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L'Affaire Savignac

Par Le 21/11/2015

Dans Histoire locale

          Joseph Savignac était un drôle de zigoto. Dans le recensement du Canada de 1901, pour la ville d’Ottawa, il se déclare être Hydro Physician (hydrothérapeute ?) né en France le 28 janvier 1868, ce qui est faux. De fait, notre homme est issu de parents québécois pure laine et a vu le jour dans le comté de Lanaudière au Québec.

          La famille de notre antihéros semble avoir été touchée par l’instabilité psychique ; plusieurs membres de sa famille ont été soignés à l'asile de Joliette et celle de Longue-Pointe. Évidemment, cette caractéristique familiale n’est pas sans avoir eu un certain ascendant sur Joseph qui était toutefois loin d’être débile.

          En effet, on peut avoir un grain de folie tout en étant intelligent et même très intelligent. C’était sans doute le cas de notre homme qui a fait des études au Collège presbytérien de Montréal. Il y a tant et si bien réussi qu’il a été ordonné pasteur vers 1893. On dit même que Savignac parlait couramment l’hébreu en sus du français et de l’anglais. Pendant six mois, iI a exercé son ministère à Montebello et, à ce titre, il a sans aucun doute été en relation avec Joseph Amédée Papineau, qui, on le sait, avait tourné capot.

          Puis, notre homme a quitté subitement Montebello pour Lowell, aux Massachusetts où il a pris en charge une paroisse de confession baptiste pendant un an. Ensuite, Savignac s’est établi à Ottawa où il a fait la rencontre d'une fille de Templeton, Georgiana Mitchell, qu’il épouse en 1895 à l’église presbytérienne de Hull.

          Sitôt marié, Savignac quitte Ottawa pour la Floride où il y cultive des oranges sans grand succès puisqu’il revient à Ottawa en 1897. Il ouvre alors des... bains turcs, rue Albert, qu’il déménagera rue Slater en 1899. Savignac, qui se fait appeler tour à tour « professeur », « hydropathic physician » et « docteur » songe même un instant à construire un navire... transatlantique !

          Les affaires ne rapportant pas trop bien, le « docteur » Savignac se voit dans l’obligation de cesser ses activités. Il décidé de quitter à nouveau la capitale canadienne pour la Californie. Mais voilà, ses beaux-parents ne veulent pas voir leur fille quitter une seconde fois le pays et celle-ci a décidé qu’elle ne le suivrait pas. Et voilà notre homme en beau… maudit !

          Savignac en arrive à perdre les pédales d’autant plus que depuis quelques jours, il a déjà commencé à vendre les meubles du ménage pour payer les frais de voyage. À ce moment, le couple vit au village de Janeville, le futur quartier Vanier à Ottawa.

Un coup de folie

          Nous sommes le 25 septembre 1906 ; 15 heures viennent de sonner à l’horloge du parlement. Il fait beau et le soleil luit de tous ses rayons au-dessus de la capitale. Dans un dernier effort, Savignac tente de convaincre sa femme de le suivre. Mais voilà, sur l’entre fait arrivent les beaux-parents. La belle-mère prend alors à partie son gendre en lui disant qu’il peut bien aller aux États, mais que sa fille ne le suivra pas. Et Savignac de répondre : « C’est bien, je vais voir à ça. » Il quitte alors la maison sans rien ajouter à son propos. Les beaux-parents se dépêchent à aider leur fille à empaqueter ses affaires, quand soudain Savignac entre dans la maison en coup de vent, revolver à la main. Il tire sur sa femme qu’il atteint à un bras et sur sa belle-mère qu’il blesse au dos.

  Ottawa marche 1911        À son beau-père qui lui demande ce qu’il vient de faire, il répond : « Si ma femme ne veut pas venir avec moi en Floride, elle n’ira nulle part ailleurs. » Puis, il dirige son arme en direction du beau-père… et quitte la maison sans tirer.

          Quelques heures plus tard, toutes les polices de la capitale et de l’Outaouais se mettent aux trousses du « docteur » Savignac. Elles sont suivies et parfois devancées par une meute de journalistes de notre région qui rapporte tous les prétendus déplacements du fuyard.

Un bataille digne des western

          Un jour, des rapports indiquent que Savignac se terre à Ottawa, le lendemain à Orléans et sur le surlendemain, à Cornwall ou à Montebello Le pasteur « hydrothérapeute », qui lit les journaux, ri dans sa barbe. Six jours après ses crimes, il reste toujours introuvable. Enfin, les journaux de la capitale annoncent que des policiers d’Ottawa, Dicks et Ryan, viennent de partir en mission secrète pour procéder à l’arrestation du fugitif.

          La scène se passe aux environs de Beauharnois, dans la ferme d’Arthur Hainault. Savignac s’y terre depuis quelques jours, cherchant un moyen de franchir la frontière étasunienne. Renseignés par un batelier du Saint-Laurent, un certain Lalonde, les policiers s’approchent de la ferme en question. Il est 18 heures et la pluie tombe à torrents d’un ciel sombre qui permet aux policiers de camoufler leur arrivée. Les policiers frappent à la porte du fermier qui ouvre. Assis au bout d’une table, les jambes allongées sur une chaise, les vêtements en lambeaux, mais la barbe rasée, le fugitif lit un journal tout grand ouvert et ne porte pas attention aux visiteurs.

          Le batelier présente les policiers au fermier Hainault. Au même moment, Dicks saute sur Savignac qui se défend promptement. « C’est vous Dicks et Ryan ? », lance le fugitif en ricanant. « C’est vous autres qui voulez ma tête, eh bien, si vous la voulez, gagnez-la. » Un de ses pieds atteint Ryan an plein visage alors que d’un crochet, droit ou gauche, il frappe Dicks solidement à la mâchoire. Table et chaises volent à travers la cuisine dans une scène de lutte indescriptible. Épuisé, Savignac tombe par terre. Il sort de sa poche son revolver dont il arme le chien. Un des policiers parvient à l’immobiliser en l’assommant pour ensuite le désarmer. La bataille est finie et l’« hydrothérapeute » vaincu.

          Le prisonnier est ramené à Ottawa où il est accusé de tentative de meurtre à l’égard de sa belle-mère. L’épouse de Savignac a refusé de témoigner dans la cause de son mari, ce dont elle a droit, et refuse tout autant de porter plainte contre lui.

          Joseph Savignac est jugé en janvier 1907. Son avocat plaide alors la folie, c’est-à-dire la « démence temporaire ». Et bien que plusieurs témoins doutent de la santé psychique de l’accusé, les aliénistes ne s’entendent pas entre eux et Savignac se voit condamner à sept ans de bagne après que le jury l’ait recommandé à la clémence de la cour.

Sources :

Le Temps (Ottawa) 25, 26, 27, 28 et 19 septembre, 1er, 2, 3 et 4 octobre 1906, 31 janvier, 1er et 2 février 1907
The Ottawa Evening Journal (Ottawa) 25, 26, 27 et 29 septembre, 1er et 4 octobre 1906, 31 janvier, 1er et 2 février 1907.
Documentation personnelle.

 

 
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