Articles de ouimet-raymond

La crise du logement 1936-1952 : le cas du Creekside

Par Le 13/02/2021

         La Ville de Gatineau est aux prises avec une crise du logement depuis plusieurs années[1]. Rien de nouveau sous le soleil : à la suite de la dépression économique de 1929, la construction domiciliaire était au point mort de sorte qu'une crise de logement sans précédent s'ensuivit. Ainsi, le logement est devenu le plus grave problème social auquel était confrontée la population de l'ancienne ville de Hull, problème en partie causé par le conseil municipal lequel, en 1936, avait modifié le zonage et interdit la construction d'immeubles à logements multiples dans la majorité des quartiers de la ville.

          Dès le début de 1937, des familles érigent des maisons rudimentaires, pour ne pas dire des cabanes, sur la rive ouest du ruisseau de la brasserie, entre le boulevard Montclair et le pont du sentier du ruisseau de la Brasserie (alors un pont de chemin de fer). En 1941, ce secteur de la ville devient un véritable bidonville, nommé Creekside, où vivent dans un grand dénuement plus d'une centaine de personnes. Surnommé, avec mépris, Punaiseville et Puceville, le Creekside est qualifié de honte de la ville par les bien-pensants de tous bords pour qui les pauvres sont les artisans de leur propre malheur. Quoi qu'il en soit, en dépit de la relance de l'économie suscitée par la guerre, la crise de logement ne se résorbe pas. En effet, selon le journal The Standard Magazine (Montréal), du 12 décembre 1942, 34,5 % des logements de Hull sont alors surpeuplés.

          En décembre 1944, la Commission des prix et du commerce en temps de guerre déclare la région de Hull « région surpeuplée » et interdit à toute famille, qui n'y vivait pas avant le 26 février 1945, d'y louer ou d'y occuper un logement sans permis. Mais ni le gouvernement fédéral ni le gouvernement provincial ne comptent alors un programme de construction de logements à bas prix, ce qui fait dire à l'ancien maire Raymond Brunet (1940-1948) : « Pour la guerre, on avait de l’argent, mais pour des maisons, on n'en a plus ! » En effet, alors que la dette du gouvernement du Canada était de 5 milliards de dollars en 1939, elle est de 18 milliards en 1944. Toutes ces sommes ont été englouties dans la guerre. En 1951, alors qu'au cours des 7 premiers mois de l'année le gouvernement fédéral a accumulé un surplus budgétaire de 700 millions de dollars, il n'y a toujours pas d'argent pour loger les familles pauvres du Creekside. Ce n'est qu'en 1969 que la ville de Hull aura ses premiers logements à caractère social, lesquels serviront d'abord à loger les expropriés par la « rénovation urbaine ».

Une ville surpeuplée

          En dépit de l'interdiction de s'établir à Hull, la population du Creekside ne cesse de croître alors que d'autres familles ont érigé des cabanes à l'extrémité est du parc Jacques-Cartier, et sur le chemin du lac Leamy. En 1951, le Creekside abrite 234 personnes, au début de 1952, plus de 300 et en mai de la même année, il en compte au-delà de 400 ! Les autorités municipales avaient pourtant fait tout ce qu'elles pouvaient pour abriter les sans-logis au cours des années quarante : dans les casernes de pompiers, sous des tentes empruntées à l'armée, au manège militaire et même à l'hôtel de ville. Mais le problème était resté entier faute de construction domiciliaire importante pendant la guerre.

 

Creekside

          Le redémarrage de la construction ne suffit pas à loger tous les sans-abri. C'est ainsi qu'avec des matériaux récupérés – carton, pièces de bois disparates, tôle, etc. –, des familles se sont construit des abris de fortune, d'autres de pauvres maisonnettes. Pas d'eau courante ni toilettes reliées aux égouts dans ces masures le plus souvent dépourvues d'électricité. Les toilettes sont dehors, on s'éclaire à la lampe à l'huile, on lave les vêtements avec les eaux polluées et sales du ruisseau de la Brasserie. Pour éviter de faire de nombreux aller-retour entre bicoques et ruisseau, on ne change pas d'eau pendant le lavage, ce qui fait que les derniers vêtements lavés sont noircis par la crasse laissée par les hardes lavées plus tôt. L'hiver, on pratique des trous dans l'épaisse couche de glace du ruisseau pour se procurer de l'eau. Quant à l'eau potable, on va la chercher dans les maisons des propriétaires compréhensifs les plus proches, soit à 300 mètres au moins du bidonville.

          Pour le journal Le Droit, le Creekside est le refuge de la vermine – cafards, souris et rats – et de la malpropreté. Les bicoques, qui abritent des familles souvent nombreuses, sont pour beaucoup toutes petites et plusieurs sont dépourvues de plancher. Ces gens n'ont pas les moyens de manger plein leur ventre ni de varier leur menu : « Sur la porte du fourneau on voit une soupière décoiffée remplie de nouilles aux tomates », ajoute le scribe du journal Le Droit. À l'une de ses questions, la dame de la maison répond que le contenu de la soupière doit durer de six à huit jours. Elle ajoute : « Nous mangeons suivant nos moyens. » Et cette cabane n'appartient même pas au couple, dont le chef de famille travaille ; il paie un loyer mensuel de douze dollars !

Une colonie d'indésirables ?

          Des groupes de pression de la bien-pensance, convaincus que le Creekside est une source de promiscuité, d'immoralité et de délinquance juvénile, poussent la Ville à déloger, à expulser les résidents du Creekside, puis à détruire la centaine de cabanes dressées le long du ruisseau. Il n'y a pourtant pas de raison de croire qu'une expulsion puisse aider ces familles à se trouver un logement décent.

          Le 4 septembre 1951, le conseil municipal de Hull décide de démolir toutes les masures construites sans permis sur son territoire. On estime leur nombre à environ 110 ou 115, peut-être plus. Le 15 janvier 1952, la Ville ordonne aux résidents du Creekside d'évacuer leur logis au plus tard le 1er mai suivant. L'expulsion de ces familles n'atténuera en rien la pauvreté de ces gens puisqu'au lieu de la combattre elle s'attaque aux pauvres,

L'expulsion

          Le 26 mai 1952, démolisseurs et policiers se présentent au Creekside. Mais les résidents ne se laissent pas faire. Devant l'opiniâtreté de ces gens, la Ville n'a pas le choix de remettre à plus tard leur éviction : elle prolonge de deux mois l'échéance, car elle doit aussi tenir compte du fait qu'une partie importante de la population appuie les gens qui résistent à l'éviction.

          Enfin, tout au cours de l'été, la police locale voit à la démolition du Creekside de sorte que le 23 septembre 1952, le chef de police, Adrien Robert, peut annoncer que toutes les familles ont enfin quitté le bidonville. Mais on n’en a pas fini avec les taudis qui logent encore presque 300 personnes : il reste la cinquantaine de masures, appelées camps, situées au lac Leamy et à Silver Beach, ainsi que des baraques érigées à la Gatineau Boom. Mais c'est là une autre histoire.

          Pour en savoir plus, voir la revue Hier encore, numéro 8, 2016, La misère du Creekside.

Sources :

Archives de la Ville de Gatineau, dossier H005, Bureau du greffier, Ville de Hull ; H015, fonds du Service des arts et de la culture, Ville de Hull ; P120, fonds Théodore Lambert.
ANDREW, Caroline, André BLAIS et Rachel DESROSIERS, « L'information sur le logement public à Hull », Recherches sociographiques, vol. 16, n° 3, 1975, p. 375-383.
LAPOINTE, Pierre-Louis, « Les "Favelas" hulloises », Outaouais, Institut d'histoire régional de l'Outaouais, janvier 1986, p. 25-28.

Le Droit
(Ottawa), 1949-1952, 1957.

La Revue
(Hull), 1949.

The Ottawa Citizen
(Ottawa), 1949.

[1] Extrait d'un article publié dans Hier encore, no 8, 2016, sous le titre de La misère du Creekside.

 

Le pape chez les Servantes de Jésus-Marie

Par Le 08/02/2021

        Jean-Paul II aura été le pape qui a sans aucun doute le plus marqué le XXe siècle. En 1984, il est venu saluer la population outaouaise grâce aux initiatives de l'ancien maire de Hull, Michel Légère, et de l'évêque du diocèse de Gatineau-Hull, Mgr Adolphe Proulx.

       Plus d’un spécialiste de l’histoire et de la politique tient Jean-Pault II pour le responsable du démantèlement du « rideau de fer » et de l’effondrement du communisme. C’est aussi le pape qui a le plus voyagé. Son pontificat est le deuxième plus long de la papauté. Le plus long a été celui de Pie IX (31 ans : juin 1846 à février 1878). Toutefois, certains prétendent que le pontificat de saint Pierre a duré encore plus longtemps, mais c’est loin d’être assuré.

       Jean-Paul II a été le 268e pape (il y a eu 33 antipapes – tous ne s’entendent pas sur le nombre de papes) de l’Église catholique romaine et le 9e pape du XXe siècle. Quand il a été élu le 16 octobre 1978 par le Sacré Collège, il est devenu le premier non italien, depuis 1522, à occuper le siège dit de « saint Pierre ». Son prédécesseur étranger était Adrien VI, un Allemand élu en… 1522 !

Karol Wojtyla dit Jean-Paul II

       Né en 1920, Karol Wojtyla aura été le premier pape polonais de l’histoire de l’Église catholique romaine. Notons que 212 papes (dont 112 Romains, 56 « étrangers) étaient originaires de la péninsule italienne. Il n’était donc pas facile de devenir pape sans être Italien. Encore aujourd’hui, les Italiens sont majoritaires au Sacré Collège. Il faut dire que le pape est l’évêque de Rome. Et quand les papes résidaient à Avignon (1378-1429), ils étaient tous originaires du sud de la France.

       La tradition veut que le premier pape de l’Église romaine ait été saint Pierre lui-même. Mais plusieurs historiens mettent aujourd’hui cette affirmation en question. D’abord parce que saint Jacques, le frère de Jésus, aurait été le premier dirigeant de la petite communauté de Jérusalem et, surtout, parce que l’on ne compte pas la moindre donnée historique sur les trois premiers papes. Ce n’est d’ailleurs qu’en 177 qu’Irénée, évêque de Lyon, a dressé une liste des papes. Tous les papes des quatre premiers siècles ont eu droit au titre de saint, à l’exception d’un seul :Pape hull 1 Libère (352-366). Le mieux connu des papes des deux premiers siècles est saint Clément (88-97). Il a d’ailleurs écrit une Épître, datée de 95 ou 96, qui est le plus ancien texte chrétien original connu. Toutefois, la plus grande partie de sa vie a plus à faire avec la légende qu’avec la vérité.

       Jean-Paul II a été un pape très médiatique. Mais savez-vous que le premier à être filmé a été Léon XIII, et cela a été fait à sa demande (1810-1903, troisième règne le plus long, 25 ans et 5 mois) ?

       Souverain pontife est l’un des titres du pape. Ce titre lui vient directement de Rome où les empereurs étaient des Maximus Pontifex. De fait, la papauté est une monarchie absolue où seuls les princes (cardinaux) sont invités à choisir le pape. On pourrait dire que l’Église catholique est l’héritière de l’Empire romain qui s’est perpétué à travers elle. Cette monarchie, sans doute la plus ancienne de notre histoire, fascine toujours les peuples même si elle est quelque peu anachronique. Et quand le pape voyage, il attire des foules plus qu’aucun autre chef d’État.

Chez les Servantes de Jésus-Marie

       Septembre 1984, le pape Jean-Paul II fait une visite au Canada. Il est prévu qu’il vienne à Ottawa, mais pas du côté québécois de la rivière des Outaouais, et cela chagrine une partie de la population catholique pratiquante. Et ce, d’autant plus que l’Église catholique outaouaise est plus ancienne que l’Église ottavienne : la paroisse de Montebello a ouvert ses registres en 1815 alors que celle d’Ottawa date de 1827.

       Le maire de Hull, Michel Légère (maire de juin 1981 à novembre 1991), croyant et pratiquant, commence alors des tractations avec les autorités religieuses pour obtenir que le pape vienne rencontrer la population outaouaise. Rapidement, il s’aperçoit qu’à l’exception de l’évêque de Hull, Mgr Adolphe Proulx, les autorités religieuses d’Ottawa, archevêque en tête, ne favorisent pas la visite du pape Hull.

       Le maire Légère est un homme qui ne manque pas de front. Ainsi décide-t-il de s’adresser directement au pape. C’est ainsi qu’il lui envoie un long télégramme lui demandant de bien vouloir faire une visite à Hull, ville où l’immense majorité des citoyens est catholique. À Ottawa, certaines autorités religieuses ne sont pas trop contentes de l’intervention du maire qui, contre toute attente (son conseil municipal était plutôt sceptique quant à ses chances), finit par obtenir une réponse favorable. Afin de ne pas déplaire aux autorités religieuses d’Ottawa, on décide en haut lieu ecclésiastique que le pape viendra à Hull non pas pour y rencontrer les autorités religieuses ou civiles hulloises, mais les humbles Servantes de Jésus-Marie. Cet ordre de contemplatives a été fondé par Éléonore Potvin, en collaboration avec l'abbé Alexis-Louis Mangin, à Masson en 1895 et s’est établi à Hull moins de 10 ans plus tard.

       La visite du pape chez les Servantes de Jésus-Marie, religieuses, que la population a longtemps considérées comme les paratonnerres de Hull, se fait dans l’enthousiasme et avec la participation d’une foule nombreuse évaluée à 70 000 personnes. Les cris de « Vive le pape » retentissent, des petites drapeaux blancs et jaunes sont brandis dans les airs à la vue du pape qui salue de gauche à droite ceux qui sont venus l'accueillir aussi chaleureusement.

       Même si le pape sort du couvent avec plus d'une heure de retard sur l'horaire prévu, les milliers de personne venues le voir à son arrivée en fin d'après-midi sont encore là à 20 heures 50. « Viens nous voir, Jean-Paul II » [...] « mon cher Jean-Paul, c'est à ton tour...» chantent-ils quand le pape sort du monastère.

       En souvenir de sa visite, le conseil municipal offre à Jean-Paul II un vélo, blanc et or, fabriqué ici par Cycle Bertrand. Le pape fera don de la bicyclette  aux religieuses. Comme elles sont pour la plupart âgées et qu’elles ne peuvent pas s’en servir, le conseil municipal leur a échangé contre deux tricycles. Le vélo du pape est maintenant exposé au Centre sportif de Gatineau.

SOURCES :

BARBEZIEUX, Alexis de, Histoire de la province ecclésiastique d'Ottawa et de la colonisation dans la vallée de l'Ottawa, Ottawa, 1897.
Hier encore (Gatineau), no 10, 2018.
Papauté, Encyclopædia Universalis.fr
Site Web, ServantesdeJésus-Marie.org
Wikipédia.

Au temps des années folles

Par Le 18/01/2021

C'était le bon temps ?

          Nous avons bien souvent une vue idyllique des années qui ont suivi la Grande Guerre et que l’histoire appelle les Années folles et nos grands-parents ou arrière-grands-parents, le bon vieux temps. Évidemment, c’était une époque pleine de promesses... qui n’ont guère été tenues.

Reunion de familleAu temps des Années folles, on danse le charleston sur une musique endiablée, et on écoute en rougissant les chansons polissonnes de Maurice Chevalier – Elle avait de beaux petits tétons...– celles plus romantiques de Lucienne Boyer – Parlez-moi d’amour... C’est le temps des changements vestimentaires révolutionnaires, du moins chez les femmes. Elles rangent au grenier les robes à corset, qui leur cachaient le corps du cou jusqu’aux chevilles, et les remplacent par des robes sacs qui découvrent leurs genoux. Et, elles portent désormais les cheveux courts. Les hommes délaissent les guêtres et leur cravate se porte désormais sous le col de chemise. Ils remplacent définitivement la pipe par la cigarette que même des femmes osent fumer en public : « Tu vas brûler en enfer avec ta cigarette », disait alors Zoé Chaput, scandalisée, à sa fille Léonie Mainville ! La montre-bracelet remplace définitivement celle de poche au grand dam des voleurs à la tire qui voient leur travail se compliquer singulièrement.

Le canon réduit au silence, la grippe espagnole vaincue, on est convaincu que le pire est passé. Le monde a besoin d’air et de plaisirs. Ces années folles, années d’insouciances si on en croit le cinéma américain, ne sont pas aussi heureuses que l’on croit, du moins pour les classes laborieuses qui comptent pour la grande majorité de la population. On est si pauvre que les hommes attendent l’âge de 27 ans, en moyenne, pour prendre épouse. Car, ne l’oublions pas, à cette époque, le mâle joue généralement le rôle de pourvoyeur unique de la famille. Et puis, il y a la maladie, dont une fait des ravages épouvantables : la tuberculose.

Un avenir radieux

          À Hull, les bordels font des affaires d’or sous l’oeil bienveillant des autorités municipales. Rue du Pont (Eddy), on joue dans des barbottes et on s’amuse ferme dans de petits bals à l’huile. La science et la technique moderne, qui devaient rendre le monde infiniment heureux, révolutionnent la vie quotidienne. La radio fait son apparition et le cinéma muet attire des foules de plus en plus nombreuses. La population fréquente les cinémas Éden, Odéon ou encore Talbotoscope à Hull, Family Theatre à Aylmer ou Oasis à Buckingham où elle s’entiche du célèbre acteur Rudoph Valentino. Le théâtre aussi est populaire et on vient en grand nombre à la Salle Notre-Dame (Hull), qui compte pas moins de 824 sièges et 4 loges, voir les Léonard Beaulne, René Provost, Ernest Saint-Jean et Wilfrid Sanche qui jouent dans la Légende de Frésimus ou Michel Strogoff. Le dimanche après-midi, la foule vient écouter la fanfare du régiment de Hull, au kiosque du parc Eddy.

Les spectacles sportifs attirent de plus en plus les foules. Au parc Woods, rue Laurier, à Hull, jouent de nombreuses équipes de baseball dont le B. B. surnommé les « bébés roses ». En 1925, on accourt en foule au parc Dupuis pour voir des héros sportifs américains : des joueurs de baseball des Yankees de New York, les célèbres Babe Ruth Cinema edenet Lou Gehrig. Puis c’est l’inauguration du fameux parc Luna (Moussette) qui attire des foules enthousiastes dans ses manèges, dont de superbes montagnes russes, sur sa piste de danse et son pavillon de patin à roulettes.

On s’organise

De plus en plus, les travailleurs se rendent compte que pour améliorer leur sort ils doivent faire front commun, c’est-à-dire se syndiquer. Les syndicats internationaux – américains en fait – ont enrôlé nombre de travailleurs québécois. Depuis peu, l’Église reconnaît aux travailleurs le droit d’améliorer leur sort. Et pour contrer le syndicalisme américain, elle appuie activement la fondation de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada – la future Confédération des syndicats nationaux (CSN) – qui a lieu au cours d’un congrès qui se tient à Hull du 24 au 29 septembre 1921.

Les travailleurs ont beau se syndiquer, les grosses entreprises n’acceptent pas facilement de partager pouvoir et profits. C’est ainsi que se déroule à Hull, en 1924, la grève des 275 allumettières de la E.B. Eddy Matches qui luttent avec l’appui de l’ensemble de la population et des autorités municipales. La solidarité des allumettières leur vaut de gagner plusieurs points. Mais cette victoire sera brève : en 1928, la E.B. Eddy vend la Eddy Matches qui ferme ses portes pour les rouvrir à Pembroke, en Ontario. Heureusement, une nouvelle entreprise s’était établie l’année précédente en Outaouais, la Compagnie internationale de papier (C.I.P.), qui est à l’origine de la fondation de Gatineau erronément appelé Gatineau Mills par la population. Puis, c’est le krach de 1929 qui pousse au chômage des dizaines de millions de travailleurs. Les années folles sont finies.

SOURCES :

Multiples, dont les livres de Lucien Brault sur la région, divers numéros de la revue Hier encore, mes recherches sur les Allumettières et les cinémas de Gatineau. La première photographie vient de ma collection. la seconde de BAnQ-Outaouais, P74 D120 P5.

La funeste année 1955

Par Le 14/01/2021

       Au cours des sept premiers mois de l'année 1955, les incendies firent 10 morts dans l'ancienne ville de Hull aujourd'hui devenue Gatineau. C'était un record dans I'histoire de la ville, qui avait alors moins de 50 000 habitants, à I'exception de 1910, année d'une terrible explosion.

       Hull était alors en pleine décadence économique ; depuis une vingtaine d'années, les usines fermaient et la population s'appauvrissait. Le vieux Hull était dans un état de « taudification » avancée qui donnait prise au feu. Et pourtant, c'est dans un quartier récent qu'une grande tragédie frappa alors une famille hulloise.

       Le soir du 23 juillet 1955, une partie de la famille Laurin s'était attardée à une soirée de fiançailles chez des parents. Étaient restés à la maison, rue Caron, 7 enfants âgés de 2 à 14 ans en compagnie de leur grand-père, Ferdinand Blais, et d'un chambreur, Jacques Nault. En fin de soirée, tous dormaient : les enfants à l'étage supérieur, Ie grand-père dans sa chambre et Ie chambreur sur Ie divan du salon. Malheureusement, Ie four électrique était resté allumé, et une tranche de pain oubliée dedans prit feu.

       Il faisait chaud cette nuit-Ià. Vers 2 h 30, un voisin, Claude Labelle, qui était assis sur son balcon, comme Ie faisait généralement les Hullois  en temps de canicule quand la chaleur du jour avait trop chauffé l'intérieur des maisons, aperçut une grande lueur venant de chez les Laurin. II crut d'abord que l'on venait d'allumer la lumière, mais alla tout de même voir de plus près. Le feu faisait rage dans la cuisine ! Labelle revint chez lui en vitesse, appela les pompiers et téléphona chez les Laurin dans l'espoir de réveiller la maisonnée. Comme personne ne répondait, il courut à la maison et vit que Ie chambreur venait de s'éveiller. Ahuri, ce dernier pensa tout de suite aux enfants qui dormaient à I'étage. II tenta de se rendre à leur chambre, mais les flammes I'en empêchèrent.

       Arrivés sur les lieux, les pompiers réussirent à sauver d'une mort certaine Ie grand-père, âgé de 79 ans. Puis, ils combattirent l'incendie a l'aide de cinq puissants jets d'eau et Ie maîtrisèrent vers 3 h 30. Ils entrèrent ensuite dans la maison où ils firent les macabres découvertes : près de la porte du sous-sol, Ie cadavre de Gilles, 7 ans ; autour de la cuisinière électrique, Lise, 2 ans, et Annette, 14 ans ; dans l'escalier, Nicole,13 ans ; et dans Ie placard de leur chambre, Suzanne, 10 ans, Paulette, 9 ans, et Diane, 5 ans. Peut-on imaginer I'effondrement des parents à leur retour ?

Une mauvaise réputation

       Cet incendie qui anéantit une partie de la famille Laurin, et Funeste annee 1955d'autres - comme celui de la famille Larcher en 1966 - qui firent plusieurs victimes ont contribué à donner à tort une mauvaise réputation à la ville de Hull en matière de sécurité incendie.

       Cette tragédie ne fut pas la dernière de 1955. À cette époque, la rue Montcalm était bordée de constructions de toutes sortes : écoles, hôtel, usines, édifices à logements, maisons, stations-service, magasins. Cette rue, qui débouchait au sud sur la rue Principale et à I'ouest sur Ie boulevard Saint-Joseph, était très animée, car elle reliait l'île de Hull au secteur appelé Wrightville et était située dans un quartier densément peuplé.

       La nuit du 17 novembre 1955, une neige mouillée tombait abondamment sur la ville. Vers minuit quarante-cinq, Ie feu éclata au deuxième étage d'un immeuble à logements de trois étages, situé au 124, de la rue Montcalm. Très rapidement, Ie feu se propagea dans un corridor et gagna Ie troisième étage.

       L'incendie finit par s'éteindre sous les tonnes d'eau déversées par les pompiers. L'immeuble carbonisé ne brillait plus. Ses fenêtres et ses portes béantes ressemblaient à des ouvertures de tombeaux. Puis, les cris se turent. Le ronronnement des camions à incendie et les sanglots étouffés avaient fait place à un triste silence. Au sommet  d'une échelle, un pompier apparut, Ie corps d'une fillette morte dans ses bras. Dans la foule, une femme s'affaissa. Puis, les pompiers sortirent Ie corps d'un garçon, suivi de celui d'un homme. La foule retenait son souffle. Un jeune homme s'écarta brusquement. « Qu'as-tu ? », lui demanda-t-on. Il s'arrêta, les yeux hagards. « On descend Ie corps de mon père », répondit-il. Et il se tourna en sanglots contre Ie mur d'une maison voisine.

       Malgré Ie sacrifice suprême d'un Lucien Deriger, Ie bilan de I'incendie était lourd : 5 morts et 8 blessés. Parmi les morts : Ie jeune Yvon Belisle, Ie garçon qui avait alerté sa mère. On Ie trouva affaissé sur le sol, étouffé par la fumée. Outre Lucien Dériger, les autres victimes étaient Antonin Parent, son épouse Monique Côté et leur fille Diane. L'enfant, que Ie policier avait attrapé, était leur fils Georges, désormais orphelin. Aux funérailles des trois membres de la famille Parent, les pompiers, profondément émus, accompagnèrent les dépouilles mortelles à leur dernier repos.

       Quinze morts en une année, on n'avait jamais vu cela à Hull. Mais avant que l'année 1955 prenne fin, elIe en fit encore deux autres. Cette série d'incendies mortels sans précédent poussa Ie maire Thomas Moncion à ordonner au service d'incendie d'être plus sévère dans les inspections des bâtiments et de mettre en œuvre une campagne de prévention. La décision du maire semble avoir porte-fruit puisqu'au cours des six années suivantes, il n'y eut que 7 décès causés par Ie feu, et Ie funeste record de l'année 1955 n'aura jamais été battu.

Source:

OUIMET, Raymond, Une ville en flammes, Hull, éd. Vents d'Ouest, 1997, pages 176, 177, 202 à 205.

Le légendaire Jos Montferrand

Par Le 02/01/2021

          Qui n’a pas entendu parler des exploits de Jos. Montferrand, figure mythique de l’Outaouais du XIXe siècle ? Né le 25 octobre 1802 à Montréal, Jos. Montferrand, fils de François-Joseph Favre dit Montferrand (1773-1908), voyageur, et de Marie-Louise Couvret (1782-?), grandit dans le faubourg Saint-Laurent, à deux pas du Fort-Tuyau et du Coin-Flambant, deux tavernes situées à l'angle des rues Lagauchetière et Cadieux. Il est devenu une véritable légende grâce aux combats qu'il a remportés au cours de sa vie. En 1818, il devient une célébrité quand il flanque une raclée à trois brutes qui terrorisent les gens du faubourg Saint-Laurent à Montréal. En 1828, il remporte un combat contre le champion de la marine anglaise au quai de la Reine, à Québec, devant une foule considérable.

          Il commence par gagner sa vie en 1820 comme charretier à Kingston (Ontario)pour ensuite entrer, peu après la mort de sa mère, au service de la Compagnie du Nord-Ouest qui vient enfin de se joindre à la Hudson Bay Company, qui fait le commerce des fourrures. En 1827, Montferrand quitte la Compagnie du Nord-Ouest pour entrer au service de Joseph Moore qui exploite des coupes de bois sur la rivière du Nord ; il est conducteur en chef pendant deux ans. En 1829, il passe au service de Bowman et McGill, riches marchands de bois dont les scieries sont situées sur la rive droite de la rivière du Lièvre. C’est là son premier voyage en l'Outaouais où il régnera en maître pendant trente ans, et où il sera « conducteur d'hommes, défenseur des siens et redresseur de torts. ». Pendant plus de trente ans, Montferrand est tour à tour contremaître, chef de « cages » et l’homme de confiance de ses employeurs, pour lesquels il se fait médiateur de conflits. Ces derniers se l’arrachent et font appel à lui pour régler ce genre de problèmes.

Un gentilhomme fort

          Haut de 1,93 mètre, Jos. Montferrand avait, rapporte l'historien Benjamin Sulte, de grands yeux bleus, les cheveux blond foncé, le teint clair et les joues roses. « Danseur incomparable, précise Sulte, un peu poseur comme tous les beaux garçons [...] À table, gai et poli, à la mode des anciens seigneurs. » Sulte a conclu : « La postérité se tromperait grandement si elle en faisait un hercule mal dégrossi, avide de luttes et rude envers les autres comme il l'était parfois pour lui-même... Il y avait un fonds de chevalerie dans son coeur et dans son imagination. Au Moyen âge, il eut porté la lance et Tombe montferrandla hache d'armes avec éclat, pour Dieu, sa dame et son roi. »

          Dans les années 1830, Wrightstown (les Chaudières, Hull) et Bytown (Ottawa) subissent la violence des Shiners, des raftsmen irlandais déterminés à monopoliser le travail dans les chantiers aux dépens des Canadiens Français. Les deux rives de la rivière des Outaouais servent alors de théâtre à de titanesques combats au cours desquels Jos. Montferrand ferait preuve d'une force et d'un sens de la justice exceptionnelle. C'est pour rendre hommage à son courage que l'on a donné son nom à l’actuel Palais de Justice de Hull.

Une bataille mémorable

          À plus d'une reprise, Montferrand défend ses compatriotes contre les Shiners qui prétendent faire la loi dans Bytown et n’hésitent pas à mettre le feu aux maisons, à battre les passants et même à tuer. Dans l’atmosphère surchauffée qui règne sur la région, Montferrand prend vite la stature du chevalier sans peur et sans reproche en triomphant des Irlandais. Son haut fait le plus célèbre et légendaire remonterait à 1829. Plus de 150 Shiners, armés de gourdins, s'étaient embusqués du côté de Wrightstown à l’extrémité du pont Union (site de l’actuel pont des Chaudières) qui traversait la rivière des Outaouais. Avant de s’y engager, Montferrand, soupçonneux, interroge la tenancière d'un débit de boisson situé tout près du pont du côté de Bytown. Sur l'assurance que le pont est désert, il s'y aventure. À peine est-il arrivé au milieu que l'ennemi fonce sur lui. Tentant de revenir sur ses pas, il se rend compte que la femme a perfidement fermé les portes du pont. Après avoir fait le signe de la croix, il passe à l'attaque : il saisit un des assaillants par les jambes et s'en sert comme d'une masse pour abattre les autres. En pleine bataille, l'un des adversaires l'implore du regard et se signe. Montferrand lui dit de se placer derrière lui. La lutte acharnée n'en continue pas moins et Montferrand abat homme par-dessus homme. Alors que la troupe ennemie est mise en déroute, le traître qu'avait protégé Montferrand l'assaille par-derrière et lui assène un coup de gourdin. Vivement, le héros se retourne, assomme son agresseur et le jette dans le gouffre. La scène est horrible, le sang coule du tablier du pont diront plus tard des témoins qui ont sans doute exagéré le déroulement de l'action. De la rive hulloise, un groupe de gens regarde les Shiners fuir à toutes jambes par le chemin d'Aylmer et Montferrand traverser, victorieux, le pont Union.

          En 1852, à Champlain, Montferrand épouse Marie-Anne Trépanier qui meurt 11 ans plus tard sans descendance, puis en 1864 à Montréal, il marie Esther Bertrand qui lui donnera un enfant posthume : Napoléon-Louis (1865-1896).

          Montferrand est mort à Montréal, à son domicile de la rue Sanguinet, le 4 octobre 1864 et il a été inhumé au cimetière Côte-des-Neiges où se dresse, sur sa tombe, un monument de granit gris.

Sources :

Dictionnaire biographique du Canada.
Histoire forestière de l'Outaouais, capsule B8, site internet http://www.histoireforestiereoutaouais.ca/b8/

Nos origines.qc.ca

PRÉVOST, Michel, Jos Montferrand, de la légende à la réalité, Fédération des Québécois de souche, https://quebecoisdesouche.info/jos-montferrand/

SULTE, Benjamin, Histoire de Jos. Montferrand, l’athlète canadien, Montréal, 1899.

Albert Demers : un artiste international de l'Outaouais

Par Le 08/12/2020

       L'Outaouais regorge d’artistes de toutes sortes. Souvent méconnus ici, ils font souvent un tabac ailleurs au pays ou dans le  monde. C’est le cas d’Albert Demers, un personnage à la vie étonnante, originaire de l’Île aux Allumettes dans le Pontiac.

       Albert Demers naît le 12 avril 1910 à Pembroke, Ontario, mais grandit à Demers Centre, un petit hameau situé au cœur de l’île aux Allumettes, soit à environ 150 kilomètres de Gatineau. La famille Demers est l’une des premières familles francophones à s’établir à l’île aux Allumettes dès le début des années 1830. Plus tard, un certain Moïse Demers est devenu maître de poste et c’est comme ça que le lieu a pris de nom de Demers Centre.

       Issu d’une famille qui subsiste grâce aux ressources offertes par la forêt, Albert commence tôt à dessiner dans un calepin ours, chevreuils, orignaux, bref tous les animaux sauvages qu’il voit. Vers l’âge de 9 ans, il s’amuse à sculpter des figurines d’animaux et même de personnages. Ses outils se limitent à un rasoir droit. Mais l’enfant a du talent. Ainsi, quand il accompagne son père au marché de Pembroke (Ontario), il réussit à y vendre plusieurs de ses œuvres. Il lui arrive même de rapporter à la maison de 15 à 20 dollars, sommes considérables à cette époque. À l’adolescence, des gens aisés de Pembroke l’embauchent pour peindre des scènes sur les murs de leur maison. De plus en plus de touristes, qui fréquentent les forêts giboyeuses de l’Outaouais, lui achètent des œuvres comme souvenirs.

Un client célèbre : Al Capone

       Sa réputation s’étendra soudainement un matin de 1930 quand une grosse Oldsmobile noire arrive chez lui, à Desjardinsville, un hameau de l’Île-aux-Allumettes où un traversier interprovincial relie les insulaires à la ville de Pembroke. Deux gorilles sortent de la grosse voiture noire, armes cachées sous le manteau, et l’apostrophent en lui disant que leur patron veut le rencontrer. Le peintre, qui n’a pas le choix d’accepter une invitation aussi insistante, monte dans la luxueuse automobile où on lui bande les yeux. L'Oldsmobile s’arrête longtemps plus tard, dans un lieu situé à une centaine de kilomètres de l’île aux Allumettes, près des Rapides-des-Joachims. Enfin, on lui débande les yeux. Sculptures albert demersDevant lui, un homme puissant, que toutes les polices d’Amérique du Nord aimeraient bien mettre à l’ombre pour le reste de ses jours : Alphonso Caponi dit Al Capone !

       Capone possédait un pavillon de chasse et pêche non loin des Rapides-des-Joachims, au lac de la Théière (anciennement Tea Pot Lake) et avait entendu parler des talents d’Albert Demers. Il demande, sinon commande au Pontissois de peindre des scènes sur les murs de sa résidence de Chicago. Le jeune peintre, qui tremble dans ses culottes, demande un semblant de rétribution : 100 dollars. Capone réplique en lui offrant… 10 000 dollars ! À Chicago, Albert décorera deux salles sous la garde d’hommes armés.

       Albert Demers ne s'établira pas aux États-Unis et continuera à vivre à l’Île-aux-Allumettes. En 1940, il épouse une jeune femme de Hull, une certaine Jeanne Dupuis, après avoir passé l’hiver à la maison des célèbres acteurs américains Clark Gable et Carole Lombard où il a peint des scènes murales. Puis il s’installe dans la région de Montréal (Saint-Timothée de Beauharnois et Saint-Zotique) où il peint et fait de la sculpture sur bois. Il vend ses œuvres aux magasins Dupuis Frères et Simpson de Montréal. En 1945, l’archevêque d’Ottawa, Mgr Alexandre Vachon, lui commande des statues de la Vierge et un groupe d’anges pour le congrès marial. Puis, le peintre s’installe à Chomedey (Laval) où il terminera ses jours.

       Albert Demers n'oubliera jamais l'Outaouais : il passe tous ses étés, avec sa femme et ses trois enfants, à son chalet du lac Jim, situé au nord de Waltham, sur la rivière Noire. Il meurt le 29 mars 1989 à Laval, et laissé derrière lui une œuvre exceptionnelle et abondante, disséminée un peu partout dans le monde.

Sources

Centre d’Histoire La Presqu’île, Archives régionales de Vaudreuil-Soulanges.
Généalogie outaouaise de Jean-Guy Ouimet, 
Généalogie outaouaise-Ascendance Albert Demers (sympatico.ca)
LEROUX, Manon, L’Autre Outaouais – Guide de découverte du patrimoine, Gatineau, Pièce sur pièce, 2012.

L'affaire Dorothea Palmer

Par Le 19/11/2020

Les Canadiennes ont longtemps lutté pour avoir le droit de disposer de leur corps comme bon leur semble. Retour sur un étonnant procès qui s’est déroulé à Ottawa en 1936-1937 et qui a fait les manchettes de tous les journaux du pays : l’affaire Dorothea Palmer.

          Le droit à la contraception existe chez les autorités civiles depuis longtemps, mais pas chez les toutes les autorités religieuses. Par contre, les autorités civiles ont longtemps interdit d'en faire la promotion. L’Église catholique acceptait la contraception par des moyens naturels et elle accusait les Églises protestantes et le judaïsme d’accepter la contraception avec des moyens artificiels et mécaniques.

          Né en Angleterre en 1908, Dorothea Palmer exploite une bibliothèque à Ottawa et est, à temps partiel, une infirmière visiteuse de la Parent Information Bureau qui avait été fondé en 1935 à Kitchener par un riche philanthrope de l’endroit, A. R. Kaufman. L’objectif de l’organisation était d’informer les parents de familles pauvres sur des moyens anticonceptionnels et de leur vendre des instruments peu coûteux. Depuis sa fondation, la Parent Information Bureau avait répondu à 43 000 demandes à la suite d’enquête dans des foyers de pauvres.

          À partir de renseignements qui lui provenaient surtout des médecins, Dorothea Palmer organisait des réunions de famille dans les quartiers pauvres de la ville et informait les mères des moyens de contraception qui étaient à leur disposition. Elle leur remettait un guide intitulé Le contrôle de la natalité et quelques-unes de ses méthodes les plus simples.

          Arrêtée le 14 septembre 1936, elle est accusée d’avoir fait la promotion illégale du contrôle de la natalité, diffusé des instruments « antifécondants » dans la ville d’Eastview (aujourd’hui le quartier Vanier à Ottawa), eu en sa possession des moyens de contraception et suggéré la stérilisation des femmes faibles d’esprit. Cette accusation a été portée en vertu d’un article du Code criminel sur… l’obscénité ! Commence alors un procès qui durera pas moins de six mois.Dorothea palmer

          Le procès commence le 21 octobre 1936 à Eastview. Des femmes viennent témoigner. Plusieurs, dont une mère de 3 enfants, disent que leur revenu familial n’est que de 40 dollars par mois. Or, à cette époque, une famille de 5 personnes a besoin d’un revenu annuel d’au moins 1 000 dollars. D’autres disent que Dorothea Palmer leur a même remis gratuitement des moyens de contraception.

          Habile, l’avocat de Palmer, un certain F. W. Wanegast, réussit à transformer le procès en celui du contrôle de la natalité au Canada en faisant témoigner une foule de gens : des ministres du culte, des médecins, des universitaires. Or, les ministres du culte se contredisent et interprètent des passages de la bible différemment au grand plaisir de l’avocat qui démontre que même chez les doctes religieux la morale n’est pas une chose aisée à définir.

Un certain révérend Wiclox, du Social Service Council of Canada est en faveur de la contraception parce que par une fécondité extraordinaire, les catholiques canadiens-français tentent de délibérément de dépasser les Anglais par le nombre des naissances ! Maurice Zeidman, pasteur presbytérien, déclare que ceux qui condamnent aujourd’hui la régulation des naissances érigeront peut-être un jour un monument à Dorothea Palmer et accusent les sectes religieuses qui s’opposent à la femme d’être un siècle en retard et ils les traitent de morons !

Les non-catholiques ne sont pas tous en faveur du contrôle de la natalité. L’épiscopat anglican le condamne et la High-Chuch of England s’y oppose formellement. Les médecins catholiques, comme le docteur Ernest Couture, estiment que la régulation des naissances peut engendrer une « condition pathologique » et préconise la continence. Son témoignage est conforté par celui du Dr Gérin-Lajoie, professeur de gynécologie à l’Université de Montréal. Il estime que l’usage « d’antifécondants » sont de nature à affecter le système nerveux et qu’ils pouvaient constituer un danger même pour l’homme ! Il est contredit par le professeur Scott de l’université de Toronto. Gérin-Lajoie dit que si quelqu’un s’avisait d’enseigner la contraception à l’Université de Montréal, il en serait expulsé. D’autres médecins ne s’opposent pas à la contraception, mais s’opposent à ce que les moyens soient diffusés autrement que sous leur contrôle… direct ! Certains ont peur que ces moyens tombent en de mauvaises mains et qu’ils aient pour conséquence une augmentation des relations sexuelles hors mariage.

          Tous les journaux parlent de l’affaire Palmer, y compris le journal Le Droit, propriété des oblats de Marie-Immaculée. Évidemment, Le Droit s’oppose à la contraception. Choses certaines, des hommes réagissent violemment au débat. Ainsi, un d’entre eux, ayant vu Dorothea Palmer, l’entraîne dans une ruelle et tente de la violer en disant : « J’vais te montrer ce que c’est de ne pas contrôler la natalité. » Elle réussit à s’en défaire au moyen d’un coup de genou au bon endroit !

          Le procès s’est terminé le 17 mars 1937. Le juge a conclu que Dorothea Palmer avait diffusé du matériel de contraception pour simplement venir en aide à ses concitoyens. Enfin, soulignons que l’article en vertu duquel Mme Palmer a été accusée n’a été abrogé qu’en 1969.

SOURCES

Le Droit (Ottawa), 1936-1937.

Site Internet http://modern-canadian-history.suite101.com/article.cfm/parents_information_bureau

La conscription de 1917 en Outaouais

Par Le 31/10/2020

        1917 : depuis trois ans, le Canada est en guerre et, malgré l’entrée imminente des États-Unis dans le conflit, rien ne laisse présager une victoire finale des Alliés aux dépens de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. La Russie est exsangue et la révolution gronde. Le Canada a déjà fourni 400 000 soldats aux alliés. Mais ce n’est apparemment pas assez. À la suite d’une conférence impériale tenue à Londres, le premier ministre canadien, le conservateur Robert Borden, veut envoyer 100 000 soldats additionnels sur les champs de bataille d’Europe pour défendre la « liberté » !

      Le pays a de la difficulté à trouver ces hommes. La majorité des Canadiens ne veut pas servir de chair à canon, car c’est à ça que les soldats servent dans cette guerre. Aussi, le premier ministre parle-t-il d’enrôler de force les Canadiens, ce qui a pour effet de déclencher des manifestations dans tout le pays : Montréal et Québec, bien sûr, mais aussi Hawkesbury, Windsor et Vancouver. Et ce sont les classes ouvrières qui protestent les plus forts : elles exigent la tenue d’une consultation.

      Les hommes ont de nombreuses raisons pour ne pas aller à la guerre. D’abord, soulignons qu’aucun belligérant n’avait attaqué ou déclaré la guerre au Canada. Les autorités canadiennes prétendaient alors que nous devions combattre pour protéger les libertés démocratiques. Or, justement, c’est d’abord ici que la liberté des Canadiens-Français était en péril parce que l’on avait interdit l’enseignement en français tant en Ontario (Règlement 17) qu’au Manitoba. Et on l’interdira en Saskatchewan en 1918. De plus, tant les Britanniques Mederic chaput 2que les Français brimaient la liberté de nombreux peuples. Par exemple, n’occupaient-ils pas par la force des armes l’Irlande et le Maroc, pour ne nommer que ces deux pays ? Enfin, on demandait aux Canadiens de se porter à la défense de nos mères patries… Parlons-en de nos mères patries : les Britanniques nous ont envahis alors que la France nous a abandonnés ! Nos arrières grands-parents n’avaient donc aucune raison d’aller risquer leur peau de l’autre côté de la grande mare.

Manifestations à Hull

      En Outaouais, c’est à Hull qu’ont eu lieu les plus importantes manifestations dans le sillage du journal Le Droit qui se prononce contre la conscription dès le mois de mai 1917. Le 22 mai 1917, au cours d’une réunion organisée par l’Association libérale et l’Association ouvrière, le Dr Joseph-Éloi Fontaine, candidat libéral et président de la réunion tire à boulets rouges sur le gouvernement conservateur. Les orateurs enflamment la salle qui se prononce contre la conscription. Le 25 mai, l’Association ouvrière de Hull se prononce contre la conscription « tant et aussi longtemps que le peuple n’aura pas été consulté ».

      Le 27 mai, vers minuit, quelques dizaines d’ouvriers placardent la ville : « À bas la conscription ! » et « Réveillons-nous, à bas la conscription ! » Ils invitent la population à une manifestation au parc de l’hôtel de ville. Le lendemain soir, le parc de l’hôtel de ville est envahi par la population locale. À 20 heures, défilent quelques centaines d’ouvriers l’Union Jack et le tricolore en tête. Sur les pancartes on peut lire : « À bas la conscription », « Suivez-nous » et « Le Canada avant tout ». Une voix entonne soudain le « Ô Canada », suivies par de milliers d’autres (chant qui deviendra, longtemps plus tard, notre hymne national). Puis on demande au maire Archambault de prendre la parole. Il se prononce ouvertement contre la conscription et demande aux manifestants de « Faites les choses en gentilshommes et toute la population se joint à vous et vous acclame ». Puis, il leur recommande de ne pas sortir du territoire de la ville. Ensuite vient le discours mitigé du député Devlin qui demande aux ouvriers de faire confiance aux… députés !

      Enfin, le cortège s’ébranle. Plus de 4 000 personnes défilent en bon ordre dans les rues bordées par de milliers de spectateurs – plus de la moitié de la Ville de Hull est présente. La foule crie, à s’époumoner : « À bas la conscription ! » Le défilé s’arrête un instant et les manifestants écoutent, ravis, les discours « anticonscriptionnistes » du Dr Fontaine et de l’échevin Stafford. Une pétition circule dans la foule qui la signe avec enthousiasme. Puis, les manifestants se dispersent au chant de l’Ô Canada.

Un choc évité

      Il s’en est fallu de peu pour que la manifestation dégénère, car à Ottawa on avait suivi de près les agissements des leaders hullois et on avait lancé la rumeur que les manifestants envahiraient les rues d’Ottawa. Donc, le soir de la manifestation de Hull, une foule de jeunes gens, plus forte à défendre les mesures appréhendées de conscription que de s’enrôler dans l’armée, commence à vociférer contre les francophones. À 22 heures, la foule a énormément grossi. Déçue de ne pas voir les Hullois envahir les rues de la capitale, voilà que quelques activistes se mettent à crier : « À Hull ! ». La foule, composée de civils et de soldats, descend la rue Bay. Rue Wellington, elle rencontre un détachement d’un bataillon du génie, armé de pics et de haches, qui vient grossir la foule des contre-manifestants dont le capitaine Kenneth McPherson, de l’armée de Sa Majesté, prend la tête. Puis, soudainement, le capitaine recommande à la foule de ne pas aller à Hull, mais d’attendre les Hullois qui, eux…, sont déjà entrés dans leurs foyers. La foule hésite puis commence à se disperser à son tour. Quelques dizaines de personnes continuent à gueuler et crient vouloir prendre d’assaut la ville de Hull. Enfin arrive un détachement de police qui a l’heur de refroidir les ardeurs belliqueuses : à minuit moins quart, le silence fait place au tohu-bohu.

      La population finit par se soumettre à la conscription. Elle n’avait pas le choix… Mais elle n’en pensait pas moins. Ainsi, sur les 117 104 Québécois appelés en 1917, 115 707 ont réclamé l’exemption en invoquant le statut d’étudiant, de cultivateur, de soutien de famille, de pieds plats, de souffle au cœur, etc. En Ontario, sur 125 750 hommes appelés, 118 128 ont réclamé l’exemption. Ce qui prouve que les anglophones de souches canadiennes ne souhaitaient pas plus que les Québécois à se faire zigouiller pour le roi d’Angleterre !

Sources :

ROBILLARD, Jean Denis, Violence au Québec, Les éd. JDR, 2006.

Le Droit (Ottawa) 1917 et 1972.

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