Hull : une mort annoncée

Par Le 07/11/2013

Dans Histoire locale

          Fondée officiellement en 1875, l’ancienne Ville de Hull disparaît en 2002 avec la fusion des municipalités du sud de la région de l’Outaouais. Pourtant, cette ville, dont l’établissement permanent datait de plus de deux siècles, était promise à un bel avenir… industriel.

           L’histoire de Hull a évidemment commencé avec le monde amérindien. En effet, de nombreuses recherches archéologiques montrent que les Amérindiens occupaient régulièrement le territoire de l’ancienne ville et y tenaient même des cérémonies. Mais le site de la ville ne sera occupé, d’une manière permanente, qu’à partir de 1800 quand l’Étasunien Philemon Wright, accompagné des siens, s’y établit au printemps 1800. Wright ne cherche pas à fonder une ville, mais à développer une société nouvelle, autosuffisante qui devait prendre appui sur l’agriculture et sur la propriété foncière. En 1842, la grande famille Wright contrôle directement 72 p. 100 du territoire du canton de Hull.

           Aucun domaine d’activités n’échappe à la famille, mais ces activités ne produisent pas tous les résultats escomptés. Par exemple, Philemon Wright refuse de vendre les terrains de l’île de Hull qu’elle loue à des conditions si sévères, probablement à cause de difficultés économiques, que les gens préfèrent s’établir à Bytown. De fait, l'arpenteur officiel du gouvernment, Joseph Bouchette, propose, en 1825, d'établir un village (Aylmer) et centre administratif à l'ouest de l'établissement de Wright « vu que les Wright, trop préoccupés par leurs autres entreprises, n’ont toujours pas favorisé l’accroissement de la population et des établissements sur le site de Hull (1). » Ce ne sera donc que le 23 février 1875 que sera officiellement formée la Cité de Hull à la suite des actions concertées du Français et prêtre oblat Louis-Étienne Delille Reboul et de l’industriel étasunien Ezra Butler Eddy

           L’avenir de la ville est régulièrement remis en question par de gros incendies en 1880, 1882 (usines Eddy), 1886 et 1900. Celui du 26 avril 1900, par exemple, entraîne la destruction d’une partie des usines de la ville, de 42 p. 100 du territoire et la mise à la rue de près de 6 000 personnes. Plus d’un journal de l’époque prévoit que la ville ne pourra jamais renaître de ses cendres. De fait, la reconstruction sera difficile et le découragement s’emparera de plus d’un dirigeant. Un ancien maire demandera le changement de nom de Hull pour celui d’Ottawa-Nord et l’establishment local, représenté par la Chambre de commerce de Hull qui envie Ottawa, demande et fait la promotion de l’établissement d’un district fédéral qui engloberait Hull. Le curé de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce entre alors dans le débat et dit :

Si quelqu’un dans la ville de Hull nous trouve trop stupides pour administrer nos propres affaires, nous les laisserons libres de traverser de l’autre côté ; mais pour nous, nous sommes satisfaits de dire : Mon verre est petit, mais je bois dans mon verre !

           Les années 1910 ramènent à Hull la prospérité qui déclinera toutefois à partir des années 1920 et surtout à partir du fameux krach d’octobre 1929. Près du tiers de la population active est d’ailleurs en chômage en 1933.

           Pour relancer la ville, politiciens et Chambre de commerce concertent leurs efforts pour y attirer des édifices du gouvernement fédéral. Un premier édificev12-0764-bis-2.jpg important est construit dans les années 1950 : l’Imprimerie nationale du Canada. La construction de cet immeuble, boulevard Sacré-Cœur, entraîne l’expropriation des résidences de plusieurs familles.

           Pour obtenir d’autres immeubles fédéraux et avoir un air de capitale, les dirigeants sont prêts à sacrifier une bonne partie de la population à tel point que les autorités municipales iront jusqu’à exproprier de nombreuses familles dans le nord de l’île de Hull (aire no 6) pour faire place à un édifice du gouvernement qui ne viendra… jamais ! À partir de la fin des années 1960, on exproprie et démolit plus de 1 600 logements pour faire place aux complexes de Place du Portage, Terrasse de la Chaudière et aux nombreux boulevards. En même temps ou presque, c’est-à-dire en 1975, le gouvernement Bourassa procède au regroupement de plusieurs municipalités de l’Outaouais qui fait des villes d’Aylmer et de Gatineau des concurrentes de Hull. Or, dans ce regroupement, Hull, enserrée dans un espace trop petit pour pouvoir grandir, n’obtient qu’un léger agrandissement de son territoire : c’est là la mort annoncée de Hull.

           Peu à peu Hull devient le miroir d’Ottawa bien qu’elle se targue d’être la vitrine du Québec. Tournée essentiellement vers la capitale fédérale, Hull ignore la région qui, à son tour, se met à l’ignorer. Or, une ville est aussi forte que le sont ses citoyens, aussi importante, dans sa région que le nombre de personnes qu’elle compte. Et ça, les dirigeants hullois des années 1960 et 1970 l’ont oublié ; les expropriations ont chassé de leur logis de 6 000 à 8 000 personnes dont la majorité, à cause de l’absence de logements et de maisons à prix abordables à Hull, s’est établie à Gatineau. Ainsi, les 65 000 âmes que la ville avait déjà comptées ne seront plus que 56 000 et quelques en 1981 ! L’île de Hull, qui avait dénombré jusqu’à 22 000 personnes, n’en comptera plus que 11 000 en 1986 !

          rue-st-laurent-hull-1975-bjornson.jpg Ainsi, Gatineau l’ancienne devient peu à peu la ville la plus importante de l’Outaouais avec une population plus grande que celle des villes d’Aylmer et de Hull réunies, et ce, grâce à un vaste territoire et au délogement de milliers de Hulllois. Lentement, mais sûrement, le rôle de capitale régionale glisse vers Gatineau. Quand arrive la fusion d’Aylmer, Hull et Gatineau, la logique du nombre fait que le nom de la nouvelle ville est celui de la municipalité où le poids démographique est le plus important : Gatineau. Hull est disparue.

(1) BÉGIN, Richard, Le chemin et le « port » d’Aylmer : la voie de l’Outaouais supérieur in Histoire Québec, vol. 11, no 1, 1er juin 2005.

 

           À la fin de sa vie, Gilles Rocheleau, ancien maire de la Ville puis, député et ministre, dira publiquement, en parlant des expropriations des années 1960 et 1970 : « On a fait mal à un tas de p’tit monde… ». Eh bien, c’est ce « p’tit monde » qui s’est établi à Gatineau, qui a fait des enfants qui en ont fait à leur tour…