Les pérégrinations de Geneviève Clark

ouimet-raymond Par Le 27/09/2021

Dans Biographies

La plupart des Québécois de souche trouvent leurs ancêtres au pays de la douce France. Il est cependant beaucoup moins courant pour des Français de trouver les leurs au Québec. Et pourtant, il y en a : trois ou quatre générations après l’arrivée des pionniers en Nouvelle-France, des Canadiens ont émigré sur le vieux continent. Citons par exemple les Lemoyne et les Rigaud de Vaudreuil, dont l’histoire est bien connue et qui ont quitté le pays après la chute de la Nouvelle-France. Mais que savons-nous d’autres familles, d’autres personnes issues de la masse anonyme du peuple parties vivre au pays de leurs ancêtres ? Peu de choses, en vérité. Et pourtant, il y a sans doute là plus d’une histoire étonnante à raconter. En voici une, celle de Geneviève Clark, une fille née au 7, rue des Jardins, à Québec, qui est allée vivre aux pays de ses aïeux, l’Angleterre, Rue Desjardins Québecpuis la France.

Geneviève Clark est née en 1780, à Québec, du mariage de William Clark, un soldat anglais sans doute, et de Geneviève Lépine dit Lalime, une Canadienne de deuxième génération. Or, voilà qu’un officier des troupes d’occupation britanniques, le lieutenant Richard Skottowe, fils de l’ancien gouverneur de l’île Sainte-Hélène, remarque la jeune fille qui, contrairement à sa mère, est illettrée. Il en tombe follement amoureux au point où, en 1799, il lui fait une offre exceptionnelle, soit celle de lui verser mensuellement la somme de 48 livres sterling jusqu’à ce qu’il lui demande de venir le retrouver en Europe. Et pour garantir cette exceptionnelle pension, il va jusqu’à hypothéquer ses biens.

Cette pension est importante, car elle se monte à la somme annuelle de 576 livres. Par exemple, à la même époque, le gouverneur de la Province of Quebec recevait annuellement la somme de 2 000 livres, le secrétaire et greffier, 400 livres et le procureur général 300 livres… Ainsi, la pension annuelle de Geneviève était-elle plus élevée que les appointements de deux des trois plus importants fonctionnaires du gouvernement !

Il faut dire que Geneviève est belle – pouvait-il en être autrement ? – ; elle paraît quatre à cinq ans de moins que son âge. Cheveux et teint foncés, elle mesure 1,52 mètre. De plus, on dit qu’elle a un air distingué et elle passe pour être une excellente cavalière. Elle ne maîtrise pas bien l’anglais – son accent français devait la rendre encore plus charmante.

Départ pour la Grande-Bretagne

En 1800, Skottowe regagne la Grande-Bretagne avec son régiment. L’année suivante, sans doute, l’officier fait mander Geneviève à Londres où elle arrive probablement au printemps de 1802. Quoi qu’il en soit, le 2 juillet 1802, le couple convole en justes noces, puis revient au Canada où il fait baptiser son premier enfant à Québec au printemps de 1803. Puis le couple retourne en Europe et s’installe à l’île de Wight, située dans la Manche. C’est là que Geneviève donne naissance à trois autres enfants dont deux mourront en bas âge. Enfin, elle accouche d'une fille en Écosse.

En 1813, on trouve Richard Skottowe sur la Côte d’Or, aujourd’hui le Ghana, où il est à l’emploi de l’African Committe qui y pratique la traite négrière. Il meurt à Cape Coast Castle à l’hiver 1813 et laisse dans le deuil, outre sa femme, trois enfants : un garçon et deux filles.

Geneviève quitte la Grande-Bretagne vers 1820 pour s’établir au pays de ses ancêtres maternels, la France. Jean-Baptiste Rémy Belle, un jeune homme de 22 ans, de 19 ans le cadet de Geneviève et de surcroît avoué de profession (c.-à-d. avocat et notaire), en tombe amoureux. Geneviève va alors s’installer à Tours, dans l’une des plus belles maisons de la ville, place Foire-le-Roi.

Le nouveau couple ne convolera pas tout de suite. Il va d’abord avoir Place foire le roi tourstrois enfants – trois filles – qui naissent en 1821 et en 1823, la première à Tours et les deux dernières à Orléans où Geneviève a déménagé ses pénates. Le couple a un comportement très XXIe siècle, car Rémy et Geneviève ne vivent pas ensemble si on en croit les recensements d’époque. Quoi qu’il en soit, Geneviève tombe malade en 1841. En mars 1842, elle épouse enfin son amoureux à Orléans où elle meurt huit mois plus tard à l’âge de 62 ans.

La descendance de Geneviève

         La descendance totale de Geneviève Clark, qui a eu six enfants viables, doit se monter à environ 90 personnes, peut-être plus, dont apparemment une seule porte aujourd’hui le patronyme de Skottowe et aucun celui de Belle. En effet, aucun des petits-enfants de la Québécoise n’a eu plus de trois enfants ; certains sont morts dans la prime enfance. De plus, 51,81 % de sa descendance connue est de sexe féminin, lequel ne pouvait pas transmettre son nom de famille sauf pour les enfants conçus hors mariage, et il y en a eus un certain nombre.

         Si le fils de Geneviève, Thomas Henry (1807-1868). qui s'est arrogé le titre de chevalier, est devenu riche comme Crésus grâce à un héritage comprenant cinq mines de plomb, sa fille, Joséphine, épouse Antoine Dieudonné Belle qui sera successivement juge, maire de Tours, député de l’Indre-et-Loire, sénateur de ce même département et l’un des 363 fondateurs de la IIIe république ; un buste à l'effigie du personnage orne la Place-du-14-juillet à Tours. De plus, une de ses petites-filles, Léonide-Désirée, a épousé l’économiste franco-suisse de renom Léon Walras (1834-1910), une autre Jeanne Sabine (1851-1933), est devenue vicomtesse, et un petit-fils, Henri Adolphe Laherrère (1898-1952), a été décoré de la Légion d’honneur. Cela dit, certains ont sombré dans la quasi-misère : au moins une Skottowe a grandi à l’Assistance publique, un autre est mort au bagne en Guyane à la suite d'un crime commis dans la Légion étrangère, alors que la plupart des autres ont vécu la vie des personnes de la classe moyenne. Ils portent ou ont porté les patronymes d’Aurange, Bernasconi, Boudon, Charmantray, Laherrère, Mailly, Pruvot, Villard, etc. Et toute cette histoire a débuté au 7, de la rue des Jardins à Québec.

Sources :

Archives départementales du Loiret, France.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
British Library : IOR/D/158ff 297-98 1804 2 folios.
Diverses communications de Mme Marian Press, Toronto, Ontario.
Diverses communications de Mme Nicole Mauger, Paris, France.
État civil de La Ferté-Saint-Aubin, d’Orléans et de Tours.
The Morning Chronicle (Londres), 24 juin 1802.
The Times (Londres), 1871.


Cette recherche a été faite en collaboration avec madame Nicole Mauger.