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James Goodwin : le monstre de Clarendon

Par Le 06/05/2014

Dans Histoire locale

            Le jovialisme de notre début de siècle nous porte à refuser de croire dans la cruauté et la méchanceté des êtres humains. Déjà, au XVIIIe siècle, le philosophe Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) écrivait que « l'homme est bon, c'est la société qui le corrompt. » Pourtant, selon Marc Bekoff, qui étudie le comportement des animaux, ce qui nous en distingue, c'est que « nous sommes les seuls animaux qui cuisons la nourriture, et qu'aucune autre espèce n'est aussi nuisible pour elle-même et les autres espèces[1]. » L’affaire du « Monstre de Clarendon » le démontre amplement.

            La municipalité du canton de Clarendon est située dans le comté de Pontiac, à environ 90 kilomètres à l’ouest de Gatineau. Son principal village a pris le nom du premier maître de poste du lieu, un certain James Shaw, pour devenir Shawville. Ce lieu, à forte majorité anglophone unilingue, compte aussi une loge orangiste qui célèbre, de temps à autre, la victoire de la bataille de la Boyne[2] remportée par des protestants sur les catholiques.

            Vivait là un certain James Goodwin qui avait épousé Helen Condon en 1825 dans la ville de Québec. Le couple habitait depuis un certain nombre d’années dans ce lieu qui deviendra Shawville. Or, les relations du ménage, qui avait pas moins de sept enfants dont la plus jeune avait douze ans, s’étaient passablement détériorées, Pontiacet ce, au point où les chicanes n’en finissaient plus.

            James Goodwin était du type méchant, capable d’une cruauté sans nom. Cet homme tenait son épouse en si piètre estime, et sans doute les femmes en général, qu’il la traitait infiniment moins bien que ses animaux de ferme. Or, un jour, Helen, qui n'était plus capable d'endurer les méchancetés de son mari, s’enfuie de la maison. Ne trouvant pas à se loger, elle décide de réintégrer le foyer familial. Son mari l’y attend de pied ferme et en guise de cadeau de bienvenue et de fin d’année 1847, lui offre un nouveau logement exotique et même odoriférant : la soue à cochons, contiguë à la maison. Et il l’y enferme. Évidemment, la rumeur se propage rapidement dans le canton au point où elle vient aux oreilles du pasteur du lieu, le révérend Fred Neve, qui se rend au domicile de Goodwin, qu’il connait, pour voir ce qui en retourne de cette histoire. Le pasteur n'en croit pas ses yeux et demande au monstrueux mari ce que sa femme fait dans la soue. James Goodwin lui répond, sans la moindre gêne, que sa femme s'est elle-même enfermée (!) dans la soue et qu’elle peut en sortir comme elle y est entrée. Le pasteur adresse alors de sévères reproches à son paroissien qui réplique en assurant le révérend que la conduite d’Helen a été si mauvaise qu’elle n’a aucun droit de se plaindre.

Un pasteur nonchalant

            Évidemment, le pasteur n'a pas cru son paroissien. D’autant plus qu’on apprend au même moment, que le charitable Goodwin permet à ses enfants – quelle sollicitude ! – de donner de la nourriture trois fois par jour à leur mère à travers les fentes des murs de la soue. Pire encore, la soue n’est pas nettoyée et la pauvre femme doit y faire ses besoins. L’odeur de la soue y est si suffocante que les enfants n’y entrent même pas. Nous sommes en plein hiver et la porcherie n’est évidemment pas chauffée ! Or, Goodwin refuse à sa femme les vêtements nécessaires pour se protéger du froid…

            Helen a bien sûr essayé de s'évader. Mais le lâche Goodwin veille au grain : il bat sa femme, la fouette même, chaque fois qu’elle tente de sortir de sa geôle. Enfin, le 17 février 1847, les enfants trouvent leur mère morte dans sa prison.

            La mort de la pauvre Helen entraîne, bien tardivement, une enquête, celle du coroner. Celui-ci a peine à entrer dans la soue, tant son plafond est bas, pour en sortir le cadavre gelé. Le corps est d’ailleurs si dur qu’il ne pourra en faire l’autopsie sur le champ.

            Le procès du mari tortionnaire a lieu un an plus tard. Goodwin est alors reconnu coupable d’homicide… involontaire – les voies de la justice sont impénétrables – et condamné à la réclusion à vie dans un pénitencier. Il faut dire, qu'à cette époque, les lois ne favorisaient pas la femme. En effet, le code britannique, alors en vigueur au Canada, tolérait une certaine violence du mari à l'égard de la femme. La règle du pouce autorisait un homme à battre sa femme avec un bâton d'une épaisseur ne dépassant pas celle de son pouce. Par contre, une femme qui osait tuer son mari, même en légitime défense, voyait son crime qualifié d'abominable.

            Dans cette histoire, il faut retenir que si les enfants les plus vieux des Goodwin, le pasteur, la sœur d’Helen et la population de Clarendon avaient dénoncé le sort de la pauvre femme aux autorités judiciaires, Helen aurait vécu. Car elle n’est pas simplement morte de la suite des mauvais traitements que son mari lui a fait subir, mais aussi de celle de l’indifférence de son entourage.

[1] CAVES, Stephen, Le propre de l'homme  in La Revue, Paris, avril 2014, p. 92.
[2] 12 juillet 1690, Irlande.

Sources :

FRIGON, Sylvie, L'homicide conjugal au féminin, Montréal, les éditions du remue-ménage, 2004.
GIGUÈRE, Guy, En manchette depuis 150 ans – Plus ça change plus c’est pareil, Boisbriand, Michel Brûlé, 2008.
Le Droit (Ottawa), 14 février 1922.
La Revue (Paris), no 41, avril 2014.
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