L'hôtel British d'Aylmer

ouimet-raymond Par Le 07/07/2022

Dans Histoire locale

          On trouve, à Gatineau, dans le secteur Aylmer, un vieux bâtiment bien conservé dont l’histoire est généralement méconnue et fréquenté par nombre de Gatinois depuis plus de 180 ans. Il s’agit de l’hôtel British situé au 71, rue Principale, la plus vieille auberge située à l’ouest de Montréal et qui est toujours utilisée à des fins d’hôtellerie.

          On dit que l’hôtel a été construit vers 1834. Chose certaine, il était en activité en 1841 comme l’indique une annonce publiée dans la Bytown Gazette du 17 août 1841. Soulignons que l'odonyme Bytown est l’ancien nom de la ville d’Ottawa.

          L’hôtel a été érigé par Robert Conroy, originaire de l’Irlande du Nord, qui avait épousé, en 1837, Mary McConnell, fille de William, l’un des trois frères McConnell à venir s’installer dans la région de Deschênes au début du XIXe siècle. En épousant une McConnell, Robert Conroy a été, dès le début de son établissement à Aylmer, en contact étroit avec l’élite locale naissante. En 1839, il s’était associé à John Egan, Charles Symmes et Harvey Parker pour bâtir un moulin à farine fonctionnant à la vapeur, l’Aylmer Bakery. Dans les années 1850, Conroy devient l’un des hôteliers (dans ces années-là, il s’était aussi porté acquéreur de l’auberge de Symmes) et négociants en bois les plus prospères de la vallée de l’Outaouais.

Un hôtel incomparable

          Conroy a fait bâtir cet hôtel en pierres avec des murs de 122 centimètres d’épaisseur pour s’assurer que le froid rigoureux canadien n’y pénètre pas l’hiver. On rapporte qu’aucun autre hôtel ne pouvait s’y comparer au Canada à l’époque ; Bytown n’avait alors qu’une simple cabane en bois rond comme hôtel, près du pont des Sapeurs. Robert Conroy a érigé la première partie de cet édifice en pierres pour lui servir de résidence personnelle, mais elle a été rapidement transformée en hôtel. En plus des chambres et des repas qu’offrait l’hôtel British, un service de diligences « confortables » a relié, dès les années 1840, l’auberge au débarcadère (quai) de Hull. On trouvait aussi dans l’écurie de l’hôtel des chevaux et des voitures que les voyageurs pouvaient louer sans réserver à l’avance.British hotel

          Dès sa construction, l’hôtel British a été au centre des activités importantes d’Aylmer. Ainsi, en 1842, on raconte qu’on y a organisé des festivités pour célébrer la naissance du prince de Galles, futur roi Édouard VII de l'empire britannique. En 1860, le prince de Galles, venu poser la première pierre du futur édifice parlementaire à Ottawa, s’est adressé à la population aylmeroise du haut de la véranda du British où il assistera à un bal donné en son honneur.

Une veillée mortuaire

          En 1866, le conseil municipal, qui voulait exprimer son appréciation de façon tangible, a offert un déjeuner gratuit au British Hotel à un régiment de miliciens volontaires qui devaient aller protéger les édifices gouvernementaux nouvellement construits à Ottawa contre d’éventuels raids féniens. C’est alors que qu'un député canadien, Thomas D’Arcy McGee, a été assassiné à Ottawa. Or, si l’on en croit les dires de l'historien Pierre-Louis Lapointe, l’hôtel British aurait été, encore une fois, au centre des événements :

Thomas D’Arcy McGee a été assassiné à Bytown (Ottawa) le 7 avril 1868. Ce même soir, il y avait une veillée Conroy à l’hôtel British American, à Aylmer. On rapporte que, soudainement, quatre hommes ont surgi dans la pièce où avait lieu la veillée [mortuaire], après avoir laissé leurs chevaux épuisés, écumant de la gueule, à l’entrée. C’étaient tous des étrangers, très nerveux, tantôt surveillant la porte, tantôt regardant fréquemment leurs montres, et personne ne pouvait comprendre pourquoi ils étaient à la veillée des Conroy. On raconta plus tard qu’il s’agissait des assassins de Thomas D’Arcy McGee venus établir leur alibi à Aylmer.

          Cette anecdote est d’autant plus intéressante qu’il existe effectivement des doutes sérieux quant à la culpabilité de James Patrick Whelan, pendu le 10 février 1869 pour le meurtre du député.

          Soulignons que le 3 octobre 1895, Mackenzie Bowell (premier ministre du Canada 1894-1896), sir Charles Tupper (son successeur, 1896), sir Adolphe Caron, postier général du Canada, le comte de Westmeath (de l’ambassade britannique à Washington) et le vice-consul général des États-Unis au Canada, Julius G. Lay, étaient de passage à l’hôtel British. De quoi ont-ils parlé ? L’histoire ne le dit pas. Autre anecdote intéressante : le passage remarqué du célèbre homme fort canadien-français, Louis Cyr, à l’hôtel British en 1898.

          Robert Conroy est mort en 1868. Son épouse Mary est restée propriétaire de l‘hôtel. Puis, Mary Conroy s’est éteinte à son tour en 1887, mais l’édifice restera encore quelques années la propriété de la succession Conroy (Robert H. et William J.). Par la suite, l’hôtel British va connaître une série de propriétaires plus ou moins éphémères. Le 10 août 1921, un incendie a ravagé le centre-ville d’Aylmer et détruit la plupart des bâtiments du côté nord de la rue Principale, de la rivière jusqu’au parc municipal. Par chance, la conflagration n'a pas détruit British qui a ouvert ses portes à la collectivité, se transformant en école la semaine, en palais de justice le samedi et en église le dimanche.

          L’hôtel British est un témoignage du passé remarquable qu’a connu l’ancienne ville d’Aylmer. Seul hôtel à l’ouest de Montréal à n’avoir pas dérogé, pendant près de 180 ans, à sa vocation première, il a visiblement été au centre de l’histoire outaouaise.

Sources :

Asticou, nos 48-49, décembre 1996.
BÉGIN, Richard M., De l’auberge Conroy à l’hôtel British, Aylmer, 1993.
Wikipédia.