Un héros venu d'Ukraine

ouimet-raymond Par Le 13/06/2022

Dans Biographies

          Le 11 novembre 1918, les clairons des armées en guerre sonnent l’armistice, la fin de la Grande Guerre. Plusieurs mois plus tard, des millions de soldats blessés, meurtris dans leur chair et leur esprit, sont rapatriés dans leur foyer alors que d’autres (9 millions ?) dorment pour l’éternité dans les champs de bataille . Le plus souvent, ils sont abandonnés à leur sort comme nous avons pu le constater, chez nombre de nos soldats laissés à leur sort à la suite des interventions que nos troupes ont menées au Kosovo ou au Koweït. Et même les héros sont vitement oubliés.

          Filip Konowal naît en Ukraine (pays alors occupé depuis le XVIIe siècle par les Russes) en 1887. Conscrit en 1908 par l’armée impériale de Russie, il est rendu à la vie civile en 1913. C’est alors qu’une entreprise canadienne le recrute comme bûcheron. Il laisse son épouse et une fille, puis s’embarque pour le Canada où il travaille dans les forêts de l’Outaouais.

          La Grande Guerre, celle que l’on a appelé alors la Der des der, éclate le 3 août 1914. Le Canada se joint aux alliés le 4 août et dès le mois d’octobre suivant, il envoie des troupes en Europe. En juillet 1915, Konowal est à Ottawa et il s’engage dans le 77e bataillon du corps expéditionnaire canadien (réaffecté au 47e bataillon en Europe) . Au mois d’août 1916, notre homme est à pied d’œuvre sur les champs de bataille de France face aux armées allemandes qui ont envahi le territoire français deux ans plus tôt. Il est rapidement promu caporal. Il participe à la bataille de la Somme, puis à celle de la crête de Vimy.

Un troupeau de douleurs

          Cette guerre, presque oubliée, a été affreuse pour les soldats tapis pendant des semaines dans des tranchées boueuses, de l’eau jusqu’aux genoux, sales et couverts de poux. Un soldat français écrit alors : « Nous sommes un troupeau de douleursKonowal. »

          Ce sont les 21 et 22 août 1917 que le caporal Konowal accomplit des exploits d’une bravoure exceptionnelle. Ces jours-là, Konowal en a assez de vivre dans une tranchée avec de l’eau jusqu’à la taille sous le feu des mitrailleuses allemandes. Il décide de sortir de sa position (un officier qui croit qu’il déserte tente de l'abattre), il entre dans une cave où il met hors combat trois ennemis, puis attaque à la baïonnette un groupe de soldats caché dans un trou d’obus. Ensuite, il s’attaque à un nid de mitrailleuses dans lequel il tue tous les ennemis. Enfin, le lendemain, il nettoie un autre nid de mitrailleuses allemand. En deux jours, il a tué au moins 16 ennemis. Mais le soir du 22 août, il est gravement blessé au visage et envoyé dans un hôpital anglais.

          Pour ses exploits, il reçoit, des mains du roi George V, la plus haute distinction de l’Empire britannique : la croix Victoria[1]. La guerre prend fin le 11 novembre 1918. Konowal est alors incorporé dans le corps armé canado-sibérien et combat les Soviétiques au côté des Russes blancs dans la région d’Omsk. De retour au pays en juin 1919, il est démobilisé le 4 juillet.

Des autorités ingrates

          Notre homme souffre toujours des blessures subies en France et mal soignées (paralysie partielle de la figure, fracture du crâne, maux de tête) ; l’alcool est son analgésique. 1919 : nous sommes à l’époque de la prohibition. Mais Konowal apprend qu’il se vend de l’alcool rue Saint-Rédempteur à Hull. Le 20 juillet, il se rend dans une maison où vit un Autrichien (l’ennemi d’hier) nommé Wilhem Artich qu’il tue d’un coup de couteau pendant une courte altercation.

          Konowal est arrêté puis remis en liberté sous caution. On ne sait pas quoi en faire : imaginez, un titulaire de la croix Victoria ! Enfin, à l’été de 1921, les autorités judiciaires décident de l’enfermer à Saint-Jean-de-Dieu où il sera soigné. Mais les autorités canadiennes, pour le moins ingrates, entrent en communication avec le consulat soviétique dans l’intention de déporter le héros en URSS. Enfin, son internement prend fin en 1930. Il apprend que sa femme est morte de faim et que sa fille est décédée dans un goulag stalinien. Il s’établit à Hull où il prend épouse.

          Konowal est sans conteste un héros guerrier. Mais que fait-on avec les héros, lesquels doivent aussi gagner leur vie ? Un ancien officier lui trouve un emploi à la Chambre des communes. Un jour, le premier ministre William Lyon Mackenzie King l’aperçoit en train de laver le plancher du parlement. Il le fait réaffecter comme gardien spécial d’une salle. Quand Konowal est interrogé au sujet de son poste de gardien, il répond en toute simplicité : « Outremer, j’ai nettoyé avec un fusil, et ici je dois nettoyer avec une vadrouille ! » Si la vie vous intéresse…[2]

Sources :

Archives nationales du Canada.
Archives nationales du Québec.
Communications de M. Ron Sorobey.
LUCIUK, L. et SOROBEY, R. Filip Konowal, The Kastan Press, 1996.

 

[1] Il a aussi reçu la British War Medal, la médaille de la victoire, la croix de saint Georges, quatrième classe (Russie impériale).

[2] Filip Konowal est mort en 1959.

 
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