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La première exécution capitale en Outaouais

ouimet-raymond Par Le 12/10/2022

Dans Histoire locale

          Pendant une bonne partie du XIXe siècle, l’Outaouais est le Far West du Québec. La violence fait alors partie des mœurs des hommes qui vivent une bonne partie de l’année dans les chantiers à couper du bois ou à faire la drave sur la rivière des Outaouais et ses affluents. Et la loi, celle qui s’applique véritablement, est celle du plus brutal, du plus fort, car il n’y a pas là d’autorités judiciaires avant la fin des années 1840.

La mort du pêcheur

          En 1863, l’Outaouais est devenu plus paisible sans doute à cause de la mise en place d’une autorité judiciaire qui a pignon sur rue dans le petit village d’Aylmer. Les Shiners se sont calmés et les francophones gagnent en masse la région où de nombreux « moulins à scie » transforment en planches les immenses forêts de pins de la région. Le rôle de la prison du district judiciaire ne mentionne d’ailleurs que 36 arrestations pour cette année-là, la plupart pour de menus larcins.

          L’année est à son solstice estival. Plusieurs hommes pêchent dans le ruisseau Brigham – cours d’eau mal nommé, puisque c’est une petite rivière aujourd’hui connue sous le nom de ruisseau (sic) de la Brasserie – qui coule en la ville de Gatineau dans le quartier appelé Île de Hull. Sa source est la rivière des Outaouais, à 50 mètres en amont des chutes des Chaudières. Après avoir parcouru un demi-cercle de 2,5 kilomètres, il se jette dans cette même rivière, à 200 mètres en aval des chutes Rideau.

          À cette époque, il n’y a pas de ville de Gatineau et le ruisseau s’épanche dans un milieu bucolique qu’égaient les piaillements et les ritournelles de plus de 150 espèces d’oiseaux. De grands arbres feuillus se tendent les branches au-dessus des eaux limpides qui sont poissonneuses à souhait, puisque l’on y pratique la pêche commerciale au filet. Toujours est-il que le 20 juin, plusieurs personnes y tâtent qui le brochet qui la truite dans l’espoir d’en faire un bon repas ou d’en tirer de l’argent sonnant. Parmi eux, François-Xavier Séguin dit Ladéroute qui habite généralement au village de la Pointe-Gatineau situé à 3,5 kilomètres du ruisseau.

Âgé de 46 ans en 1863, Ladéroute s’est vu Palais de juctice aylmer 1878amputer d’une jambe 9 ans plus tôt par suite d’un accident. Depuis, son épouse l’a quitté emmenant avec elle les enfants. Il vit du produit de sa pêche et dort le plus souvent à la belle étoile. Ce pauvre bougre a changé et sa raison chancelle. Le 20 juin 1863, William Larocque , un robuste gaillard, navigue dans une chaloupe sur le ruisseau Brigham à environ 300 mètres de la rivière des Outaouais[1]. Plus loin, François-Xavier Larédoute pagaie dans son canot. Les deux hommes s’échangent quelques paroles : « Tu as encore pillé mes filets, mais je te jure que c’est la dernière fois. » Le lendemain, Ladéroute se vante auprès de sa belle-sœur d’avoir réglé le cas de Larocque le matin même. Deux pêcheurs trouvent le corps inerte de Larocque qui semble avoir été tué de cinq coups de rame. L’Outaouais est en émoi, car Larocque laisse dans le deuil une veuve et 9 enfants. Ainsi donc, dix-huit ans après l’affaire Leamy, l’aviron sert encore d’arme de combat.

Ladéroute est prestement arrêté et accusé de meurtre. Son procès commence le 12 juillet au palais de justice d’Aylmer. C’est le juge Aimé Lafontaine, un homme qui ne faisait pas l’unanimité en Outaouais, qui  préside le procès. Ironie de l’histoire, l’un des deux défenseurs de Ladéroute est le fils d’un des plus féroces Shiners : Peter Aylen ! La populace indignée crie vengeance et plusieurs des jurés ont déjà décidé du sort du prévenue : la pendaison. Et un des jurés dort pendant le procès.

Comme prévu, le jury trouve Ladéroute coupable de meurtre et le pauvre hère est condamné à être pendu haut et court le 18 septembre. Mais Ladéroute est-il coupable. Ce n’est pas sûr ; personne n’a tété témoin de l’homicide. Aussi, certains esprits éclairés, dont ses avocats, se demandent : « Comment un estropié dans un petit canot versant a-t-il pu attaquer et tuer un homme fort dans une chaloupe à fond plat ? »                                                                                              

Au mois de septembre, deux médecins, les Drs Douglas et Litchfield d’Ottawa procèdent d’abord à l’évaluation mentale du condamné et concluent qu’il est sain d’esprit, mais ignorant pour ne pas dire idiot. L’exécution est reportée au 2 octobre en dépit de nombreuses pétitions qui réclamaient que la peine capitale soit commuée en prison à vie. Déçu, le curé Ginguet de Pointe-Gatineau déclare alors : « L’exécution de ce pauvre malheureux sera celle d’un imbécile incapable de réaliser la conséquence de ses actions. »

Il est 10 h quand Ladéroute est lentement traîné à la potence, installée du coté ouest du palais de justice, par deux hommes. Comme le pays n’a pas de bourreau, les autorités ont sorti de la prison de Kingston un prisonnier qui a bien voulu exercer momentanément le rôle d’exécuteur des hautes œuvres. Une pluie fine commence à tomber. Ladéroute tremble de tous ses membres et au moment où le bourreau lui passe la corde au cou, il fond en larmes et s’écrie : « Oh ! Monsieur le Curé, je vous en prie, dites-leur donc de me laisser aller ! Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! » Le curé Michel de la paroisse d’Aymer ne peut que lui montrer le ciel en lui disant de prier. Puis à 10h10, le bourreau enfile un bonnet noir sur la tête de Ladéroute et expédie le condamné dans l'au-delà devant une foule nombreuse sous le regard d’un détachement de soldats chargé d’assurer l’ordre.

          Satisfaites, la foule et les autorités judiciaires abandonneront à leur pauvreté l’épouse et les enfants de William Larocque…

SOURCES :

BAC, RG4, C1, Provincial Secretary’s Office Canada East (P.S.O. C.-E.) 1863 « Goal Calendar », vol. 540, 541 et 543, nos 2144, 2147, 2413, 2482.
ROSSIGNOL, L., Histoire documentaire de Hull 1792-1900, Thèse de doctorat en philosophie, juin 1941, Université d’Ottawa.


[1] Vis-à-vis de l’église de la paroisse Notre-Dame-de-l’Île, boulevard Sacré-Cœur.