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Les trois femmes d'Éraste d'Odet d'Orsonnens

ouimet-raymond Par Le 22/01/2023

Dans Biographies

À Gatineau, dans le quartier Mont-Bleu, se trouve une rue d’Orsonnens, en l’honneur de l’ancien maire d’Odet d’Orsonnens. Les prénoms de ce personnage étaient Jean Éraste Protais. Évidemment, avec de tels prénoms, il ne pouvait pas être un homme ordinaire.

       D’Odet d’Orsonnens naît à Saint-Roch-l’Achigan le 12 avril 1836 du mariage du mercenaire d’origine suisse, Protais d’Odet d’Orsonnens avec Louise Sophie Rocher. Le capitaine d’Odet d’Orsonnens était arrivé au Canada en 1811 avec le régiment des Meurons qui a servi au pays jusqu’en 1816. Quand le régiment a quitté le Canada, Protais d’Odet d’Orsonnens avait atteint le grade de lieutenant-colonel. Il s’établit alors à Saint-Roch-l’Achigan.

       Contrairement à son père, Jean Éraste Protais n’a pas la moindre inclination pour la carrière militaire. Il fait des études au collège de l’Assomption et au collège des Jésuites, à Montréal où il opte pour le notariat ; il est reçu notaire à 22 ans.

       À 17 ans, il a déjà acquis une belle réputation d’écrivain au Québec et, en 1856, il publie deux nouvelles : L’épluchette de blé d’Inde et Une résurrection. Avec le futur premier ministre de la province, Olivier Chauveau, d’Odet d’Orsonnens est l’un des écrivains qui a le plus de succès au Québec. En 1860, il publie Le parricide Luron et Felluna.

       D’Odet d’Orsonnens s’établit à Hull en 1873 et il y exerce le notariat pendant 17 ans avant de se tourner vers le commerce. Dès 1875, il y fonde un cercle littéraire avec Alfred Rochon et l’avocat Charles Marcil. La même année, il est élu président de la Société Saint-Jean-Baptiste locale.

       D’Odet d’Orsonnens est un touche-à-tout. En 1877, il se lance en politique et se fait élire échevin, poste qu’il conserve pendant 11 ans. En 1889, il devient même maire de Hull. Puis, à partir de 1879, il siège pendant 15 ans à la Commission scolaire dont il sera président pendant pas moins de 7 ans.

       En 1892, fortune faite, il devient prêteur et l’un des plus grands propriétaires terriens de Hull. D’Odet d’Orsonnens a le temps d’avoir des loisirs… créatifs. Il fait des recherches sur le mouvement perpétuel et, en 1899, il publie, chez Bureau & frères à Ottawa, 2 opuscules : Le moteur centripète et Le moteur centrifuge. Il se penche aussi sur l’étude de la dynamite.

Mais qui était la femme derrière cet homme exceptionnel ? Il y en avait plus d’une : outre sa mère, elles étaient trois !H012 01 0667 dorsonnens 2

Revenons en arrière : Jean Éraste Protais d’Odet d’Orsonnens a 22 ans. Le célibat et sans l’inactivité sexuelle lui pèsent quand il fait la rencontre d’une gentille petite anglaise : Mary Ann Smith. Mais pour jouir des faveurs de la jeune personne d’âge mineure, il lui faut la marier, ce qui se fait en grand secret, le 1er novembre 1858, à Montréal, en présence de la seule mère de la jeune fille, parce que le nouveau notaire ne veut pas déplaire à sa mère qui lui fournit ses moyens de subsistance. Moins de trois mois après le mariage, la jeune fille et sa mère s’enfuient aux États-Unis pour des raisons qui restent inconnues.

Les flammes de l’enfer

Il ne semble pas que la fuite Mary Ann Smith ait importuné plus qu’il ne faut d’Odet d’Orsonnens qui fait la rencontre d’une autre jeune fille mineure, enfant d’un boulanger. Son nom : Tharsile Amyot. Les deux jeunes gens se plaisent tant et si bien qu’ils convolent en injustes noces le 20 septembre 1860 en l’église Notre-Dame à Montréal. Pendant ce temps-là, Mary Ann Smith vit toujours… à Boston aux Massachusetts. Voilà qu’un jour de 1867 ou de 1868, on ne sait pas trop, notre d’Odet d’Orsonnens avoue, en confession, son premier mariage et l’existence de Mary Ann Smith. Le prêtre lui ordonne alors de se séparer de sa femme sous peine des flammes de l’enfer !

Voilà donc d’Odet d’Orsonnens obligé d’avouer à sa douce (croyait-il) Tharsile, sa bigamie. La voilà en furie qui exige l’annulation de son mariage. C’est alors que Mary Ann Smith a la bonne idée de passer de vie à trépas le 25 mars 1869. Heureuse coïncidence se dit sans doute notre petit tabellion qui se remet à faire la cour à Tharsille. Mais la jeune dame a du caractère et repousse sèchement celui qui aurait dû être son mari. Elle exige toujours l’annulation officielle du mariage. D’ailleurs, les avocats sont tous d’accord là-dessus : le premier mariage étant valide, le deuxième ne peut l’être.

Un mariage secret

Pendant des années, Jean Éraste Protais d’Odet d’Orsonnens essaie de convaincre Tharsile de son amour, sans succès. Il la menace même de recourir à la loi pour lui faire entendre raison. Pas plus de succès. « Il n’est pas bon que l’homme reste seul », dit la Bible et d’Odet d’Orsonnens est bien d’accord avec cette sentence. Dès son arrivée à Hull, qui n’est sans doute pas étrangère à sa situation matrimoniale, d’Odet d’Orsonnens confie son problème au père Charpeney, oblat de Marie-Immaculée, qui réfère l’affaire à Mgr Guigues, évêque d’Ottawa. Celui-ci déclare : « Comme pour faire déclarer nul ce mariage il aurait des formalités sans nombre à remplir […] les parties devraient se donner l'une à l'autre un papier signé par lequel elles s'engageraient à ne pas s'inquiéter l'une l'autre, que Mr D'Orsonnens pourrait se marier avec une autre personne, mais qu'on ne mettrait pas l'acte de mariage dans les registres... » Il prend soin d’ajouter qu’il serait sans doute mieux de marier le couple en Ontario, là où le Québec n’a pas autorité !

Tharsile ne signe pas le papier et d’Orsonnens estime que personne ne peut le condamner au célibat, ce à quoi acquiesce le père Charpeney qui marie le notaire à Marie-Louise Fiset le 8 novembre 1874 sans en porter mention au registre.

       L’affaire n’est pas finie. Par l’entremise de ses avocats, Tharsile Amyot demande comment on a pu marier d’Odet d’Orsonnens ? A-t-elle du chagrin ? Toujours est-il, qu’au point de vue de la loi, Jean Éraste Protais et Tharsile sont mari et femme. Les Oblats aimeraient que l’affaire ne fasse pas de bruit et n’hésitent pas à dire que s’il fallait annuler le deuxième mariage de d’Orsonnens, l’évêque pourrait y voir « sans faire du bruit pour rien ».

       Quoi qu’il en soit, d’Odet d’Orsonnens a, une nouvelle fois, deux femmes en même temps. Et à Montréal, le cas finit par faire tant de bruit que les tribunaux s’en emparent. Enfin, le 20 septembre 1875, le juge Johnson déclare le mariage d’Orsonnens-Amyot nul au grand déplaisir du père de Tharsile.

       En 1900, d’Odet d’Orsonnens perd une cinquantaine de maisons dans le Grand feu. Deux ans plus tard, il a la douleur de perdre son épouse qu’il suivra dans la tombe en 1906 après une vie plus que bien remplie.

Sources :

Archives de la Ville de Gatineau H12-01-0667, Archives des OMI, Montréal ; Boutet, Edgar, Éraste d’Odet d’Orsonnens, notaire, dans Asticou, cahier no 34, juillet 1986, pages 4-6 ; BANQM ; Latrémouille, Denise, D’or et d’azur, de sueur et de labeur, Hull, 2000.

 
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