et qu’ils aient pour conséquence une augmentation des relations sexuelles hors mariage.

          Tous les journaux parlent de l’affaire Palmer, y compris le journal Le Droit, propriété des oblats de Marie-Immaculée. Évidemment, Le Droit s’oppose à la contraception. Choses certaines, des hommes réagissent violemment au débat. Ainsi, un d’entre eux, ayant vu Dorothea Palmer, l’entraîne dans une ruelle et tente de la violer en disant : « J’vais te montrer ce que c’est de ne pas contrôler la natalité. » Elle réussit à s’en défaire au moyen d’un coup de genou au bon endroit !

          Le procès s’est terminé le 17 mars 1937. Le juge a conclu que Dorothea Palmer avait diffusé du matériel de contraception pour simplement venir en aide à ses concitoyens. Enfin, soulignons que l’article en vertu duquel Mme Palmer a été accusée n’a été abrogé qu’en 1969.

SOURCES

Le Droit (Ottawa), 1936-1937.

Site Internet http://modern-canadian-history.suite101.com/article.cfm/parents_information_bureau