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L'explosion de 1910

Par Le 08/05/2015

Dans Histoire locale

        Pendant plus d'un siècle, de nombreuses carrières ont été en exploitation à Gatineau, particulièrement dans le secteur Hull. Elles appartenaient à la famille Wright, à un certain Gibbons et à l'International Cement Co. devenu avant sa fermeture Ciment Lafarge Canada. Pour extraire de ces carrières les matériaux de construction – pierre, en chaux et ciment –, il fallait de puissants explosifs. C'est pourquoi, au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, une industrie d'explosifs a pris naissance à Hull.

        L'une des entreprises d'explosifs, la General Explosives Company of Montreal Ltd, a laissé de mauvais souvenir. Elle s'installe à Hull en 1906, à l’extrémité sud de l’actuelle rue Émile-Bond, et ce, au grand dam des autorités municipales qui ne veulent plus d'une telle usine sur leur territoire. Elle a beau créer des emplois, mais le risque que font courir ses opérations est trop élevé. Devant l'obstination de la compagnie à poursuivre ses activités, le conseil municipal soumet l'affaire aux tribunaux en alléguant que la fabrique constituait une menace à la sécurité de la population. La compagnie prétend que son produit, qu'elle appelle « virite », ne présente aucun danger d'explosion et se met en frais de le prouver.

        Les dirigeants de l’entreprise réussissent à persuader le tribunal d'assister à une expérience. Comme on pouvait s'y attendre, la compagnie « met le paquet » et l'expérience est positive et très spectaculaire. Un chimiste, avec une boîte contenant l'explosif, monte sur le toit d'un immeuble et la laisse tomber. On cligne des yeux... Ouf ! Rien. Puis, il craque une allumette et met le feu sous la boîte... L'explosif brûle sans exploser. Ensuite, test suprême, il prend un pistolet, vise consciencieusement la boîte, puis tire dessus. Pan ! Pan ! Toujours rien. La fameuse « virite » reste inerte ! Étonnant, stupéfiant devait-on se dire devant les agents satisfaits et souriants de la compagnie.

        Or, on le sait bien, les explosifs sont faits pour exploser. Mais le tribunal est tellement impressionné par la performance du chimiste qu'il oublie cette finalité et fait fi des avertissements de l’oblat Alexandre Lajeunesse, professeur de sciences et mathématiques à l’Université d’Ottawa. Jamais le Tribunal ne s'inquiète de la façon dont cet explosif détonne et permet à la General Explosive de continuer ses opérations. Bien que les dirigeants de la fabrique d’explosifs aient crié sur toutes les tribunes que leur produit n'était pas dangereux, ils ne sont pas assez bêtes, on s'en doute bien, pour vivre dans les parages de l'usine : le président habite à Ottawa. Or, il avait évité de dire que du fulminate de mercure, l'agent détonateur de la « virite », était aussi entreposé dans les bâtiments de cette usine, avec les explosifs !

C'était un dimanche...

        Le dimanche 8 mai 1910, une foule d'environ 2 000 personnes assiste à une joute de base-ball au parc de la Petite Ferme, sur la rive droite du ruisseau de la Brasserie, à quelques centaines de mètres à l'est des cinq bâtiments de la fabrique. Il est environ 17 h 30 quand la joute prend fin. Quelques minutes plus tôt, un incendie s'est déclaré dans les bureaux de la fabrique d’explosif. Un certain Lafranchise, qui habite près de là, appelle les pompiers. La borne-fontaine la plus proche étant à 900 mètres de la fabrique, les pompiers ne peuvent donc pas intervenir efficacement.Rue chaudiere 8 mai 1910 copie

        Les spectateurs quittent le terrain de balle quand un groupe d'hommes remarque un feu de broussailles entourant les bâtiments de la General Explosives de l'autre côté du ruisseau de la Brasserie. Entraînant avec lui une foule de curieux que les pompiers auront du mal à contenir, le groupe se dirige vers l'incendie dans l'intention de prêter main-forte aux pompiers. Mais ces derniers n'ont pas besoin d'aide et ne veulent surtout pas que la foule s'approche, car ils connaissent le danger d'explosion. Les policiers aidés des pompiers entreprennent d'éloigner les curieux. Soudain, quelqu'un crie que la poudrière va sauter.

        Presque coup sur coup, vers 17 h 45, trois détonations secouent l'atmosphère sur un rayon de cinq à six kilomètres et sèment, en un clin d’œil, des cadavres et des pauvres corps mutilés. Ces explosions propulsent, à une vitesse folle et dans toutes les directions, les blocs de pierre de l'entrepôt qui s'abattent un peu partout sur la ville, particulièrement sur les maisons des ouvriers de la Petite Ferme, tuant et blessant une quarantaine de personnes. De grosses pierres de 100 et même 200 kilos tombent dans la rue Chaudière (Saint-Rédempteur).

La panique

        Pendant un instant, c’est le silence, morne et accablant. Revenue de sa surprise, la population du Vieux-Hull panique. Des femmes, des hommes et des enfants pris de terreur se mettent à courir dans les rues, les bras chargés de vêtements ou d'autres objets de ménage, à la recherche d'un abri. Des lamentations, des pleurs de désespoir se font entendre dans les rues, dans les maisons éventrées. Certains sont convaincus que la comète de Halley – qui devait apparaître à la fin du mois – vient de heurter la Terre. D'autres, en proie à une crise de nerfs, s'attendent à ce qu'une nouvelle explosion détruise toute la ville. La plupart des maisons sises dans la partie nord de la rue Chaudière sont soit détruites, soit lourdement endommagées. D'autres maisons de l'île de Hull, principalement dans les rues Adélaïde, Ann (Garneau) et Papineau ont subi de lourds dégâts. Certains bâtiments sont si endommagés qu'ils seront tout simplement démolis. À Ottawa, la foule court se masser sur la colline du Parlement, comme d'habitude en pareils moments, d'où elle cherche à voir le déroulement de la catastrophe.

        L’explosion a fait 11 morts, dont plusieurs enfants, ainsi qu’une trentaine de blessés. Peu de temps après, un journal de la capitale prétendera que l'explosion avait hâté la mort de deux femmes malades d'Ottawa, mortes de frayeur. Enfin, quelqu'un a voulu préserver cette tragique histoire et en a fait une complainte :

C'était le 8 de mai une alarme fut sonnée
La foule y accourut avec empressement
Et se précipita vers les plus grands dangers
Risquant d'être engloutie presque soudainement…

Pour en savoir plus :

Du même auteur, Une ville en flammes, Hull, Éditons Vents d'Ouest, 1997.