Hull : du centre-ville au centre-vide

ouimet-raymond Par Le 02/03/2023

Dans Histoire locale

Le centre-ville de l’ancienne ville de Hull a commencé à se développer dans le dernier quart du XIXe siècle. Mais la construction du pont Royal Alexandra (Interprovincial) va beaucoup ralentir son développement. Le commerçant de la rue Victoria, Basile Carrière, l’avait prévu en disant que si on construisait ce pont, les Hullois iraient acheter à Ottawa, rue Rideau, où les établissements commerciaux étaient plus nombreux et plus gros. C’est ce qui est arrivé.

          Dans les années 1940 et 1950, la rue Rideau, à Ottawa, était fort achalandée et moult clients des nombreux magasins diversifiés provenaient de l’Outaouais. Ces gens avaient une nette préférence pour les grands magasins comme Caplan’s, Freiman et Larocque qui, plus est, étaient situés tout à côté du marché By et des grands hôtels de la capitale fédérale. Seuls se développaient à Hull à une vitesse accélérée les débits de boisson, car les heures d’ouverture de ces commerces étaient plus longues au Québec qu’en Ontario. Aussi, les Ottaviens venaient s’amuser en grand nombre sur la rive gauche de l’Outaouais dans des boîtes de nuit telles Chez Henri et Standish Hall ou encore dans les hôtels comme l’Interprovincial et le Windsor.

          Néanmoins, le centre-ville de Hull se développait vaille que vaille rues Principale (Promenade du Portage) et Eddy, ainsi qu’à proximité de ces artères commerciales, où le consommateur trouvait pas mal tout ce dont il avait besoin. Il y avait des commerces importants comme les magasins à rayons multiplesPho 579 Pharand[1] (rue Champlain), Beamish, Metropolitan et Woolworth, des quincailleries, des restaurants, et même trois marchés d’alimentation : Dominion, A. L. Raymond et Steinberg. Le vieux Hull était aussi doté de lieux de divertissements, autres que des débits de boisson, comme le théâtre Laurier (1 250 sièges), le cinéma Cartier, de salles de quilles, de quatre salles de billard, de centres de loisirs paroissiaux et d’un rolostade au Pavillon Alouette, rue Eddy, un aréna, etc. On peut même dire que les rues Eddy et Principale étaient tapissées de vitrines où, les soirs et journées de congé, les Hullois allaient admirer les étalages.

          Mais voilà, édiles politiques et gens d’affaires, envieux du développement de la cité transpontine nantie de plusieurs dizaines d’immeubles à bureaux, réclament à cors et à cris la construction d’édifices fédéraux à Hull afin de pouvoir y faire croître les activités commerciales. En même temps, les autorités politiques fédérales cherchent à donner un visage bilingue à la Région de la capitale fédérale en établissant plusieurs de ses ministères à Hull.

Un miroir d’Ottawa

À la fin des années 1960, la Ville de Hull concocte un plan de « rénovation urbaine » de l’île de Hull qui entraîne la démolition de plus de 1 500 logements occupés par environ 6 000 personnes, soit 27% de la population du quartier. Bien que l’on construise de nombreux édifices fédéraux où travaillent désormais plusieurs milliers de fonctionnaires et que celui appelé Place (sic) du Centre soit doté de deux étages à usage commercial, les Crao p64 20magasins du centre-ville se mettent à péricliter. En effet, la population du vieux Hull privilégie désormais les centres commerciaux Place Cartier et Galeries de Hull construits au début des années 1960 d’autant plus qu’elle répugne à magasiner dans les tours à bureaux où la marchandise en vente est plus chère qu’ailleurs à cause du prix excessif des loyers. Pas plus fous que le reste de la population, les fonctionnaires magasinent dans les grands centres commerciaux plutôt qu’à la porte de leur bureau. Aussi, la vocation commerciale de Place du Centre est un échec.

          La diminution de la population de l’île de Hull, qui est passée de 22 000 à 10 000 habitants en 25 ans, à la suite des expropriations, d’incendies criminels, de la réduction de la taille des familles, de la spéculation foncière et de la construction de centres commerciaux, aura entraîné la transformation du centre-ville en centre-vide bitumineux qui, avec ses nouvelles tours à logements dispendieux et aux noms à consonance anglo-saxonne tels le Vibe, le Viù, le We font que le vieux Hull perd son identité et devient un peu plus chaque jour le miroir d’Ottawa. La preuve en est qu’un jour, un couple de touristes m’a abordé, rue Laurier, pour me demander la direction à suivre pour Gatineau ; il se croyait encore à Ottawa !

          En 1985, l’ancien ministre et député du comté, Oswald Parent, dira « n’avoir qu’un seul regret : celui de ne pas avoir réussi à faire disparaître le vieux Hull ![2] » L’île de Hull est désormais conçue non pour répondre aux besoins de ses habitants, mais pour séduire des promoteurs, des investisseurs (spéculateurs), des touristes.

Illustrations

1. Une partie de l’île de Hull dans les années 1940. (E.B. Eddy, PHO-579)
2. La rue Maisonneuve après la démolition des maisons du côté ouest. (CRAO P64-01-9)

Sources :

BOUCHARD, Daniel, Quand les béliers mécaniques frappaient aux portes du vieux-Hull, dans « Hier encore », no 3, 2011.
Le Droit (Ottawa), 17 mai 1985.
GUITARD, Michelle, entretien avec l’auteur 23 février 2023.
NADEAU, Jean-François, Pour que cesse la destruction des habitations, dans Le Devoir (Montréal), 27 février 2023.
POIRIER, Roger, Qui a volé la rue Principale, Montréal, Les éditions Départ, 1986.
THÉORÊT, Hugues, Dehors tout le monde, dans « Hier encore », no 3, 2011.

[1] Le magasin à rayons multiples de Josaphat Pharand, sera vendu à Thomas Moncion, puis à Georges Champagne, père d’Andrée qui a personnifié Donalda dans Les belles histoires des pays d’en-haut.

[2] Le Droit (Ottawa), 17 mai 1985. Triste farce : Parent sera honoré du titre de « bâtisseur de Hull » en 1995.

 
×