Ces noms de rues controversés

Par Le 26/09/2014

Dans Histoire locale

         Au cours des dernières semaines, deux articles du journal Le Droit, écrit à la suite d'une plainte d'un citoyen gatinois ont semé un certain émoi dans la population. En effet, un conseiller municipal et un citoyen ont de la difficulté à accepter comme noms de rues ceux de Philipp-Lenard et d'Alexis-Carrel. En effet, ces deux personnages, bien que récipiendaires de prix Nobel, sont loin d'incarner des modèles de vie. Le premier, Lenard (1862-1947), d'origine austro-hongroise, a remporté le prix Nobel de physique en 1905. Mais il a été un nazi antisémite et idéologue de la physique aryenne dans les années 1930 et 1940. Le second est le Français Alexis Carrel (1873-1944) qui a obtenu le prix Nobel de médecine en 1912. Pétainiste, pronazi et antisémite, il a aussi fait la promotion de l'eugénisme, c'est-à-dire de l'élimination pure et simple d'humains qu'il estimait indésirables.

         La Ville de Gatineau devrait-elle faire remplacer ces noms de rues par d'autres noms plus acceptables aux yeux des citoyens ? Si elle décidait de le faire, il faudrait qu'elle en fasse disparaître d'autres pour les mêmes motifs ou pour des raisons tout aussi valables. Par exemple, le propriétaire de l'ancien journal hullois Le Spectateur, Ernest-Eugène Cinq-Mars (1873-1925), a commis quelques articles antisémites dans son journal au début du siècle passé. Et que dire des boulevard et parc Moussette ? Ils ont été nommés d'après l'ancien maire de Hull, Alphonse Moussette (1892-1952), lequel a été condamné en 1943 pour avoir protégé le vice commercialisé dans sa ville. Il y a aussi l'ancien maire de Hull Edmond-Stanislas Aubry (1860-1936), dont une place et une rue portent son nom. Il a été déchu de sa charge, en 1895, pour corruption.

Ces « grands » personnages

         Mais il n'y a pas que ces personnages qui ont une rue à leur nom sans l'avoir méritée. Certains de ceux-là ont fait ce qu'on appelle la « grande histoire » militaire ou politique et leurs noms apparaissent dans les dictionnaires. Pensons au général britannique Jeffrey Amherst (1717-1797) : il méprisait au plus haut point les Amérindiens. Devenu commandant en chef des troupes britanniques, il forme le plan ignoble d'exterminer les Amérindiens. En effet, dans sa correspondance avec le colonel Bouquet, un mercenaire suisse employé par les Britanniques, on trouve le dialogue suivant : « Ne pourrions-nous pas tenter de répandre la petite vérole parmi les tribus indiennes qui sont rebelles ? Il faut en cette occasion user de tous les moyens pour les réduire. »

– Je vais essayer, répond le colonel, de la répandre, grâce à des couvertures que nous trouverons le moyen de leur faire parvenir.

– Vous ferez bien de la répandre ainsi, dit le général, et d’user de tous autres procédés capables d'exterminer cette race répugnante.

         On peut ajouter à cette courte liste le nom de la reine Victoria (1819-1901). En effet, c'est sous son règne que le Royaume-Uni est devenu l'une desEnfant camp de concentration copie puissances les plus agressives du monde et que les Britanniques ont créé les premiers camps de concentration en Afrique du Sud. Ils y enfermaient les femmes, les vieillards et les enfants des Boers, et des membres de tribus indigènes alliées.

         Changer le nom d'une rue pour une autre parce que son titulaire n'a pas eu un comportement respectable n'est pas chose facile, car on sait souvent peu de choses sur les personnages que l'on honore. Et si nous nous mettions à fouiller dans la vie de toutes les personnes, nous trouverions sans doute beaucoup de choses qui nous scandaliseraient – combien de ces hommes glorifiés ont battu leur femme ? Mais ce qui scandalise aujourd'hui ne scandalisait pas nécessairement autrefois. Ainsi, devrait-on changer les toponymes qui portent le nom de Pierre-Elliot Trudeau (1919-2000), ancien premier ministre du Canada, parce que celui-ci a déjà été antisémite dans sa jeunesse et qu'il a déjà frappé son épouse ?

         Évidemment, un toponyme ça se change. En 1967, quand le général et président de la République française Charles de Gaulle a crié, au balcon de l’hôtel de ville de Montréal, « Vive le Québec libre ! », on a changé le nom de la rue qui portait son nom à Ottawa. Toutefois, on trouve de nos jours, dans la capitale fédérale, un… Amherst Crescent ! Cherchez l’erreur…

Sources :

Banque de toponymie de la Ville de Gatineau.
Le Droit (Gatineau-Ottawa), 17 septembre 2014. Article de Mathieu Bélanger.
LESTER, Normand, Le livre noir du Canada anglais, Montréal, Les Intouchables, 2001, p. 44 à 46.
Metro (Montréal), 20 avril 2010.
Nuit Blanche (Montréal), numéro 118, printemps 2010, http://72.10.139.201/AfficherPage.aspx?idMenu=0&idPage=347
Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Camp_de_concentration#mediaviewer/File:LizzieVanZyl.jpg