L'Affaire Richer

ouimet-raymond Par Le 26/06/2022

Dans Biographies

       12 juillet 1897. À l’église presbytérienne d'Ottawa, le pasteur Knowles bénit le mariage de Damien Richer et d'Éliza Côté. Ce mariage devient vite une source de scandale chez les francophones de l'époque non seulement parce que les mariés sont des leurs, mais surtout parce que… catholiques ! Des catholiques qui se mariaient devant un pasteur protestant… c’était de la trahison ! Et le scandale ne s'arrêtait pas là. Mais n’anticipons pas.

       Né le 25 septembre 1865, Damien Richer était le sixième d'une famille de dix enfants qui avaient tous vu le jour à Saint-André-Avellin du mariage de Joseph Richer, cultivateur, tanneur et boulanger, et d’Olive Gagnon, mariage qui avait été célébré à Saint-Jérôme le 26 mai 1851Richer damien.

       Jeune homme, Damien avait voulu être avocat, mais sa mère aurait dit qu’elle aimait mieux le voir tomber raide mort devant elle que de le voir devenir un menteur et un tricheur ! C’est ainsi que Damien est poussé vers la prêtrise par sa mère – à cette époque, toutes les familles s’enorgueillissaient d’avoir un prêtre parmi elles. Ordonné le 19 août 1888 à Saint-André-Avellin, Damien Richer fait un an de vicariat à la paroisse Sainte-Anne d'Ottawa, puis les autorités ecclésiastiques lui confient la cure de la jeune paroisse de Notre-Dame-de-la-Salette, dans la vallée de la Lièvre, de même que les missions voisines de Notre-Dame-de-la-Garde de Val-des-Bois et de Saint-Louis-de-France de Poltimore deux ans plus tard. Enfin, il terminera sa carrière de prêtre à Masson. Quoi qu’il en soit, Damien Richer tombe amoureux de l’une de ses paroissiennes de Poltimore, Éliza Côté, qui partage ses sentiments.

Coup de foudre

       Éliza avait vu le jour le 25 mai 1879 à Hébertville, au Lac-Saint-Jean, et sa famille s’était installée dans la Lièvre attirée par le travail crée par une nouvelle mine de mica. De 14 ans la cadette de Damien, elle était institutrice dans une école de rang à Poltimore. Toujours est-il que pour éloigner Damien Richer des attraits d’Éliza Côté, les autorités diocésaines le nomment curé de Notre-Dame-des-Neiges de Masson en octobre 1896. Mais l’amour est plus fort qu’un archevêque aussi puissant ou saint soit-il. Ainsi, le jour même où il bénit un mariage, Damien se rend à Ottawa et épouse l’objet de son amour.

       La réaction des autorités religieuses, des familles et de la communauté à leur union n’est évidemment pas unanime. Les nouveaux époux sont excommuniés et voués aux flammes de l’enfer. Il leur est même désormais interdit d’entrer dans une église catholique ! Les Richer excluent ce fils indigne de la famille. Seuls deux des frères et une des sœurs de Damien, Amélia, religieuse, gardent contact avec lui. Cet ostracisme fera que lorsque sa mère sera à l’agonie, il refusera de la voir. Toutefois, la belle-famille de Richer, c’est-à-dire les Côté, est plutôt complaisante et continuera à fréquenter assidûment Éliza.

       La collectivité semble avoir été divisée devant la situation du nouveau couple qui, par surcroît, s’était s'installer à Val-Des-Bois, et ce, d’autant plus que les prêtres visiteurs incitaient les fidèles à ignorer la famille Richer. Certains concitoyens valboisiens traitaient même Damien de « faux prêtre ». N’empêche, les enfants Richer fréquenteront l’Église catholique parce que la foi de leurs parents était plus forte que le mépris des autorités religieuses. Grâce à son expérience et à son instruction, Damien est secrétaire municipal et plusieurs de ses concitoyens ont recours à ses bons conseils, notamment en matière juridique. En revanche, son moulin à scie est la proie des flammes à deux reprises. Accidents ou vengeances ? En effet, tout en travaillant pour une compagnie d’exploitation forestière, il exploite localement et en partenariat un moulin à scie sur un bras de la Lièvre.

Richer cote eliza       Damien et Éliza ont eu six enfants – trois filles et trois garçons –, tous nés à Val-des-Bois entre 1898 et 1911, et baptisés dans la religion… catholique ! Il semble bien que les autorités religieuses aient hésité avant d'accueillir les enfants au sein de l'Église catholique. De fait, il faudra l'intervention de l'évêque pour que les enfants soient admis aux fonts baptismaux. Mais les autorités ecclésiastiques sont dures, si dures qu’on refuse à Damien et à son épouse d’assister aux funérailles de leur fille, Marie Damienne, décédée en 1900.

Une Église catholique intransigeante

       En 1911, Éliza, qui est hospitalisée à Ottawa, raconte son histoire à un prêtre dominicain qui offre de les aider, elle et son époux, à régulariser leur situation avec l'Église catholique. À la suite de tractations avec les autorités religieuses, le Vatican accepte de lever l'excommunication des deux époux. Mais à trois conditions : 1) quitter la région parce qu’ils sont une source d'embarras pour les autorités diocésaines et de scandale pour la collectivité ; 2) accepter de vivre comme frère et sœur ; 3) faire bénir leur mariage par un prêtre catholique. Il semble bien que le couple ait accepté les deux premières conditions, mais pas la troisième ce qui, pour Damien, aurait été reconnaître le caractère illégitime de ses enfants.

       En 1918, Damien et son épouse quittent Val-des-Bois pour Timmins, en Ontario, puis, deux ans plus tard, pour la Saskatchewan où leur fille Jeanne a déjà accepté un poste d'enseignante. La famille s'installe sur une ferme à Ditton Park, près de Prince Albert. Malgré le temps et la distance, le passé de la famille Richer les rattrape rapidement. Damien se plaint à l'évêque de Prince Albert du curé de sa paroisse qui lui fait des misères. Mgr Prud'homme décide d'intervenir auprès du prêtre un peu trop bavard. N’empêche, l’une des filles de Damien, appelée Damienne, et qui voulait devenir religieuse, se verra refuser chez les Grey Nuns de Regina parce que de naissance… n’était pas légitime !   Un des fils éprouve des problèmes avec son acte de naissance lorsqu'il veut se marier : on remet en cause sa légitimité.

       Les humiliations subies par les enfants motivent trois d'entre eux à abandonner la religion catholique au grand regret de leurs parents restés malgré tout catholiques. Entre-temps, les parents cèdent leur terre de Ditton Park à un de leurs fils pour s'établir quelques kilomètres plus loin, à Hudson Bay Junction. Damien décède en 1941 et son épouse Éliza s'établit alors chez sa fille Jeanne, à Edmonton, où elle meurt en 1953. Ainsi, l’amour partagé de Damien et Éliza aura été plus fort que la vindicte de l’Église catholique qui, elle, aura perdu des fidèles à la foi plus fortes que celle de la hiérarchie religieuse.

SOURCES :

OLSEN (RICHER), Jeanne-Élise, As I remember them, 2002, Calgary University Press.
Communications de Claire Leblanc et de Pierre Valois.

 
×