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Une femme de tête et de coeur : Laurette Larocque dite Jean Despréz

Par Le 25/01/2014

Dans Biographies

          Si les femmes d’aujourd’hui obtiennent leur lot de reconnaissances, elles peuvent remercier leurs devancières qui ont lutté sans relâche pour occuper dans la société une place équivalente aux hommes. Parmi ces devancières : Laurette Larocque dite Jean Despréz.

          C’est dans l’ancienne ville de Hull que Laurette Larocque naît le 1er septembre 1906 du mariage d’Adrien Larocque et de Rose-Alma Berthiaume. Adrien Larocque est propriétaire d’une librairie-papeterie à une époque où le livre est rare au Canada français. Cet environnement a très tôt influencé Laurette Larcoque. Non seulement son père fait-il partie du Cercle dramatique de Hull, mais son grand-oncle, Alfred Berthiaume y a joué Michel Strogoff en… 1895 !

          Dès l’âge de neuf ans, la petite Laurette organise des séances de théâtre pour ses camarades qui doivent remettre trois pinces à linge pour y assister. Pour s’assurer d’un nombre suffisant de spectateurs, elle confectionne des affiches que ses frères diffusent auprès des marchands.

          Laurette fait ses études secondaires au couvent Notre-Dame-de-la-Merci à Aylmer où elle organise nombre de séances de théâtre, dont Les Femmes savantes de Molière. Devenue jeune femme, elle sait provoquer au moyen de ses vêtements. Pis, elle se maquille. René Provost, père de Guy, dit de Laurette : « l’un des plus beaux brins de fille de Hull avec en plus un petit extra qui lui est bien personnel. »

          En 1922, Laurette travaille à la librairie de son père où elle dévore à longueur de journée livres et revues de toutes sortes. Puis un jour, elle tombe amoureuse d’un certain Oscar Auger qui a vu le jour à proximité de l’actuel théâtre de l’Île en 1901. Oscar, qui change son nom pour Jacques, est un jeune acteur à la voix grave dont Laurette boit littéralement les paroles, ce qui fait que la jeune femme opte résolument pour faire carrière, elle aussi, au théâtre.

          Avec Jacques Auger, Laurette fait des tournées en Outaouais et même à Montréal jusqu’au jour où son amoureux obtient une bourse pour étudier à Paris en 1929. Un an plus tard, et sans crier gare, Laurette va rejoindre son amoureux à Paris. Auger se sent pris au piège. Elle fait tant et si bien, que deux mois après son arrivée en France, elle réussit à se faire épouser par le beau Jacques Auger (25 novembre 1930) qui souvent lui reprochera : « Tu m’as envahi à Paris. » Dans la Ville lumière, Laurette étudie à la Sorbonne et chez des professeurs d’art dramatique. Cependant, le couple connaît rapidement le désenchantement surtout que Jacques boit plus que de raison.

Une femme aux multiples talents

          Le couple peine à survivre. Heureusement, Adrien Larocque leur envoie des mandats-poste Larocque lauretterégulièrement. Le couple revient au pays en 1933 et Laurette obtient un poste à l’Université d’Ottawa où elle enseigne la diction, la phonétique et la mise en scène. En même temps, elle fonde l’école de spectacle de Montréal. De plus, elle écrit pièces de théâtre et des contes. En 1938, elle obtient son premier rôle de comédienne professionnelle dans le radioroman Vie de famille auprès de Nicole Germain, Mimi d’Estée et Guy Maufette. L’année suivante, elle devient critique de théâtre dans le magazine Radiomonde. Les années 1930 annoncent déjà une femme exceptionnelle.

          Laurette Larocque est une femme sensuelle. Nombreux sont ceux, et surtout celles, qui lui reprochent ses blouses sans manches, ses décolletés, ses jupes au-dessus des genoux et ses robes moulantes sans compter la cigarette. Elle s’en fout royalement : c’est une femme émancipée et n’entend pas courber l’échine devant l’Église. Deux jolis contes offrant quelques situations osées pour l’époque, entraîne une rupture avec l’Université d’Ottawa dirigée par les Oblats de Marie Immaculée. N’empêche, Laurette écrira une pièce, Le miracle du frère André, qui obtiendra un joli succès au pays.

          En 1938, Laurette Larocque s’établit définitivement à Montréal. De mai 1939 à décembre 1943, elle ne publie pas moins de 24 nouvelles dans La Revue moderne tout en jouant au théâtre. De 1940 à 1943, elle écrit le radioroman à succès C’est la vie. Et à partir de 1938, Laurette Larocque commence à écrire sous divers pseudonymes, dont ceux de Carole Richard et Suzanne Clairval. Mais c’est un nom d’homme qu’elle finira par adopter une fois pour toutes – Jean Despréz – parce qu’elle s’est aperçue que trop souvent on lui retournait ses textes sous prétexte qu’une femme n’a pas à se sortir la tête de ses chaudrons !

          L’ère de Jean Desprez commence. Elle loue, à trois dollars par mois, une machine à écrire qui crépite sept jours sur sept et produit toute une flopée de radioromans : M’amie d’amour, Jeunesse dorée, Chez Rose, La Marmaille, Docteur Claudine, Yvan l’intrépide. Tous les matins de la semaine, elle collabore à une série d’entrevues à Radio-Canada, avec Jean-Maurice Bailly, qui s’intitule Sur nos ondes.

          Deux ans après la naissance de leur fille, le couple Auger-Larocque se sépare. À cette époque, Jean Despréz jouit déjà d’une immense popularité : à la fin des années 1940, elle bénéficie de revenus annuels de l’ordre de 50 000 dollars. En 1944, elle avait collaboré à la réalisation du film Le Père Chopin en écrivant les dialogues. Femme généreuse, Hubert Loiselle dira d’elle : « Quand un comédien était sans le sou, elle lui créait un personnage dans ses feuilletons. »

Une femme malheureuse

 Tombe laurette         Cette femme-orchestre ne prend guère soin de sa santé ; elle se surmène. Elle souffre de névralgie et de troubles gastriques, s’endort avec des somnifères. (Elle devient quasiment sourde au début des années 1960 et doit porter un appareil auditif dans chaque oreille.) Sa silhouette s’est alourdie et sa vue baisse. Pour mieux cacher son embonpoint, elle donne dans l’élégance tapageuse. Pourtant, cette femme n’a que 45 ans !

          Elle fait son entrée à la télévision en 1955 quand elle écrit une série de dramatisations historiques Je me souviens et vend, plus tard, l’idée d’un jeu culturel à la télévision d’État : Faites vos jeu. Mais son plus grand succès télévisuel a été le téléroman Joie de vivre qui a tenu l’affiche de 1959 à 1963, soit pendant 4 saisons.

          Jean Despréz femme-orchestre ? En voici la preuve. Elle dirige des courriers du cœur tant à la radio (CKLM) que dans les journaux (Photo-Journal et Télé-Radiomonde) et à la télévision (Radio-Canada). Pour accomplir cette tâche, elle s’entoure de spécialistes au besoin. Ainsi, pour nombre de femmes en plein désarroi, Jean Despréz devient synonyme d’espoir

          Et pourtant, Jean Despréz n’est pas heureuse. Elle a dit : « J’ai toujours été très mal aimée et très peu longtemps. J’ai raté mes amours complètement. Raté complètement. » Elle accepte mal de vieillir : elle subit 4 lissages en 10 jours. Elle meurt à Montréal dans la nuit du 26 au 27 janvier 1965. Elle a été inhumée au cimetière Notre-Dame, à Gatineau, dans la concession 329B. Le matin de sa mort, Mario Verdon dit, à la radio de CKLM : Elle est morte comme elle a vécu : dans un grand élan de générosité. »

Sources :

Archives du cimetière Notre-Dame de Hull.
BMS 2000.
La Rose, André et Simard, François-Xavier, Jean Despréz (1906-1965), Ottawa, éd. du Vermillon, 2001.