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LA LUTTE POUR UN HÔPITAL À GATINEAU

ouimet-raymond Par Le 15/12/2021

Dans Histoire locale

Quelqu’un a dit que celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la répéter. Il y a 48 ans, la population outaouaise montait aux barricades dans le cadre de la campagne l’Outaouais à l’urgence. Et pourtant, il reste encore de sérieux problèmes à résoudre dans le domaine de la santé en Outaouais.

L’Outaouais à l’urgence est un mouvement qui a vu le jour au début des années 1970, dans l'ancienne ville de Hull, dans le but d’obtenir des services de santé adéquats dans la région. L’affaire a débuté par une menace de démission du personnel médical et infirmier de l’hôpital du Sacré-Cœur (Hull). En décembre 1972, le courageux docteur Guy Morrissette déclare :

La clinique d’urgence est bondée […] les ambulanciers, faute de lits disponibles, doivent «  décharger » des patients dans des chaises (sic) roulantes, alors qu’ils devraient être étendus […] 621 noms figurent sur la liste d’attente actuelle de l’hôpital pour être hospitalisés […] des 350 lits actuels de l’hôpital plusieurs sont occupés par des malades chroniques, des vieillards ou des cas sociaux qui devraient se trouver dans des maisons spécialisées.

De fait, la région de l’Outaouais est dépendante des services de santé de la province voisine et le gouvernement québécois d’alors, comme ceux des années 2000, préfère verser des millions en frais d’hospitalisation au gouvernement ontarien Morrissette guy docteur 1plutôt que de les investir dans la région. Or, en 1966-1967, le taux de mortalité infantile en Outaouais est de 28,5 pour 1 000 naissances alors qu’il est de 25 pour l’ensemble du Québec. Au point de vue de santé, l’Outaouais compte parmi les régions défavorisées, ce qui est encore le cas en 2021.

Trois hôpitaux

À cette époque, il n’y a que trois hôpitaux sur le territoire de l'actuelle ville de Gatineau : Sacré-Cœur, Pierre-Janet (Hull) et Saint-Michel (Buckingham). Aussi, dès 1972, le conseil d’administration de l’hôpital Sacré-Cœur demande la construction d’un autre hôpital. Le député-ministre libéral du comté de Hull, Oswald Parent, tente de désamorcer la crise en minimisant les problèmes. Devant la cécité délibérée du député-ministre et l’immobilisme de Québec, la région s’organise et en janvier 1973, des représentants de 18 syndicats, mouvements et associations communautaires se réunissent au Centre diocésain autour d’une table ronde intitulée « Outaouais à l’urgence »

Le mouvement vient de prendre son envol. Les députés régionaux, pour le moins apathiques dans ce dossier, sont dénoncés. Une grande offensive est lancée : l’opération 25 000, qui consiste à recueillir sur une pétition la signature des personnes « désireuses de voir les politiciens se réveiller ». Pour le député-ministre Oswald Parent, insensible aux problèmes de santé de ses commettants : « La crise à Sacré-Cœur c’est la faute aux religieuses et aux agitateurs ! »

43 000 signatures

Le ministre de la Santé, Claude Castonguay vient faire une visite en Outaouais pour désamorcer la crise. Il est escorté dans un autobus placardé ; « Aujourd'hui, on est tous médecins » ; « On est tannée (sic) ». L’Outaouais à l’urgence remet au ministre la pétition qui ne compte pas moins de… 43 000 signatures ! Le ministre propose un plan d’action de 19 millions de dollars : création de neuf CLSC dans la région, ajout de 159 lits à l’hôpital du Sacré-Cœur, ajout de 16 lits à l’hôpital Pierre-Janet, la disponibilité de 110 lits pour malades chroniques et de 400 autres pour les personnes âgées. Bien que le ministre refuse la construction d’un autre hôpital, dans l’ensemble, le mouvement Outaouais à l’urgence est satisfait. Le docteur Guy Morrissette pouvait être fier des résultats qu’il avait obtenus en si peu de temps, en collaboration avec de nombreux organismes de la région.

Lâché par ses pairs

La lutte pour les services de santé dans la région est terminée, du moins affectait-on de le croire. Mais le docteur Morrissette, président du conseil des médecins et dentistes de l’hôpital Sacré-Cœur, n’est pas dupe et sait qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres, c’est-à-dire que des promesses restaient des promesses tant qu’elles n’avaient pas été réalisées. Celui-ci veut continuer la lutte, mais il est abandonné par le frileux corps médical. Afin de garder les coudées franches, Guy Morrissette démissionne de la présidence de son conseil et continue à militer dans le cadre de l’Outaouais à l’urgence.

Hopital sacre coeur en construction bisÀ l’automne 1974, la liste d’attentes de l’hôpital du Sacré-Cœur compte près de 2 000 cas. Les employés sont surchargés de travail et il y a pénurie de personnel médical. Les infirmières de la salle des urgences menacent de démissionner si les patients (40) des urgences ne reçoivent pas de meilleurs traitements.

La situation continue à se dégrader. En janvier 1975, 310 employés de l’hôpital du Sacré-Cœur démissionnent de leur poste. Au cours d’une réunion publique, l’Outaouais à l’urgence appuie les démissionnaires. Quelques jours plus tard, le gouvernement québécois met en tutelle l’hôpital.

La crise commence à se résoudre à partir du moment où la population outaouaise se prend en main et fait connaître son mécontentement à l’élection générale provinciale de 1976 : le député-ministre libéral et parrain de la région, Oswald Parent, est défait après 20 ans de règne. Un nouveau député, du comté de Chapleau, le péquiste Jean Alfred, se met rapidement à la tâche et le ministre de la Santé peut annoncer, le 24 mai 1978, la construction d’un nouvel hôpital de 300 lits à Gatineau, hôpital dont la construction s’amorce en 1980.

Toutes les difficultés n’auront pas été aplanies parce que la population va se satisfaire de peu et sombrer dans l'apathie. En effet, des problèmes importants subsistent encore en 2021 bien qu’ils semblent en voie de résolution avec la création d’une faculté de médecine affiliée à l’université McGill et l’annonce de la construction d’un nouvel hôpital de 600 lits.

Sources :

LAPOINTE, Pierre-Louis, Du Sacré-Cœur au C.H.R.O. 1911-1986, Centre hospitalier régional de l'Outaouais, s.l., s.d.
Le Droit (Ottawa), 16 février 1973.
POIRIER, Roger, Qui a volé la rue principale ? Montréal, Les éditions Départ, 1991.
Histoire de l’Outaouais, IQRC, 1994.
310 démissions ! Pourquoi elles ont démissionné de l’hôpital de Hull ? CSN, Montréal, 1975.