Ezra Butler Eddy : le roi des allumettes

ouimet-raymond Par Le 18/11/2022

Dans Histoire locale

          S’il est un homme qui a mis l’ancienne ville de Hull sur la carte, c’est bien Ezra Butler Eddy, principal industriel de cette ville qui a été dominée par ses usines pendant plus de cent ans. Et pourtant, cet homme n’était pas des plus aimés…

          Originaire du Vermont, près de Bristol, Ezra Butler Eddy est né en 1827. Il aurait apparemment fait ses études à l’école publique de Bristol et commencé sa carrière dans la ville de New York comme commis dans un magasin. Et ce sont diverses tentatives plus ou moins fructueuses dans des entreprises de produits laitiers et de fabrication d’allumettes au Vermont, entre 1847 et 1854, qui expliqueraient son départ pour Hull. On dit qu’à l’époque, des liens commerciaux unissaient alors la vallée de l’Outaouais et Burlington, où Eddy aurait travaillé avant son départ du Vermont. Quoi qu’il en soit, notre homme arrive à Hull avec sa femme en 1854.

          À cette époque, l'ancienne ville de Hull n’existe pas et fait partie de la municipalité du canton de Hull. Dès son arrivée dans le canton, Eddy entreprend la fabrication artisanale d’allumettes au soufre dans une bicoque louée de Ruggles Wright, fils de Philemon déjà décédé depuis une quinzaine d’années. L’entreprise revêt à ce moment un caractère familial et madame Eddy (Zaïda Diana Arnold) initie elle-même les femmes et les enfants de la région à l’emballage des allumettes à domicile. Celles-ci sont vendues dans un magasin situé près de la fabrique et distribuées dans la région par Eddy lui-même, vendeur né selon des témoignages de l’époque.

Fondateur d'une ville

          Eddy remporte rapidement du succès. Il profite d’ailleurs des difficultés qu’éprouvent les descendants de Philemon Wright à s'adapter à l’évolution du monde des affaires, et achète des propriétés foncières de cette famille, dont l’ensemble de l’île Philemon particulièrement bien située près des chutes des Chaudières. Sa première percée dans le commerce du bois scié date de cette époque, et survient après avoir loué une scierie de la famille Wright. Les investissements qu’il fait dans le domaine semblent rentables, puisqu’au début des années 1870, Eddy a accumulé suffisamment de capital pour acquérir des concessions forestières et construire sa propre scierie près de la fabrique d’allumettes. Sa progression est alors vertigineuse. Entre 1870 et 1880, sa production de bois scié oscille entre 15 et 23 millions de mètres linéaires de planches annuellement et le nombre de ses scieries passe à quatre, ce qui en fait l’un des producteurs les plus importants de la vallée de l’Outaouais. En 1873, Eddy détient des permis de coupe de bois sur une superficie de 3 625 kilomètres carrés en Outaouais.

          De 1871 à 1875, il est député conservateur à l’Assemblée législative. Il est défait en 1875 par Louis Duhamel parce la circonscription est devenue majoritairement francophone (Eddy ne parle pas français et ne le parlera jamais) Eddy ezra butleret aussi parce qu’il est souvent absent à cause de ses affaires. Il siège surtout en tant que maire du canton de Hull voué aux intérêts autonomistes des habitants du bas du canton qui désirent la scission par l’érection en municipalité. Et c’est en collaboration avec le père oblat Louis-Étienne Delille Reboul qu’il fonde la Ville de Hull en 1875. Élu plusieurs fois échevin de la Ville qu’il a contribué à créer, il représente le quartier n° 3, de 1878 à 1888 et en 1891-1892, et il est maire de Hull de 1881 à 1884, en 1887 et en 1891.

          À la fin des années 1870, il est administrateur de la Compagnie du chemin de fer du Canada central. En 1888, il entreprend la construction d’une usine de pâte à papier. Dotée de quatre lessiveurs, elle entre en exploitation en décembre 1889. La plus grande partie de sa production de pâte est alors expédiée aux États-Unis. Eddy installe en 1890 sa première machine à papier. Il en ajoutera deux autres en 1891. Entre 1889 et 1894, Eddy et ses associés mettent en place une usine de papier équipée de cinq machines pour la production de papier mousseline, de papier impression, de papier brun, et, à partir de 1896, de papier journal. Pendant toute cette période, l’expansion de la fabrique d’allumettes se poursuit et l’on estime que « le roi des allumettes » – il en produit 30 millions par jour – domine le marché canadien dès 1879.

Un homme peu aimé

          L'homme est un résilient. Par exemple, la crise qui touche le commerce du bois entre 1873 et 1880 le force à céder temporairement le contrôle de son entreprise à la Banque des marchands du Canada. Les choses semblent rétablies en 1882, année où un incendie majeur détruit presque entièrement ses installations. Pratiquement acculé à la faillite, il reconstruit, avec l’aide de capitaux empruntés à la Banque de Montréal, un complexe industriel comprenant deux scieries, une fabrique de portes et châssis, un atelier de rabotage, la fabrique d’allumettes, des forges, bureaux et entrepôts. Eddy, avec J. R. Booth sera l’un des seuls entrepreneurs des Chaudières à se remettre de l’incendie majeur du 26 avril 1900 qui a détruit une partie importante des sections industrielles des villes de Hull et d’Ottawa. Ses pertes sont évaluées à 3 000 000 $ dont 150 000 $ seulement auraient été remboursables par l’assurance. Reconstruites en moins d’une année, les usines Eddy fonctionnent de nouveau en décembre suivant. Il faudra attendre 1902 pour que la compagnie reprenne l’ensemble de ses activités, fournissant de l’emploi à plus de 2 000 personnes dans des scieries et ateliers de fabrication de papier, fibre durcie, allumettes, sacs de papier, seaux et cuves.

          Ardent défenseur de l’Empire britannique, Eddy meurt à Hull, le 10 février 1906, à l’âge de 78 ans ; il est inhumé à Bristol, au Vermont. Il laisse à son décès une fortune évaluée par ses contemporains à plus de 2 500 000 $.

          Eddy était peu aimé des Hullois, car il était un employeur intransigeant, dur – de 1858 à 1888, il y a eu 562 accidents mortels dans ses usines – qui ne s’est jamais intégré un tant soit peu à la population francophone de la ville. Et s’il a participé activement à plusieurs œuvres philanthropiques de la collectivité régionale, on ne peut s’empêcher de remarquer que c’est surtout (et pour une très large part) la communauté protestante de la rive ontarienne qui a bénéficié de ses contributions. Ajoutons qu’il avait aussi tendance à confondre ses intérêts avec ceux de la Ville. Eddy était aussi un membre influent de la franc-maçonnerie, une organisation peu prisée chez les catholiques francophones.

Sources :

Dictionnaire biographique du Canada.
OUIMET, Raymond, Hull : mémoire vive, Hull, Éd. Vents d’Ouest, 2000.

 
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