La célèbre affaire Dasken

Par Le 13/02/2015

Dans Histoire locale

          En 1970, les entreprises Dasken veulent construire, dans l'ancienne ville de Hull, six immeubles en hauteur, quatre de dix étages et deux de seize étages, sur un terrain de la rue Saint-François dont le zonage ne serait pas apparu clair. Le maire Marcel D'Amour fait alors appel au conseiller juridique de la Ville, Me Roy Fournier (il est aussi député-ministre libéral), pour obtenir une opinion que le premier magistrat de la Ville ne trouve pas suffisamment explicite. Le Conseil municipal demande alors un deuxième avis juridique à son conseiller qui répond que la Ville peut accorder un permis de construction sur le terrain en question. C'est ainsi que débute la célèbre « affaire Dasken » qui éclaboussera la gent politicienne hulloise.

            L'Association des propriétaires des Jardins Taché, dirigée par l'avocate Renée Joyal et représentée par de brillants avocats dont Ronald Bélec, est contre ce projet qu'elle contestera, avec succès, jusqu'en Cour suprême. Mais comme la Ville a accordé un permis de construction en toute bonne foi, le maire estime qu'il ne doit pas laisser tomber le promoteur qui a déjà investi deux millions de dollars et refuse d'accorder un permis de démolition de l'immeuble inachevé tel que l'ordonne la Cour suprême le 20 décembre 1971. Le député fédéral de Matane, Pierre de Bané, exige la démission des autorités municipales et principalement celle du maire D'Amour.

            La Ville organise alors une consultation des propriétaires hullois qui, à 76 %, sont en faveur de la réalisation du projet Dasken. Le 22 février 1972, le conseil municipal adopte une résolution pour autoriser le conseiller juridique de la ville, Me Roy Fournier, député et ministre du gouvernement québécois, à envoyer une telle requête à Québec. C'est le député libéral de Hull, Oswald Parent, qui en fait la demande au gouvernement de Robert Bourassa.Monument dasken

            Au mois d'août 1972, la Ville organise un référendum dans les secteurs concernés par le règlement de zonage pour le changer. Les résidants refusent le changement.  La Ville conteste  les victoires juridiques de l'Association en allant voir le ministre et le sous-ministre des Affaires municipales pour obtenir l'adoption d'un projet de loi privé qui légaliserait la construction du projet Dasken. Ministre et sous-ministre sont d'accord avec la demande hulloise. Puis le Conseil municipal obtient un rendez-vous avec le premier ministre Robert Bourassa pour obtenir son accord à l'adoption du projet de loi privé. Juste avant la rencontre, le député-ministre Roy Fournier a un entretien avec Robert Bourassa. Or, quand le maire et des membres de son conseil entrent dans le bureau du premier ministre, ils n'y trouvent pas Roy Fournier qui est soudainement devenu injoignable pour le Conseil municipal et même pour le premier ministre, pour qu'il vienne expliquer lui-même l'avis juridique qu'il avait auparavant donné au Conseil municipal de Hull. La station radiophonique CJRC crie au scandale :

On assiste maintenant à un tripotage en règle au niveau politique. On ne peut accuser les contribuables de chercher noise à des décisions municipales [...] l'erreur fut commise, que ce soit à cause de favoritisme politique, partisan ou non.

            Le barreau du Québec dénonce cette ingérence politique pour annuler une décision de la Cour suprême. Le barreau a gain de cause. Les demandes sont rejetées par l'Assemblée nationale. Le maire, qui admettra qu'un avocat puisse errer, n'accepte pas qu'il se cache pour ne pas avoir à s'expliquer ni soutenir son avis juridique. L'affaire Dasken éclabousse terriblement Marcel D'Amour. Il se voit attaquer de toute part, particulièrement par la presse dont un journaliste de Québec, Benoît Lavoie, résume ce qui est convenu d'appeler « L'affaire Dasken » :

 ...tous les acteurs de cette pénible affaire ont [...] un lien commun, un lien sacré qui est celui du parti libéral du Québec. Il y a d'abord Marcel D'Amour, maire de Hull, qui, avant son accession à la mairie et alors qu'il exerçait un commerce dans l'un des immeubles appartenant aux frères Bourque, avait dû fermer ses portes ou à défaut, consentir une cession volontaire de ses biens; selon la déclaration de M. Pierre Bourque, en décembre 1970, M. D'Amour leur devait toujours la somme de $12,000 pour loyer, laquelle ne lui était pas réclamée. M. Pierre Bourque était secrétaire trésorier de l'exécutif de l'Association libérale du comté de Hull et ami intime de M. Oswald Parent, député de Hull, ministre d'État aux Affaires intergouvernementales et membre du Conseil du Trésor. Selon des informations non démenties de l'époque, c'est grâce à l'organisation de M. Parent que M. D'Amour dut sa réélection à la mairie en novembre 1970. Il faut nommer enfin Me Roy Fournier, député libéral de Gatineau et solliciteur général du Québec qui fut conseiller juridique de la municipalité de Hull jusqu'au 29 avril 1970 alors que Me Marcel Beaudry, président de l'Association libérale de Hull et organisateur en chef de M. Parent, prenait la relève.

            Marcel D'Amour doit alors révéler ses affaires personnelles pour éliminer les malveillantes insinuations qui sont colportées à son égard sur ses relations avec les frères Bourque, premiers détenteurs du terrain Dasken, et démontre qu'il a contracté une dette envers la Banque Provinciale pour payer la faillite de son commerce. La famille D'Amour souffre énormément de cette affaire commentée ad nauseam par les médias. Les enfants sont mal à l'aise et souffrent des quolibets que leurs camarades d'école leur adressent. Marcel D'Amour quitte alors la mairie et accepte un poste que l'on lui offre à la Commission de révision du bureau de l'évaluation, à la Communauté régionale de l'Outaouais. Il remet sa démission le 13 septembre 1972. Quant à Roy Fournier, il quitte la politique le 2 août 1972, puis est nommé... juge à la Cour provincial du Québec !

            Cette bataille terminée, il restait une dernière étape : faire démolir, aux frais de Dasken, les édifices en construction, soit un bâtiment de deux étages et un autre de sept étages. Dasken ayant déclaré faillite, ce sont les membres de l’Association qui firent démolir les édifices, en partie à leurs frais. L’entrepreneur chargé de la démolition sera accueilli par une foule enthousiaste massée sur la rue Saint-François.

            De l'affaire Dasken, il reste aujourd'hui un monument – Enfin le soleil –  fait des restes de l'immeuble démoli et un enseignement étudié dans les cours d'urbanisme et de droit municipal du Québec.

Sources :

Barrière, Carole, Justice et politique ou l'affaire Dasken in Revue juridique Thémis, no 3, 1972.
Le Droit (Ottawa), 21 décembre 2012.