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L'incendie de l'église Notre-Dame de Hull : accident ou crime ?

Par Le 30/08/2014

Dans Histoire locale

          Il y avait, autrefois à Gatineau, dans le secteur Hull, aux intersections des rues Victoria, Laurier et Notre-Dame-de-l'Île, une splendide église appelée Notre-Dame-de-Grâce. C’était la troisième église construite dans ce quadrilatère. La première, dite chapelle de chantiers, avait été érigée en juin 1846 et était dédiée à Notre-Dame-de-Bonsecours. Transformée en école paroissiale en 1869, elle est détruite en 1873 à la suite d'un incendie. En 1868, on a commencé la construction du deuxième temple, une vaste église en pierre, qu'un incendie détruira le 5 juin 1888  dans la conflagration du « feu du marché ».Hull notre dame 1888 copie 1

          Construite de 1888 à 1892, la nouvelle et dernière église a été inaugurée le 25 décembre 1892. De style romano-byzantin, elle mesurait 58 mètres de long et son clocher culminait à 79 mètres. Cette église, qui pouvait contenir par moins de 3 100 personnes dont 1 134 au sous-sol, avait un maître-autel surmonté d’une gigantesque statue de Notre-Dame-de-Grâce, qui tenait dans ses bras l’Enfant-Jésus, fichée dans une niche bleu ciel et encadrée par deux archanges dorés. Un extra-terrestre qui serait entré dans cette église aurait conclu que les Hullois avaient pour principale divinité une femme. Il faut se rappeler que la paroisse Notre-Dame-de-Grâce était dirigée par les Oblats de Marie-Immaculée (O.M.I.), un ordre religieux consacré à la mère de Jésus.

Incendie accidentel ou criminel ?

          Le dimanche 12 septembre 1971, vers 5 heures 30, le curé Gilles Hébert appelle les pompiers parce qu’il a vu de la fumée s’échapper de l’extrémité du clocher, plus précisément du socle sur lequel reposait la croix lumineuse. Il communique de suite avec l’employé de la paroisse qui se rend aussitôt sur les lieux. Ce dernier veut monter au clocher, convaincu en tant qu’électricien il peut éviter le déclenchement d’un incendie sérieux. Mais le directeur du Service des incendies le lui interdit. Le directeur, accompagné d’un de ses hommes, s’aventure alors à l’intérieur du clocher, qui abrite de grosses cloches, pour repérer la source de la fumée. Cet à ce moment-là que les flammes jaillissent de la flèche du clocher qui, en quelques minutes, est transformée en torche.

 Ndg feu         Montés dans l’échelle de 30 mètres, les pompiers constatent vite que les jets d’eau ne peuvent atteindre la flèche du clocher, trop haute (je rappelle que le clocher culminait à 79 mètres au-dessus de la rue). Pire encore, à cause de travaux, rue Champlain, la pression de l’aqueduc – un problème récurrent à Hull – était réduite. Vers 7 heures 30, le clocher et ses quatre cloches, qui pèsent ensemble quatre tonnes, s’effondrent, dans un énorme fracas, partie sur le toit de l’église, partie sur la pelouse du bâtiment. Les flammes s’attaquent ensuite à la structure de bois du toit et aux pièces de cuivre qui le recouvre. Les trois lustres qui pendent au-dessus de la nef se détachent de la voûte et s’effondrent dans l’allée centrale. Mais la voûte et l’intérieur de l’église résistent aux flammes et bien que sérieusement endommagée, l’église n’est pas irréparable.

            Toutes sortes de rumeurs ont circulé sur la cause de l’incendie de l’église Notre-Dame-de-Grâce et la plus persistante veut que l’incendie ait eu une origine criminelle. En effet, moins d’un an plus tôt, l’hôtel de ville avait brûlé dans un incendie aux causes si nébuleuses que des fonctionnaires ont cru que la Gendarmerie royale du Canada n'y était pas étrangère : des policiers avaient déjà allumé des incendies, ailleurs au Québec, dans le cadre de la lutte contre le Front de la libération du Québec. Et puis, le député provincial du comté de Hull, Oswald Parent, avait voué le Vieux-Hull à la destruction… Puis trois jours après l’incendie, le curé Hébert, sans doute aiguillé par son conseil provincial, déclarait : « […] est-ce important de reconstruire un édifice de cette envergure sur ce terrain ? » Ainsi a commencé cette rumeur d'incendie criminel.

            Des gens ont même témoigné avoir vu un homme marcher sur la toiture de l'église, peu avant l'incendie, après être sorti du clocher de l'église ce qui était impossible. En effet, la pente de la toiture était trop glissante et trop raide pour pouvoir s'y aventurer en marchant.  Cela dit, il a été démontré que l’incendie était d’origine électrique. Un mois avant le feu, un témoin avait remarqué que la croix du clocher n’avait pas sa luminosité habituelle. Et un soir ou deux précédant l’incendie, un employé de la paroisse s’était aperçu que les lumières de la croix étaient éteintes. Il s’était dit qu’il irait voir ce qui n’allait pas dès qu’il en aurait le temps.

La démolition

            « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage », prétend un vieux dicton. Ainsi, en février 1972, l’éditorialiste du journal Le Droit, un quotidien alors propriété de la communauté des O.M.I., Claude Saint-Laurent, écrit avec mépris : « Il convient de souligner ici que l’architecture de cet édifice n’impressionne personne et que son seul mérite, ou à peu près, est de représenter un type de construction populaire au XIXe siècle au Québec. »Eglise notre dame

            Bien sûr, la Ville de Hull et la Société historique de l’ouest du Québec se sont opposées à la démolition du temple parce qu’elles reconnaissaient sa valeur historique et patrimoniale. Même le député a cherché à préserver l'immeuble religieux. Mais la paroisse était en voie de disparition, et ce, pour deux raisons : non seulement la pratique religieuse diminuait-elle à un rythme qui s’accélérait, mais de nombreuses expropriations de maisons étaient en cours à Hull. Déjà, une partie du quartier situé autour de la rue Hôtel-de-Ville avait été démolie pour être remplacée par les immeubles Jos-Montferrand, Place d’Accueil et Place du Portage. On avait aussi commencé à exproprier tout le côté ouest de la rue Maisonneuve et le côté sud de la rue Saint-Laurent (des Allumettières). Ainsi, les Oblats ont-ils constaté, avec raison, que la paroisse n’aurait bientôt plus assez de paroissiens pour défrayer les coûts d’entretien d’une église aussi vaste. En 1972, l'église tant aimée succombe sous le pic des démolisseurs. Ses objets de culte et artistiques sont dispersés aux quatre vents : la lampe du sanctuaire se trouve maintenant dans l'église de Montebello.

            Avec la destruction des lieux de mémoire identitaires tels l’hôtel de ville, l’église Notre-Dame-de-Grâce et le palais de justice, la ville de Hull a amorcé, au début des années 1970, un déclin qui l’a conduite, trente ans plus tard, à sa disparition, et ce, parce qu’une ville sans mémoire est une ville sans avenir pour ses citoyens.

Sources :

Archives de la Ville de Gatineau.
Documentation personnelle.
Le Droit (Ottawa), septembre 1971, février 1972.
OUIMET, Raymond, Une ville en flammes, Hull, éd. Vents-d'Ouest, 1994.