Au temps des années folles

ouimet-raymond Par Le 18/01/2021

Dans Histoire locale

C'était le bon temps ?

          Nous avons bien souvent une vue idyllique des années qui ont suivi la Grande Guerre et que l’histoire appelle les Années folles et nos grands-parents ou arrière-grands-parents, le bon vieux temps. Évidemment, c’était une époque pleine de promesses... qui n’ont guère été tenues.

Reunion de familleAu temps des Années folles, on danse le charleston sur une musique endiablée, et on écoute en rougissant les chansons polissonnes de Maurice Chevalier – Elle avait de beaux petits tétons...– celles plus romantiques de Lucienne Boyer – Parlez-moi d’amour... C’est le temps des changements vestimentaires révolutionnaires, du moins chez les femmes. Elles rangent au grenier les robes à corset, qui leur cachaient le corps du cou jusqu’aux chevilles, et les remplacent par des robes sacs qui découvrent leurs genoux. Et, elles portent désormais les cheveux courts. Les hommes délaissent les guêtres et leur cravate se porte désormais sous le col de chemise. Ils remplacent définitivement la pipe par la cigarette que même des femmes osent fumer en public : « Tu vas brûler en enfer avec ta cigarette », disait alors Zoé Chaput, scandalisée, à sa fille Léonie Mainville ! La montre-bracelet remplace définitivement celle de poche au grand dam des voleurs à la tire qui voient leur travail se compliquer singulièrement.

Le canon réduit au silence, la grippe espagnole vaincue, on est convaincu que le pire est passé. Le monde a besoin d’air et de plaisirs. Ces années folles, années d’insouciances si on en croit le cinéma américain, ne sont pas aussi heureuses que l’on croit, du moins pour les classes laborieuses qui comptent pour la grande majorité de la population. On est si pauvre que les hommes attendent l’âge de 27 ans, en moyenne, pour prendre épouse. Car, ne l’oublions pas, à cette époque, le mâle joue généralement le rôle de pourvoyeur unique de la famille. Et puis, il y a la maladie, dont une fait des ravages épouvantables : la tuberculose.

Un avenir radieux

          À Hull, les bordels font des affaires d’or sous l’oeil bienveillant des autorités municipales. Rue du Pont (Eddy), on joue dans des barbottes et on s’amuse ferme dans de petits bals à l’huile. La science et la technique moderne, qui devaient rendre le monde infiniment heureux, révolutionnent la vie quotidienne. La radio fait son apparition et le cinéma muet attire des foules de plus en plus nombreuses. La population fréquente les cinémas Éden, Odéon ou encore Talbotoscope à Hull, Family Theatre à Aylmer ou Oasis à Buckingham où elle s’entiche du célèbre acteur Rudoph Valentino. Le théâtre aussi est populaire et on vient en grand nombre à la Salle Notre-Dame (Hull), qui compte pas moins de 824 sièges et 4 loges, voir les Léonard Beaulne, René Provost, Ernest Saint-Jean et Wilfrid Sanche qui jouent dans la Légende de Frésimus ou Michel Strogoff. Le dimanche après-midi, la foule vient écouter la fanfare du régiment de Hull, au kiosque du parc Eddy.

Les spectacles sportifs attirent de plus en plus les foules. Au parc Woods, rue Laurier, à Hull, jouent de nombreuses équipes de baseball dont le B. B. surnommé les « bébés roses ». En 1925, on accourt en foule au parc Dupuis pour voir des héros sportifs américains : des joueurs de baseball des Yankees de New York, les célèbres Babe Ruth Cinema edenet Lou Gehrig. Puis c’est l’inauguration du fameux parc Luna (Moussette) qui attire des foules enthousiastes dans ses manèges, dont de superbes montagnes russes, sur sa piste de danse et son pavillon de patin à roulettes.

On s’organise

De plus en plus, les travailleurs se rendent compte que pour améliorer leur sort ils doivent faire front commun, c’est-à-dire se syndiquer. Les syndicats internationaux – américains en fait – ont enrôlé nombre de travailleurs québécois. Depuis peu, l’Église reconnaît aux travailleurs le droit d’améliorer leur sort. Et pour contrer le syndicalisme américain, elle appuie activement la fondation de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada – la future Confédération des syndicats nationaux (CSN) – qui a lieu au cours d’un congrès qui se tient à Hull du 24 au 29 septembre 1921.

Les travailleurs ont beau se syndiquer, les grosses entreprises n’acceptent pas facilement de partager pouvoir et profits. C’est ainsi que se déroule à Hull, en 1924, la grève des 275 allumettières de la E.B. Eddy Matches qui luttent avec l’appui de l’ensemble de la population et des autorités municipales. La solidarité des allumettières leur vaut de gagner plusieurs points. Mais cette victoire sera brève : en 1928, la E.B. Eddy vend la Eddy Matches qui ferme ses portes pour les rouvrir à Pembroke, en Ontario. Heureusement, une nouvelle entreprise s’était établie l’année précédente en Outaouais, la Compagnie internationale de papier (C.I.P.), qui est à l’origine de la fondation de Gatineau erronément appelé Gatineau Mills par la population. Puis, c’est le krach de 1929 qui pousse au chômage des dizaines de millions de travailleurs. Les années folles sont finies.

SOURCES :

Multiples, dont les livres de Lucien Brault sur la région, divers numéros de la revue Hier encore, mes recherches sur les Allumettières et les cinémas de Gatineau. La première photographie vient de ma collection. la seconde de BAnQ-Outaouais, P74 D120 P5.