Des communistes à la prison de Hull

Par Le 15/06/2019

Dans Histoire locale

      Au cours des années 1930, les luttes sociales au Canada n’étaient pas très différentes de celles qui avaient cours dans d’autres pays du monde. Il y avait des communistes, nombreux (16 000 membres en règle en 1939), et des fascistes (environ 3 000 membres), moins nombreux. Les communistes inquiétaient le pouvoir politique en place parce qu’ils remettaient en question l’ordre social et le capitalisme. Quant aux fascistes, ils inquiétaient moins : plusieurs politiciens, policiers et militaires partageaient leurs idées d’extrême droite et leur racisme, et, de plus, les fascistes étaient… anticommunistes !

      Le 1er septembre 1939, l’Allemagne nazie attaque la Pologne, suivie par l’Union soviétique (l’actuelle Russie), prenant ainsi en sandwich les Polonais. Trois semaines plus tard, la Pologne est dépecée. Le 10 septembre, le Canada déclare la guerre à l’Allemagne (10 septembre), mais fait inexplicable, pas à l’Union soviétique qui est pourtant aussi un agresseur.

      La Gendarmerie royale du Canada (GRC) estime alors qu’il y a un sérieux danger que des sympathisants d’organisations internationales gênent les efforts du Canada dans la guerre. Dans l’esprit de la GRC, les « sympathisants d’organisations internationales » sont les communistes et leurs alliés ; les fascistes ont au moins la qualité de croire dans un « semblant de capitalisme ».

      À la suite des pressions de la GRC, du ministère de la Défense et de politiciens, le gouvernement canadien interdit le parti communiste en juin 1940, de même que l’Ukrainian Farm-Labour Temple Association et, enfin les partis fascistes et nazis. Bien qu'à tendance pro-communiste, les membres de l’organisation ukrainienne ne sont pas communistes pour la plupart.

Les communistes dans la région

      Dès le 17 octobre 1939, je journal Le Droit, dont une grande partie des dirigeants sont membres de l’Ordre de Jacques-Cartier, réclame l’interdiction immédiate du communisme et des communistes (mais pas des fascistes). Pour l’éditorialiste, le communisme suscite la haine entre les classes sociales et s’attaque au droit de propriété, à la famille, à la morale et aux sentiments religieux. Du même souffle, il suggère l’internement de tous les communistes. Deux ans plus tôt, l’Ordre de Jacques-Cartier, dont le siège social est situé à Ottawa, clamait que le « pire ennemi de l’Église et du Canada français est le communisme. » Admettons-le, l’Ordre n’avait pas tout à fait tort.

      Pour l’Église catholique canadienne, le communisme est toute forme de pensée qui permet de propager l’esprit païen ! Pour la bourgeoisie, c’est toute forme de pensée qui remet en cause la propriété privée. Avec des définitions aussi larges, toute personne ayant des préoccupations sociales pouvait facilement être accusée de communisme. On estime alors que les communistes canadiens, manipulés par Staline, militaient contre l’entrée en guerre du Canada. C’était là une excuse pour se débarrasser le plus rapidement de chefs communistes. Mais il y avait aussi le projet non avoué de casser certains syndicats et des raisons raciales à l’égard des Ukrainiens.

      Quoi qu’il en soit, dès septembre 1939, la GRC commence à procéder à l’arrestation de leaders communistes canadiens de même que de membres de l’Association ukrainienne. Ces personnes sont emprisonnées à Petawawa, près de Pembroke (Ontario), avec des fascistes, dont des membres des colonies allemandes et italiennes du Canada. Évidemment, fascistes et communistes ne font pas bon ménage. La tension est si forte à Petawawa que les autorités n’ont d’autre choix que celui de séparer les camps ennemis.

La prison de HullPrison hull 1938 fonds brunet crao 1

      À cette époque la prison de la rue Saint-François, à Gatineau (secteur Hull), est neuve et encore inoccupée à la suite de problèmes de construction. Le 20 août 1941, les autorités canadiennes y déplacent par train 89 prisonniers communistes, dont 33 Ukrainiens et 15 Juifs. Ceux-ci descendent à la gare du ruisseau de la Brasserie, peu après le souper, sous les yeux d’une importante garde militaire et policière.

      Les prisonniers sont bien traités à Hull et certains se voient même employer aux travaux d’élargissement de la rue Saint-François pour lesquels ils sont payés. Les gardiens en viennent même à fraterniser avec leurs prisonniers : ils leur achètent des livres et jouent souvent aux cartes avec eux. En mai 1942, les autorités remettent aux prisonniers un appareil radio et des haut-parleurs.

      Tout n’est quand même pas rose. Le courrier est censuré et les autorités vont jusqu’à placer des agents provocateurs et de faux prisonniers parmi les vrais pour les espionner. De plus, les prisonniers n’ont pas droit à des visites, même celle de leur famille, avant l’automne 1941. Enfin, les prisonniers manquent de soins médicaux.

      Le 22 juin 1941, Hitler envahit l’Union soviétique. Ainsi, Staline devient alors notre allié. Les prisonniers communistes demandent leur libération afin de participer à l’effort de guerre canadien. Le gouvernement fait la sourde oreille. En décembre 1941, des prisonniers canadiens-français expriment même le désir de s’enrôler pour combattre le fascisme. Des journaux commencent à écrire que ça n’a pas de bon sens de garder ces gens en prison. L’Église Unie du Canada demande leur libération. Mais la GRC et le ministre C. D. Howe, de même que l’Ordre de Jacques-Cartier s’y opposent. En avril 1942, le Parti communiste appuie le plébiscite de Mackenzie King sur la conscription. Au mois de septembre, le gouvernement commence à libérer les prisonniers communistes au grand dam du journal Le Droit et du Comité paroissial d’action catholique de Notre-Dame de Hull.

Sources :

Centre région al d'archives de l'Outaouais, fonds Raymond Brunet.
MARTIN, Michael, The Red Patch, Politiva ; imprisonment in Hull, Québec, during World War II, Gatineau, 2007.