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Articles de ouimet-raymond

Amour, amour, quand tu nous tiens...

Par Le 16/10/2020

          A beau mentir qui vient de loin, dit un vieux dicton. Mais l’amour est aveugle et n’en tient que rarement compte.

       Septembre 1895, une jeune fille du nom d'Amanda Labelle, fiancée depuis une dizaine de mois à Joseph Raymond, tombe éperdument amoureuse de Camille Dubois, un latteur d'une trentaine d'années qui lui fait la cour avec empressement. Les amoureux se plaisent tellement qu'ils décident de s'épouser au plus tôt. Ils demandent de publier les bans, mais, voilà, comme ni l'un ni l'autre ne sont originaires de Hull (elle de Chénéville et lui de Chicago), le père Ludger Lauzon, curé de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce, exige des amoureux impatients un certificat prénuptial pour s'assurer de leur habileté à contracter mariage. Cette exigence de l'oblat n'a pas eu l'heur de plaire à Dubois qui, beau parleur, réussit à convaincre la jeune de faire bénir leur union par le révérend Loucks, pasteur à l'église anglicane Christ Church à Ottawa, et de quitter la région par la suite.

       On ne sait si le repas ou la nuit de noces, ou les deux ont été indigestes, mais le lendemain du mariage, la jeune mariée tombe malade, ce qui empêche Dubois de mettre à exécution la seconde partie de son plan. Le grain de sable vient d'enrayer la mécanique. Le samedi, le nouveau marié se rend au travail comme à l'habitude. Mais dans le cours de la journée, il est mis en état d'arrestation et conduit dans une geôle du poste de police où il avoue avoir femme et enfants à Chicago. Le même soir, au presbytère, le curé Lauzon fait lecture d'une lettre à Amanda Labelle, lettre qu'il a reçue de Chicago et qui dit que Camille Dubois est marié depuis dix ans et père de trois enfants !Lauzon

       Dès le lundi matin, Camille Dubois comparait en cour municipale devant le recorder Champagne à qui il avoue, sans aucune réticence, son imposture. Le mardi, on appelle à la barre des témoins la pauvre épouse qui déclare qu'elle ne savait pas que Dubois était marié et qu'elle l'avait appris du curé Lauzon. Elle ajoute que « [...] Dubois était un très bon garçon depuis deux mois qu'elle le connaissait. »

Déjà marié ?

       Pourquoi Dubois a-t-il quitté sa première épouse, se demande-t-on ? Eh bien, Ce serait parce que sa femme avait apparemment des relations avec un pensionnaire qui demeurait chez lui. Quand il en fait la remarque à son épouse, celle-ci lui aurait rétorqué qu'elle aimait le pensionnaire et que « [...] si lui n'était pas satisfait, il n'avait qu'à quitter la maison. »

       Amoureuse, la belle Amanda mandate un avocat, nommé Cloutier, pour plaider pour elle et... le prisonnier ! Il paraît même que « des femmes » se sont mêlées de défendre le beau Camille Dubois. Avait-il le charme d'un Casanova ou celui d'un bel exilé ? On a beau dire, mais, venu de loin, un personnage exerce souvent une irrésistible séduction sur le sexe opposé. Souvenez-vous d'Alexis Labranche alias Jos. Branch, l'exilé du Colorado dans le téléroman de Claude-Henri Grignon, Les belles histoires des Pays d'en-haut. Déjà, le « rêve américain » fascinait tout autant que le charme du personnage.

       Au cours de l’enquête, Amanda déclare que jamais son mari ne lui a avoué qu'il était déjà marié. Le 14 novembre, le magistrat remet la cause à huit jours plus tard, car il lui est impossible de condamner le prévenu à partir des preuves déposées, et ce, même si Dubois a candidement avoué sa supercherie. Le 22 novembre, la cause de bigamie est de nouveau entendue et l'avocat prétend que le mariage contracté par les deux amants, à Ottawa, est invalide, ce que réfute le juge. Mais voilà, on n’a pas encore prouvé, hors de tout doute, la culpabilité du Franco-Américain même si une seconde missive, en provenance de la Ville des Vents, affirme qu'il est bel et bien marié. En effet, aucun certificat de mariage n'accompagne la lettre. Devant l'insuffisance de la preuve, le juge remet Dubois en liberté sous caution et reporte la cause au mercredi suivant.

Mais lequel des deux est bigame ?

       L'affaire prend soudain une tournure tout à fait imprévue parce que, semble-t-il, Amanda est pourvue de grâces et d'attraits auxquels Joseph Raymond, le fiancé éconduit, est toujours sensible. En effet, la jeune femme n'est pas sans charmes. Un journal local la décrit en ces termes : « courte, grassouillette et fort attrayante. » On comprend mieux que l'ancien fiancé ait risqué de passer pour la cinquième roue du carrosse aux yeux de la population hulloise qui suivait de fort près l'enquête dans les journaux locaux.

       Quoi qu'il en soit, ou bien Joseph Raymond n'avait pas perdu espoir de faire revivre ses amours d'antan et sait faire renaître, dans le cœur d’Amanda, un peu d'affection pour sa personne, ou, les oblats ont usé de leur influence et, surtout, de leur autorité pour faire cesser le scandale dont se délectait un quotidien d'Ottawa.

       Le mercredi 30 novembre, le tribunal ecclésiastique d'Ottawa se réunit et invalide le mariage d'Amanda Labelle6. Le même soir, à l'église Notre-Dame-de-Grâce, Amanda épouse Joseph Raymond.

       L’affaire de bigamie n’est toutefois pas finie. En effet, le 3 décembre 1895, Camille Dubois comparaît en cour pour la dernière fois dans cette affaire. La police n'a pas encore réussi à se procurer le certificat du premier mariage du prévenu. Devant l'absence d'une preuve irréfutable, le juge n'a d'autre choix que de relaxer le prisonnier et de lui accorder le bénéfice du doute.

       Devant la Loi, Camille Dubois n'est donc pas bigame. Or, comme il ne l'est pas, Amanda doit certainement l'être étant donné que les raisons invoquées pour invalider son mariage se trouvent anéanties par le jugement de la Cour ! On semble avoir tout simplement fermé les yeux devant ce qui risquait de devenir un ridicule imbroglio.

       Dubois était-il véritablement bigame ? Eh oui ! J’ai réussi à découvrir qu’il s’était marié avec Julie Parent le 9 juillet 1884 à Chicago !

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