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Articles de ouimet-raymond

La Fête nationale de 1911

Par Le 17/06/2023

            Il fut une époque où le nationalisme était fort en vogue dans l’ancienne ville de Hull. Au début du XXe siècle, notre Fête nationale était célébrée avec faste, et ce, pendant plusieurs jours même. Il y avait alors une section de la Société Saint-Jean-Baptiste à Hull – il y en aura même une à Masson dont le monument a été détruit il y a quelques années dans l’indifférence générale – qui invitait tout l’Outaouais à « […] affirmer d’une manière bien éclatante l’existence du peuple Canadien français […] » tout en donnant l’assurance de sa loyauté à la couronne britannique. Cela dit, déjà, les Canadiens-Français, dont ceux de Hull et de sa banlieue, savaient qu’ils faisaient partie d’une nation francophone !

          En 1911, un comité d’organisation, présidé par un certain Joseph Normand, orchestra une superbe « Fête nationale des Canadiens-Français » qui eut lieu à Hull les 24, 25 et 26 juin. Toute la population de la région, y compris celle d’Ottawa et de sa banlieue, avait été conviée aux célébrations qui promettaient d’être grandioses. De fait, plus de 40 000 personnes y assisteront ! Pendant des jours, des semaines, plus de deux cents bénévoles préparèrent la fête en fabriquant des costumes, en construisant des chars allégoriques et des arcs de triomphe le long d’un parcours où furent appelés à défiler quelques centaines de participants.

 Album souvenir st jbte

         La fête commença le samedi 24 juin quand les cadets du Collège Notre-Dame circulèrent dans la ville à bord d’un tramway de la Hull Electric « en faisant entendre sur tout le parcours des chants patriotiques », et ce, pour inviter la population à participer à de grands feux de la Saint-Jean dans deux ou trois endroits de la ville. Des centaines d’édifices et des maisons étaient décorés et pavoisés à profusion et donnaient à l’île de Hull « un coup d’œil féérique».

Les festivités les plus imposantes eurent lieu le dimanche 25 juin – le dimanche était le seul jour férié de la semaine – avec une grand-messe en plein air, accompagnée d’un chœur de 300 voix et d’une fanfare, dans la cour du Collège Notre-Dame, qui était situé dans l’actuelle rue Hôtel-de-Ville. La messe fut célébrée par un certain Père Lambert assisté de deux autres prêtres ; le Père Arthur Guertin, curé de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce et fervent nationaliste, prononça le sermon dans lequel il fit l’éloge du français et de la religion catholique.

Un défilé grandiose

          Il était onze heures quand le défilé tant attendu se mit en branle pour parader dans quatorze rues de la ville, soit de la rue Albion (Dollard-des-Ormeaux), jusqu’au parc Dupuis, rue Adélaîde (Sacré-Cœur). Le défilé comprenait six fanfares, dont quatre d’Ottawa, une de Montréal et une de Hull, dix-huit chars allégoriques, tirés par deux, quatre, voire six chevaux, soulignaient les grands personnages et les accomplissements de nos ancêtres. Le premier, rendait hommage à Jacques-Cartier et à Donnacona, un autre à Champlain, puis un autre à Madeleine de Verchère, ensuite à Frontenac, etc. Plus d’une centaine de piétons et de cavaliers représentaient les gouverneurs de la Nouvelle-France, d’autres le Cercle Reboul, celui de Brébeuf, Duhamel, Mazenod, etc., qui se firent une gloire de précéder le char qui rendait hommage à Dollard des Ormeaux

          À l’Arc de triomphe de la paroisse du Très-Saint-Rédempteur, des enfants entonnaient des chants joyeux. Sur celui de la rue Saint-Étienne, où il était inscrit « Faisons revivre le passer pour y puiser des leçons de patience et de force », 86 fillettes, portant les couleurs nationales, chantaient à intervalles des chants français. À l’Arc de triomphe de la rue Saint-Henri, on avait installé un petit saint Jean-Baptiste personnifié par… une fillette, Antonia Lacoste ! Et il semble bien que personne ne critiquât ce choix.

          Le défilé compta aussi de nombreuses autres organisations de la ville comme l’Alliance nationale, la Société des Artisans Canadiens-Français, l’Ordre des Forestiers catholique, la Société de tempérance, la Ligue antialcoolique, l’Union Saint-Joseph section Très-Saint-Rédempteur, etc. Des milliers de personnes, de chaque côté des rues assistèrent excités au défilé et firent connaître leur appréciation par des cris et de nombreux applaudissements. L’avant-dernier char rendait hommage aux femmes d’ici et avait pour nom « Vive la Canadienne ». Enfin, le dernier était celui de l’enfant saint Jean-Baptiste, personnifié par le fils d’un certain Arthur Courville.

          Le défilé s’acheva au parc Dupuis et fut suivi d’unSt j bte 1911 hull banquet sous la tente avec de nombreux chants et sept discours patriotiques. Celui du docteur Antonio Pelletier, fut très remarqué : il demanda à la Ville de franciser le nom des rues, ce qui ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd, puisque le maire Joseph Urgel Archambault y donnera suite. Puis, ce fut le moment des jeux comme partie de baseball entre un club de Hull et un autre d’Ottawa, de nombreuses courses à pied, de la souque à la corde, etc. Sur la place de l’hôtel de ville, on représenta « L’Attaque et prise du fort de Dollard par les Iroquois » suivit de la « Bataille de Châteauguay ».

Enfin, on invita la population à assister à une pièce de théâtre, donnée par le Cercle Saint-Jean, à la Salle Notre-Dame, à l’ascension d’un ballon et à un magnifique feu d’artifice. La Fête nationale se termina le lendemain avec le concert de diverses fanfares et la pièce de théâtre La famille sans nom. Jamais, de mémoire d’homme, les Hullois n’avaient assisté à une aussi grandiose Fête nationale.

          Puisse cette fierté qui animait nos élites d’affaires et politiques d’antan retombe sur celles d’aujourd’hui pour que l’on mette fin à l’anglicisation de notre ville.

Photographie :

George Courville personnifiait saint Jean-Baptiste.

Sources :

Album-Souvenir de la Fête Nationale des Canadiens-Français célébrée à Hull, les 24 – 25 – 26 juin 1911, Comité de la Saint-Jean-Baptiste de Hull, 1911.
Le Temps (Ottawa), 25, 26, et 27 juin 1911.

 

Cyprien Tanguay, père de la généalogie québécoise

Par Le 02/06/2023

La généalogie est aujourd’hui un passe-temps extrêmement populaire partout en occident. Au Canada français, elle est pratiquée par plusieurs dizaines de milliers de personnes. Le Québec, à l’instar de l’Islande, est l’endroit le mieux équipé au monde en matière d’instruments de recherches généalogiques. Et cela, nous le devons en grande partie à Cyprien Tanguay.

Fils de Pierre Tanguay et de Reine Barthel, Cyprien Tanguay naît à Québec, à deux pas du Séminaire, le 15 septembre 1819 ; il est le troisième d’une famille de quatre enfants (trois garçons et une fille). Sa mère est issue d’une famille originaire d’Allemagne, plus précisément de Hesse-Cassel. Il a pour parrain un célèbre patriote, le curé Étienne Chartier, qui est curé de Saint-Benoît (Mirabel) au moment de la rébellion des Patriotes en 1837. Après des études à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, au Séminaire et au Grand Séminaire de Québec, il devient professeur de rhétorique en 1840 et 1841 dans son alma mater avant d’être ordonné prêtre le 14 mai 1843.

D’abord desservant à Sainte-Luce et à Trois-Pistoles, il est nommé vicaire à Rimouski à la fin de 1843 où exerce le célèbre abbé Charles Chiniquy, apôtre de la tempérance qui sera par la suite excommunié et deviendra pasteur presbytérien. En 1846, Tanguay devient curé de Saint-Raymond-de-Portneuf où il s’occupe en priorité de l’instruction primaire en suscitant la création d’une commission scolaire dont il devient le secrétaire. Il travaille à l’amélioration de la voirie, puis se fait nommer maître de poste, ce qui lui permet d’organiser un service postal régulier entre Saint-Raymond et d’autres localités, dont Québec. Il cumule aussi la fonction de curé de la nouvelle paroisse de Saint-Basile avant d’être déplacé et nommé curé de Rimouski. À cet endroit, il procède à la construction d’une nouvelle église. En 1859, Cyprien Tanguay est nommé curé de Saint-Michel-de-Bellechasse. Mais son administration y suscite de la grogne ce qui fait qu’il demande une nouvelle affectation. Ce sera Sainte-Hénédine-de-Dorchester, à 40 kilomètres au sud de Lévis.Tanguay cyprien bis

Il entreprend de dépouiller des registres des baptêmes, mariages et sépultures (BMS) de paroisses dès 1846. En effet, le curé avait accès aux registres des BMS du Québec qui sont probablement les mieux conservés au monde. En mars 1865, le sous-ministre de l’Agriculture du Canada-Uni, Jean-Charles Taché, lui écrivait : …ayant été informé du fait que des études et des travaux entrepris par vous, depuis plusieurs années, vous ont acquis des connaissances toutes spéciales sur les statistiques des premiers temps de l’établissement du pays, et ayant l’intention de constituer la statistique canadienne à dater de cette époque…

L’œuvre de Tanguay

Taché n’était pas seulement sous-ministre de l’Agriculture, mais aussi des Statistiques. Parle-t-il de Tanguay à son ministre ? Sans doute, car Thomas d’Arcy McGee, député de Montréal et ministre en titre de l’Agriculture, de l’Immigration et de la Statistique lui offre un poste. En effet, Taché a besoin d’aide pour accomplir sa tâche. Quoi qu'il en soit, le curé demande d’être relevé de sa cure. Comme son statut d’ecclésiastique lui interdit d’occuper un poste de fonctionnaire, il est « attaché au Département des statistiques [!] » avec un traitement confortable de mille dollars par année. C’est ainsi que Tanguay vient s’installer à Ottawa et se met à fréquenter les routes du Québec pour dresser un énorme fichier sur les familles du Québec. Ce fichier comprend pas moins de 122 623 fiches familiales qui contiennent 1 226 230 actes de baptêmes, mariages et sépultures. Cette compilation impressionnante constituera la matière du grand œuvre de Cyprien Tanguay, le Dictionnaire généalogique des familles canadiennes dont le premier volume – il en aura sept pour un total d’environ quatre mille pages - est publié en 1871.

Pour bâtir cette généalogie des familles canadiennes, Tanguay a systématiquement dépouillé les registres paroissiaux du pays, voire même de toute l’Amérique française. De longs voyages sur le continent européen lui ont aussi permis d’explorer minutieusement les dépôts d’archives stratégiques, comme le Dépôt des archives de la Marine à Paris, des fonds en Belgique, en Prusse et dans d’autres États allemands, ainsi qu’en Italie.

Le célèbre généalogiste québécois René Jetté a dit : Son œuvre maintenant centenaire demeure aussi estimable que monumentale, tant par l’ampleur de l’information, patiemment recueillie dans des conditions d’accès, d’éclairage et de transport héroïques, que par l’élan indiscutable et toujours soutenu qu’elle a donné aux enquêtes généalogiques au Québec.

Enfin, je souligne que nommé prélat romain en 1887, Cyprien Tanguay a pris sa retraite en 1893 et est mort à Ottawa le 28 avril 1902. Bien qu’il habitait à Ottawa, au 90, de la rue Guigues la maison est toujours en place , il a été inhumé dans la chapelle du Séminaire de Québec.

Le Dictionnaire généalogique des familles canadiennes peut être consulté en ligne (http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/dicoGenealogie/).

SOURCES

BAnQ, Dictionnaire généalogique des familles canadiennes depuis la fondation de la colonie jusqu'à nos jours / | BAnQ numérique.
Dictionnaire biographique du Canada en ligne; érudit.org.
GAGNON, Jacques, Père de la généalogie québécoise et canadienne, Montréal, LIDEC, 2005 ; Wikipédia.

Eugène Décosse, l'homme orchestre

Par Le 18/05/2023

      Il y a à Gatineau, près du boulevard Mont-Bleu, une rue appelée Décosse. Cette rue rappelle le souvenir d’Eugène Décosse, un grand sportif de la région qui a même revêtu le chandail de la sainte Flanelle.

      Eugène Décosse a été un grand sportif de la région. Né au 57, rue Wellington à Hull le 9 décembre 1900, du mariage d’Aristide Décosse avec Corinne Barrette, Eugène est un fanatique du sport, et plus particulièrement du hockey ; c’est un gardien de but de grand talent. Il joue pour les Canadiens de Hull, puis pour le Ottawa Royal Canadiens et l’Ottawa New Edinburghs. Au cours de la saison 1918-1919, il remporte six victoires en huit parties, dont cinq par blanchissage ! Il gagne, au cours des années suivantes, deux titres First All-Star et un titre Second All-Star.

      En novembre 1924, le Canadien de Montréal invite Décosse à son « camp d’entraînement ». Il obtient un contrat comme agent libre et se rend à Toronto pour l’inauguration de la saison 1924-1925. Le Canadien remporte la victoire au compte de 7 à 1 contre le St. Pat’s. Le gardien en titre du Canadien, Georges Vézina, a été si bon que Décosse a réchauffé le banc toute la partie. Peu après cette partie, le Hullois a été renvoyé à Hull.

      A-t-il été déçu de la façon dont il avait été traité par le grand club ? Sans doute. Quoi qu’il en soit, il revient dans la région en compagnie de deux autres joueurs de la sainte Flanelle : René Lafleur et René Joliat, ce dernier frère du fameux ailier gauche du Canadien, Aurèle Joliat, et du futur chef de police d’Ottawa, Émile Joliat.

      Eugène Décosse reprend alors sa carrière de hockeyeur dans les rangs amateurs et joue pendant deux saisons pour le Ottawa New Edinburgh’s pour prendre sa retraite définitive à l’âge de 26 ans.

Du sport à la politique

      De retour à Hull, Décosse a besoin de mettre Decosse eugenedu beurre sur son pain d’autant plus que son père est mort pendant l’épidémie de grippe espagnole et qu’il s’était marié en 1921. Or, Décosse a une imprimerie à laquelle il se consacre sans pour autant abandonner le sport puisqu’il joue au baseball avec des amis. En 1932, il fonde l’hebdomadaire L’Opinion publique, dont la devise est « Bien faire et laisser braire », pour appuyer la candidature d’Alexis Caron dans la campagne électorale provinciale. Insatisfait des Libéraux, il passe dans le camp de l’Union nationale en 1935.

      Membre de l’Association athlétique du Hull-Volant dès 1933, il met sur pied, en 1936, une fameuse équipe de hockey senior, soit celle du Hull-Volant dont il est l’instructeur. Il conduit cette équipe à la finale de l’est de la fameuse coupe Allan après avoir vaincu les équipes de Cornwall, Smith Falls, Moncton et les As de Québec. Malheureusement, l’équipe baissera pavillon devant les puissants Tigres de Sudbury qui alignent plusieurs futures vedettes de la Ligue nationale de hockey.

      En 1938, il construit le stade Décosse, rue Laurier (près de l’ancien monastère des Servantes de Jésus-Marie), où s’affronteront des équipes de baseball, des lutteurs, des boxeurs, pendant plusieurs années. C’est alors le lieu le plus achalandé de Hull.

      Le sport continue à jouer un grand rôle dans la vie de Décosse. Il préside les destinées de la Ligue de baseball interprovincial et la Ligue de la cité de Hull, il est aussi directeur de l’équipe nationale de baseball à Ottawa et… gérant de l’Auditorium d’Ottawa ! Véritable homme-orchestre. il se lance en politique municipale en 1941 et est élu à deux reprises conseiller du quartier Laurier. En 1945, il décide de se présenter à la mairie de Hull contre le populaire Raymond Brunet qui a mis fin au P’tit Chicago. Alertés par les bien-pensants qui craignaient cet homme non conformiste qui pourfendait le bon chef de police Adrien Robert, le clergé et la presse unissent leurs efforts pour lui barrer la route. Décosse est défait par un peu plus de mille voix. Mais comme il est un valeureux soldat de l’Union nationale qui a remporté le scrutin provincial de 1944, le voici nommé « chef de la police provinciale pour le district de Hull » ! Sa femme dira plus tard : « Eugène ne savait pas se servir de son revolver et je pense même qu’il avait un peu peur de cette arme. »

      Eugène travaille 16 à 18 heures par jour. Et malgré ses positions politiques, il ne rechigne pas à venir en aide à des gens d’un camp autre que le sien. En 1953, son journal, L’Opinion publique cesse ses opérations. Peu de temps après cette fermeture, Eugène Décosse subit un infarctus et, le 2 janvier 1955, il meurt d’un arrêt cardiaque.

Sources

http://wwweyesontheprize.blogspot.com/2007_04_01_archive.html 
Le Régional (Hull) 26 mars 1985.
La Revue,(Gatineau) 26  mars 1985.
TROTTIER, Jean-Claude, Le Petit Hull-Volant (1932-2007), Gatineau, 2009.

La Mission des crucifiés en Outaouais

Par Le 02/05/2023

Il est étonnant de constater la persistance de l’occultisme et des pseudosciences divinatoires dans notre monde moderne pourtant dominé par la science. L’être humain soumis à l’une des deux forces émotionnelles de l’espèce, la sexualité et la religion, est prêt à croire n’importe quoi et n’importe qui.

Dès que l’être humain s’est mis à penser, à essayer de comprendre son environnement, il a essayé de se concilier les forces qu’il estimait mystérieuses et à prévoir son avenir. Le premier grand auteur connu de l’occultisme est Bôlos de Mendès qui vivait en Égypte cent ans avant J.-C. Son livre principal s'appelle Questions naturelles et mystérieuses.

L’occultisme existait au Québec bien avant l’arrivée des populations européennes, car les Amérindiens pratiquaient eux aussi les arts divinatoires. Jongleurs et sorciers avaient mission de prévenir la maladie, de favoriser le triomphe des armes et d’assurer l’abondance de la chasse ; les incantations des sorciers servaient à éloigner les mauvais esprits.

En 1660, en Nouvelle-France, vivait à Beauport un meunier nommé Daniel Vuil. Amoureux de Barbe Hallay, celle-ci l’avait éconduit à cause de sa réputation de sorcier. Repoussé, l’amoureux n’a songé qu’à se venger, ce qu’il aurait fait en infestant la maison de la jeune femme de mille et un démons. On dit que dans la maison des pierres volaient de tous côtés jetées par des mains invisibles (sans blesser personne toutefois). La nuit, Vuil lui apparaissait avec deux autres sorciers. Mais seule Barbe voyait démons et sorciers. Exorcisée, enfermée chez les Hospitalières de Québec, elle finit par se débarrasser de ses démons et se marier avec Jean Carrier dont elle aura au moins cinq enfants.

Soupçonné de sorcellerie et de magie, Daniel Vuil a été condamné à mort comme hérétique, blasphémateur et profanateur des sacrements, puis arquebusé à Québec le 7 octobre 1661. Trente-deux ans plus tard, à Salem, en Nouvelle-Angleterre (États-Unis), les autorités exécuteront 21 « sorcières » pour avoir envoûté une quinzaine de leurs concitoyennes !

Les Crucifiés en Outaouais

Au cours de l’hiver 1931-1932, un comédien et hypnotiseur au chômage, Ovila Girard, s’improvisait gourou et fondait, à Montréal, la Mission des crucifiés. Girard entrait en transe au cours de chaque cérémonie qu’il célébrait dans un pauvre logement du Faubourg à m’lasse. Il prétendait incarner l’esprit du « docteur des Sauvages ». L’esprit de cet Amérindien qui s’appelait Baraboule avait été apparemment sauvé au Bic par la secte quand il avait été poursuivi par 200 Iroquois ! « Êtes-vous contents de me voir ce soir ? » questionnait le gourou enveloppé d’un nuage de fumée ?  L’assistance s’approchait de son chef spirituel et lui demandait de guérir leurs maux. Girard répondait parfois « May be » ou bien « You capish » !... L’emploi d’un anglais approximatif avait l’heur d’impressionner les esprits naïfs dont plusieurs prétendront avoir été guéris.Girard ovila et deux adeptes

Un jour que des membres de la Mission s’étaient rendus dans le Bas-du-fleuve pour y donner une représentation théâtrale, les fidèles de la secte s’étaient convaincus qu’une étoile d’une grosseur étrange les éclairait personnellement. Profitant de l’occasion, le gourou leur expliqua qu’il avait eu, pendant la nuit, une révélation : cette étoile était celle… des Rois mages et elle brillait pour la première fois depuis la naissance de Jésus-Christ !...

          En 1935, la secte des Crucifiés se transportait en Outaouais, plus précisément à Namur où elle disparaîtra à la suite d’un double meurtre commis par un de ses membres, Omer, frère du gourou. Accusé du meurtre prémédité de Léon Leclerc, 82 ans et d’Alfred Dudevoir, 65 ans, Girard sera pendu à Hull le 26 février 1937[1].

Une crédulité partagée

« Même les gens intelligents et cultivés croient en des choses bizarres », a écrit le professeur Michael Shermer, historien de la science, et rédacteur en chef du magazine Skeptic, dont le nom dit tout. Par exemple, dans les années 1990, l’Ordre du temple solaire réunissait des acteurs, des banquiers, des cadres d’Hydro Québec (une vingtaine), des hauts fonctionnaires, des ingénieurs, une journaliste du Journal de Québec, des médecins, des musiciens, des policiers, une psychologue, le maire de Richelieu, etc. Or, il s’y passait des choses difficiles à croire. Les membres de l’Ordre employaient comme engrais les « excréments du Christ », autrement dit ceux de la fille du gourou pour améliorer le rendement du potager biologique de la communauté, convaincus qu’ils avaient un pouvoir magique !

William Lyon Mackenzie King, premier ministre du Canada de 1921 à 1930 et de 1935 à 1948, pratiquait sérieusement le spiritisme et discutait, prétendait-il, avec l’esprit de Léonard de Vinci et celui de Louis Pasteur, rien de moins ! Dans son journal, à la date du 30 juin 1932, il a écrit : « Il ne fait aucun doute que les personnes auxquelles je me suis adressé étaient celles qui me sont chères et d'autres que j'ai connues et qui sont décédées. C'était l'esprit des défunts. »

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Ovila Girard (au centre) et deux membres de la Mission des curicifiés photographiés à Namur, en Petite-Nation. Collection Serge Girard.

SOURCES

GABOURY, Placide, L’envoûtement des croyances, Montréal, Les éditions Quebecor, 2000.
 LELEU, Christophe, La secte du temple solaire – explications autour d’un massacre, Claire Vigne Éditrice, 1995.
OUIMET, Raymond, L’Affaire des crucifiés, Québec, 2013.
SÉGUIN, Robert-Lionel, La sorcellerie au Québec du XVIIe au XIXe siècle, Montréal, 1978, éd. Leméac.


[1] Une troisième personne a été portée disparue, Annie Greenfield, conjointe d’Alfred Dudevoir.

À l'origine de Gatineau l'ancienne : la C.I.P.

Par Le 22/04/2023

Avant l’arrivée de la Canadian InternationaI Paper (C.I.P.), l’ancienne ville de Gatineau n’existait pas et son futur territoire faisait partie de la municipalité de Templeton-Ouest (Sainte-Rose-de-Lima). En 1925, le conseil municipal entreprenait des démarches auprès de la C.I.P. pour intéresser cette dernière à acheter des terrains à Templeton-Ouest pour y construire une usine de fabrication de papier. À cette époque, l’industrie du bois était encore florissante en Outaouais où on trouvait non seulement la E.B. Eddy et la MacLaren, mais aussi la Gilmour & Hughson et de nombreuses autres scieries.

La C.I.P. était issue de la St. Maurice Lumber Company acquise par l’entreprise étasunienne International Paper Company. En 1925, la C.I.P. achetait les actifs de la Riordon Pulp and Paper qui avait des territoires forestiers et des droits de coupe au Québec. Mais pour exploiter ses actifs, la C.I.P. devait, selon la loi, transformer au Québec le bois récolté dans cette province. En 1926, la C.I.P. fit l’acquisition des belles terres agricoles des Berlinguette, des Dugal-Dupras, des Davidson, des Goyette, des Madore, etc., qui vendirent leur propriété parfois à leur corps défendant.

Le chantier de construction, confié à la firme Fraser Brace Company qui embauche les ouvriers au nombre de 3 000, s’érige dès le mois de mai 1926. Les travaux de construction se font si rapidement que l’usine démarre ses opérations le 6 avril 1927. On y fabrique alors deux types de pâtes : la pâte mécanique (défibreur) et la pâte chimique (bisulfite).

L’usine est équipée de quatre machines à papier fabriquées par la Dominion Engineering Works de Montréal qui produisent quotidiennement 545 tonnes de papier. L’usine emploie alors de 1 000 à 1 500 travailleurs selon les saisons.

Fondation du village de Gatineau

La municipalité de Templeton-Ouest ne profitera pas longtemps des taxes foncières payées par la C.I.P. parce qu’en 1933, l’agglomération de  Gatineau, qui compte déjà 2 000 habitants à 90% francophones, se détache de la municipalité pour s’incorporer en village. Treize ans plus tard, soit en 1946, le petit village deviendra Ville de Gatineau (souvent appelé Gatineau Mills à cause des panneaux d’affichage de la C.I.P. : Gatineau Mills’ Plant.)

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La C.I.P dans les années 1930.

          En 1935, la C.I.P. faisait l’acquisition d’une cinquième machine à papier journal qui ne sera pas employée à cause de la crise économique. Toutefois, au début des années 1940, la machine sera convertie pour fabriquer de la pâte de rayonne qui servait alors au tissage des parachutes, très en demande à cause de la guerre. On ajoutera une sixième machine qui épaulera celle-ci pour répondre aux besoins suscités par le conflit mondial.

La fabrication du Ten/Test

En 1927, MM. Wiser et Timmins avaient créé une entreprise de transformation des résidus de bois de l’usine de papier journal de la C.I.P de Gatineau pour y produire du carton goudronné, et des tuiles acoustiques. La C.I.P. l’acheta l’année suivante et la nomma International Fibre Board Ltd pour ensuite commercialiser le carton-planche dur sous le nom bien connu de Ten/Test. En 1939, la C.I.P et Masonite Corporation forma une société commune qui construisit une usine de carton-planche vulcanisé, toujours à partir des résidus de l’usine de papier journal, le Masonite. En 1945, la C.I.P. érigea une usine de contreplaqués pour utiliser les bois feuillus de ses territoires de coupe. En 1947, la Commercial Alcohols Ltd s’installa à Gatineau, à proximité de la papeterie. Elle utilisera la liqueur issue de la cuisson des copeaux pour fabriquer de l’alcool de type commercial.

          Toutes ces entreprises satellites de la C.I.P cessèrent leurs activités entre 1970 et 1990. Je souligne que l’ancienne Gatineau Power Company, incorporée en 1926 et propriétaire de plusieurs barrages et usines de production d’électricité en Outaouais de même qu’au Nouveau-Brunswick et en Ontario (nationalisée par le Québec en 1963), était aussi la propriété de l’International Paper.

          En 1989, la C.I.P. devint Produits forestiers Canadien Pacifique ltée qui changea son nom pour Avenor inc. en 1994. Quatre ans plus tard, l’usine passa aux mains de la société étasunienne Bowater qui fusionnera avec Abitibi Consolidated en 2007 pour devenir Produits forestiers Résolu en 2011.

SOURCES

BAnQ-Outaouais.

HARDY, Mireille, De courage et de fierté – Courage and Pride 1927 – 2002.

MASSIE, J. Marcel, Histoire de la paroisse Saint-Jean-Marie-Vianney, tomes 1 et 2, s.l. s.d.

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Théotime Bonhomme : un entrepreneur... entreprenant !

Par Le 24/03/2023

          La Petite-Nation regorge de personnages plus grands que nature depuis les tout débuts de sa colonisation. Pensons aux Denis-Benjamin Papineau, premier ministre conjoint du Canada-Uni en 1846-1848, à Louis-Joseph Papineau, chef des Patriotes et le meilleur tribun de l’histoire du Québec, à Henri Bourassa, politicien exceptionnel et fondateur du journal Le Devoir, à Julie Bruneau, fondatrice d’un comité de femmes patriotes, etc.

À ces personnages bien connus, il faut ajouter Théotime Bonhomme. Né à l’île Perrot le 27 avril 1858, celui-ci épouse Coralie Tessier le 17 février 1879, à l'église Saint-Jacques-le-Majeur, à Montréal. La mariée n’a que 17 ans alors que Théotime en a 21. Trois ans plus tard, la famille Bonhomme s’établit dans la Petite-Nation, plus précisément à Papineauville. Théotime commence par fabriquer des meubles. Ses qualités d’organisation et son dynamisme sont rapidement remarqués par ses concitoyens qui l’élisent chef de la compagnie des pompiers volontaires de Papineauville le 3 février 1888. À ce titre, il sera appelé à superviser la construction de la première station de feu de la municipalité.

Homme on ne peut plus énergique, Bonhomme theotimeBonhomme devient vite un remarquable homme d’affaires. Dix ans après son arrivée en Petite-Nation, il se lance dans le commerce du bois de sciage et, en 1896, il fait de sa petite entreprise la Compagnie industrielle de Papineauville avec comme associé Henri Bourassa et trois autres Papineauvillois. La compagnie remportera un vif succès et Bonhomme en assurera la présidence jusqu’à sa mort. Dès 1935, alors que la plupart des concessions forestières étaient accordées aux papetières de la région, l’entreprise commence à orienter ses activités sur la vente de bois d’œuvre scié et de matériaux de construction – un précurseur des activités de l’entreprise d’aujourd’hui connue sous le nom de Bonhomme Pro à Gatineau et celui de Bytown Pro en Ontario.

Un industriel qui a à cœur sa région

L’industriel de Papineauville ne fait pas que des affaires. En effet, la politique l’intéresse et il n'hésite pas à appuyer Henri Bourassa à qui il voue une amitié indéfectible. Toujours est-il que Bonhomme brigue les suffrages de ses concitoyens qui l’élisent à la mairie de la paroisse de Sainte-Angélique de Papineauville de 1893 à 1897[1]. Théotime est alors solidement ancré à Papineauville. Aussi achète-t-il un terrain de son ami Bourassa et s’y fait construire une maison que l’on peut admirer au 179, rue Henri-Bourassa. L’homme est heureux en affaires, mais a le malheur de perdre son épouse qui décède le 20 décembre 1902 sans doute usée par 21 grossesses.

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul », dit l’Éternel[2]. Et Théotime est bien d’accord avec la bible. Aussi, le 14 juillet 1903, il épouse Hermine Provencher. Puis il acquiert, en 1907, la minoterie (moulin à farine) de Papineauville qui était l’ancien moulin banal des Papineau et vend la farine sous le nom de Five Stars à Montréal et à Ottawa. Il fonde aussi une crèmerie qui deviendra la plus importante du Québec et d’autres entreprises comme la Villeray Lumber.

     179 henri bourassa google maps     Théotime Bonhomme s’intéresse vivement au développement de l’Outaouais et il est celui qui électrifiera la municipalité de Maniwaki et qui y installera un réseau téléphonique. En effet, en 1904, il fonde la Compagnie électrique de Maniwaki, qui exploitera un barrage sur la rivière au Corbeau, et dont il se départira en faveur de la Gatineau Power en 1927, année où il fonde la Blanche River Power Company. Il construit alors un barrage et une usine d’alimentation électrique près du lac McGregor. Cette entreprise passera elle aussi aux mains de la tentaculaire Gatineau Power.

          Ami intime d’Henri Bourassa, l’industriel de Papineauville participe à la fondation du journal Le Devoir en 1910 et continue à s’intéresser à la politique : il est maire de Papineauville de 1925 à 1928. Il meurt à Papineauville le 3 avril 1939 et de nombreux journaux parlent de lui d’une façon élogieuse. Quant à sa seconde épouse, elle trouvera la mort le 11 février 1944 à l’âge de 88 ans.

Illustrations :

  1. Théotime Bonhomme.
  2. Le 179, Henri-Bourassa. Google Maps.

Sources :

BONHOMME, Claude, communications à l’auteur le 21 et 27 février 2023.
Calendrier 2015 : 125 ans de la brigade des pompiers, municipalité de Papineauville.
LEBLANC, Claire, Le moulin seigneurial de Papineau, Généalogie Petite-Nation, bulletin de septembre 2019.
Le Devoir (Montréal), 3 avril 1939.
Le Droit (Ottawa), 3 avril 1939.


[1] Son ami, Henri Bourassa, est devenu le premier maire de Papineauville en 1896-1897.

[2] Genèse 2 :18.

Hull : du centre-ville au centre-vide

Par Le 02/03/2023

Le centre-ville de l’ancienne ville de Hull a commencé à se développer dans le dernier quart du XIXe siècle. Mais la construction du pont Royal Alexandra (Interprovincial) va beaucoup ralentir son développement. Le commerçant de la rue Victoria, Basile Carrière, l’avait prévu en disant que si on construisait ce pont, les Hullois iraient acheter à Ottawa, rue Rideau, où les établissements commerciaux étaient plus nombreux et plus gros. C’est ce qui est arrivé.

          Dans les années 1940 et 1950, la rue Rideau, à Ottawa, était fort achalandée et moult clients des nombreux magasins diversifiés provenaient de l’Outaouais. Ces gens avaient une nette préférence pour les grands magasins comme Caplan’s, Freiman et Larocque qui, plus est, étaient situés tout à côté du marché By et des grands hôtels de la capitale fédérale. Seuls se développaient à Hull à une vitesse accélérée les débits de boisson, car les heures d’ouverture de ces commerces étaient plus longues au Québec qu’en Ontario. Aussi, les Ottaviens venaient s’amuser en grand nombre sur la rive gauche de l’Outaouais dans des boîtes de nuit telles Chez Henri et Standish Hall ou encore dans les hôtels comme l’Interprovincial et le Windsor.

          Néanmoins, le centre-ville de Hull se développait vaille que vaille rues Principale (Promenade du Portage) et Eddy, ainsi qu’à proximité de ces artères commerciales, où le consommateur trouvait pas mal tout ce dont il avait besoin. Il y avait des commerces importants comme les magasins à rayons multiplesPho 579 Pharand[1] (rue Champlain), Beamish, Metropolitan et Woolworth, des quincailleries, des restaurants, et même trois marchés d’alimentation : Dominion, A. L. Raymond et Steinberg. Le vieux Hull était aussi doté de lieux de divertissements, autres que des débits de boisson, comme le théâtre Laurier (1 250 sièges), le cinéma Cartier, de salles de quilles, de quatre salles de billard, de centres de loisirs paroissiaux et d’un rolostade au Pavillon Alouette, rue Eddy, un aréna, etc. On peut même dire que les rues Eddy et Principale étaient tapissées de vitrines où, les soirs et journées de congé, les Hullois allaient admirer les étalages.

          Mais voilà, édiles politiques et gens d’affaires, envieux du développement de la cité transpontine nantie de plusieurs dizaines d’immeubles à bureaux, réclament à cors et à cris la construction d’édifices fédéraux à Hull afin de pouvoir y faire croître les activités commerciales. En même temps, les autorités politiques fédérales cherchent à donner un visage bilingue à la Région de la capitale fédérale en établissant plusieurs de ses ministères à Hull.

Un miroir d’Ottawa

À la fin des années 1960, la Ville de Hull concocte un plan de « rénovation urbaine » de l’île de Hull qui entraîne la démolition de plus de 1 500 logements occupés par environ 6 000 personnes, soit 27% de la population du quartier. Bien que l’on construise de nombreux édifices fédéraux où travaillent désormais plusieurs milliers de fonctionnaires et que celui appelé Place (sic) du Centre soit doté de deux étages à usage commercial, les Crao p64 20magasins du centre-ville se mettent à péricliter. En effet, la population du vieux Hull privilégie désormais les centres commerciaux Place Cartier et Galeries de Hull construits au début des années 1960 d’autant plus qu’elle répugne à magasiner dans les tours à bureaux où la marchandise en vente est plus chère qu’ailleurs à cause du prix excessif des loyers. Pas plus fous que le reste de la population, les fonctionnaires magasinent dans les grands centres commerciaux plutôt qu’à la porte de leur bureau. Aussi, la vocation commerciale de Place du Centre est un échec.

          La diminution de la population de l’île de Hull, qui est passée de 22 000 à 10 000 habitants en 25 ans, à la suite des expropriations, d’incendies criminels, de la réduction de la taille des familles, de la spéculation foncière et de la construction de centres commerciaux, aura entraîné la transformation du centre-ville en centre-vide bitumineux qui, avec ses nouvelles tours à logements dispendieux et aux noms à consonance anglo-saxonne tels le Vibe, le Viù, le We font que le vieux Hull perd son identité et devient un peu plus chaque jour le miroir d’Ottawa. La preuve en est qu’un jour, un couple de touristes m’a abordé, rue Laurier, pour me demander la direction à suivre pour Gatineau ; il se croyait encore à Ottawa !

          En 1985, l’ancien ministre et député du comté, Oswald Parent, dira « n’avoir qu’un seul regret : celui de ne pas avoir réussi à faire disparaître le vieux Hull ![2] » L’île de Hull est désormais conçue non pour répondre aux besoins de ses habitants, mais pour séduire des promoteurs, des investisseurs (spéculateurs), des touristes.

Illustrations

1. Une partie de l’île de Hull dans les années 1940. (E.B. Eddy, PHO-579)
2. La rue Maisonneuve après la démolition des maisons du côté ouest. (CRAO P64-01-9)

Sources :

BOUCHARD, Daniel, Quand les béliers mécaniques frappaient aux portes du vieux-Hull, dans « Hier encore », no 3, 2011.
Le Droit (Ottawa), 17 mai 1985.
GUITARD, Michelle, entretien avec l’auteur 23 février 2023.
NADEAU, Jean-François, Pour que cesse la destruction des habitations, dans Le Devoir (Montréal), 27 février 2023.
POIRIER, Roger, Qui a volé la rue Principale, Montréal, Les éditions Départ, 1986.
THÉORÊT, Hugues, Dehors tout le monde, dans « Hier encore », no 3, 2011.

[1] Le magasin à rayons multiples de Josaphat Pharand, sera vendu à Thomas Moncion, puis à Georges Champagne, père d’Andrée qui a personnifié Donalda dans Les belles histoires des pays d’en-haut.

[2] Le Droit (Ottawa), 17 mai 1985. Triste farce : Parent sera honoré du titre de « bâtisseur de Hull » en 1995.

Alexandre Taché : un bleu chez les rouges

Par Le 17/02/2023

        On a longtemps cru qu’il fallait être membre du Parti libéral pour devenir député du comté de Hull à l’Assemblée législative du Québec, puis à l’Assemblée nationale. On a même dit que le Parti libéral pouvait faire élire un poteau s’il était peint en rouge. Cela est exagéré, mais il est vrai que pendant 41 années consécutives (1981-2022) les Libéraux ont détenu la circonscription. Toutefois, 4 députés du comté ont été élus comme membre du Parti conservateur, de l’Union nationale, du Parti québécois et de la Coalition avenir Québec. L’un de ses personnages a été Alexandre Taché député pendant 11 ans.

Alexandre Taché a vu le jour à Saint-Hyacinthe, le 17 août 1899. Il était le fils de Joseph de La Broquerie Taché et de Marie-Louise Langevin. Son père (1858-1932), notaire de profession, s’est signalé davantage dans le monde du journalisme comme directeur propriétaire du Courrier de Saint-Hyacinthe de 1902 à 1914 ; puis à Ottawa comme imprimeur du Roi, de 1914 à 1920, et conservateur de la Bibliothèque du Parlement, de 1920 à 1932. Il avait aussi, comme plusieurs membres de sa famille avant lui, milité dans les rangs du Parti conservateur dont il avait en vain porté les couleurs dans deux élections fédérales à Saint-Hyacinthe en 1904.Alexandre tache banq p46 s1 d5 p11 1

Alexandre Taché a fait ses études au séminaire de Saint-Hyacinthe, à l'Université d'Ottawa et à l'Université de Montréal. Le 21 janvier 1924, il était admis au Barreau de la province de Québec, puis a été fait conseiller en loi du roi en 1938. Huit ans plus tard, il était fait docteur honoris causa de l'Université d'Ottawa. Il a exercé la profession d'avocat à Hull jusqu'en 1956. Entre-temps, il a aussi été nommé bâtonnier du Barreau de Hull en 1939 et en 1944.

Alexandre Taché a épousé, le 26 octobre 1925, Berthe Laflamme, fille mineure d’Édouard-Hector, agent d’assurances, et de Delvina Berthiaume, dont il aura trois enfants : à Hull, dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce.

Si le ciel est bleu, l'enfer est…

En 1936, il se lance en politique et se fait élire comme député de l'Union nationale dans le comté de Hull[1] après avoir remporté la victoire contre le libéral Alexis Caron. Avait-il bénéficié d’un effet de chaire du haut de laquelle plus d’un prêtre a enseigné à ses paroissiens : « N’oubliez pas que si le ciel est bleu, l’enfer est rouge » ? Quoi qu’il en soit, il sera défait trois ans plus tard par le même Caron dont le Parti libéral décevra les Hullois tant et si bien qu’ils rééliront Taché en 1944, 1948 et 1952.

Nommé orateur (président) de l'Assemblée législative du Québec, il occupe cette fonction du 7 février 1945 au 15 décembre 1955, date de sa démission à la fois comme orateur et député. Selon le regretté Cartier Migneault, ancien libraire et membre de l’Union nationale, Alexandre Taché aurait un jour donné tort à son chef, Maurice Duplessis, qui pour se débarrasser de son député de Hull l’a alors nommé juge. Poursuivant sa vengeance, le « cheuf » serait allé jusqu’à empêché le fils de Taché, Pierre, à devenir candidat de l’Union nationale aux élections de 1956, lui préférant Roland Saint-Onge qui sera défait par 157 voix par le libéral Oswald Parent dans un scrutin qui entaché d’irrégularités. C’est ainsi que l’Union nationale a perdu le comté de Hull à tout jamais

Img 4038 rue champlain 1Comme député, Alexandre Taché, s'est plus particulièrement intéressé à la reconstruction et au développement des institutions régionales : écoles, prison de Hull – on lui doit hôpital du Sacré-Cœur de la rue Gamelin –, orphelinat Sainte-Thérése ; et à l'essor touristique de la Gatineau, par l'amélioration du réseau routier ; à l'encouragement des troupes théâtrales et littéraires de Hull et des talents artistiques locaux. S’il a été un fervent adepte du bridge et des échecs, il s’est aussi intéressé à la philatélie et à l'histoire

Juge à la Cour de magistrat des districts de Hull, Terrebonne et Pontiac en 1956, il est ensuite promu juge à la Cour supérieure en 1958. Il est alors reconnu pour sa loyauté, sa ténacité, sa perspicacité, sa tolérance et son entregent,

Alexandre Taché est décédé subitement d'une thrombose coronarienne à Hull, le 9 mars 1961 et a été inhumé dans le cimetière Notre-Dame de Hull ; il avait 61 ans et 6 mois. Il aura laissé le souvenir d’un homme plein d’humour et de principes.

Sources :

BAnQ.
Le Droit (Ottawa) juin 1956.
MIGNEAULT, Cartier, conversations avec l’auteur, janvier 1997.
Musée canadien de l’Histoire, site Internet consulté le 9 février 2023.
TACHÉ, Alexandre, o.m.i., Biographie de l’honorable Alexandre Taché (1899 – 1961) Député de Hull Orateur de l’Assemblée législative (1945 – 1955), UQO, janvier 1997

[1] À cette époque, Pointe-Gatineau faisait partie du comté de Hull.