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Les amants diaboliques de Montpellier

ouimet-raymond Par Le 13/02/2022

Dans Histoire locale

          Marie Beaulne n’a que 17 ans quand elle épouse Zéphyr Viau qui, lui, en a 36 (1904). Était-ce un mariage d’amour ? Pas sûr. Toujours est-il qu’après 21 ans de mariage et 10 enfants, Marie s’est entichée d’un pauvre diable de 32 ans, Philibert Lefebvre qui a fait la Grande Guerre, celle de 14. Vers 1925-1926, il s’établit à Montpellier où il flâne apparemment plus qu’il n’y travaille.

          À cette époque-là, Zéphyr Viau travaillait dans les chantiers. Les prêches et les sermons du curé, qui enseigne que l’adultère est un péché mortel, n’ont pas le moindre effet sur l’épouse Viau. Elle est follement amoureuse de Philibert et de son regard bleu clair. Dès que Zéphyr s’absente de la maison, elle suspend une pièce d’étoffe rouge à sa corde à linge pour avertir Philibert que la corrida peut commencer.Beaulne marie 3

          Un jour de l’automne 1928, Marie demande à l’ancien soldat s’il est prêt à l’épouser dans l'éventualité où son mari mourrait. Ce à quoi l’amant répond par l’affirmative. Voilà Marie doublement amoureuse. Tout habitée par cette dévorante passion, elle ne se soucie ni de la réalité ni des convenances et n’obéit plus qu’à son inconscient sinon à ses sens. Petit à petit s’impose comme seul remède à son obsession l’assassinat de l’encombrant mari pour être tout entière à celui qu’elle aime.

          En ce matin-là, donc, juste avant le départ de Zéphyr pour les chantiers, Marie lui remet un médicament qu’il n’avalera qu’une fois rendu sur les lieux de son travail. C’est alors qu’il est soudainement pris de douleurs aux entrailles et de brûlements à l’estomac. Heureusement, le cuisinier du camp lui fournit une potion qui lui fait vomir ce qui était un poison !

          Le temps passe et Zéphyr revient à la maison pour la période des fêtes de Noël et du jour de l’an. Amère constatation : le Philibert dort encore chez lui – pour ne pas dire qu’il y fornique – régulièrement. Le bûcheron sort de ses gonds et menace de tuer l’amant si ce dernier revient dans les parages. Marie s’énerve. Zéphyr songe à la faire arrêter et s’en confie à leur fille aînée. Mais Marie est incapable de se passer de l’ancien soldat, de ses caresses et des massages sensuels qu’il lui prodigue.

          Le temps des Fêtes terminé, Zéphyr reprend le chemin des chantiers et Philibert celui de la couche de la chaude Marie ; les ressorts peuvent de nouveau grincer à répétition. Entre deux séries d’étreintes, le couple discute évidemment des menaces de mort que Zéphyr a proférées. C’est dans ces circonstances que Lefebvre aurait déclaré : « Puisqu’il en est ainsi, il vaut mieux que ce soit Viau qui meurt que moi. » Marie demande à Philibert du poison ; il lui remet une petite bouteille contenant de la strychnine, produit qu’il emploie souvent pour tuer les petites bêtes

Une soupe à la grimace

          Le 19 janvier, Zéphyr rentre des chantiers. Le lendemain, Marie sert à son mari pour dîner une soupe qu’il trouvera très amère ; il la mange quand même. Immédiatement saisi de vomissements, il doit s’aliter. Marie demande à un voisin d’aller « quérir » le curé en précisant qu’un médecin n’est pas nécessaire. Quand le curé arrive chez les Viau, vers 15 heures 30, il trouve Zéphyr agonisant.

Lefebvre philibert          Le curé juge qu’il y a anguille sous roche, d’autant plus que la Marie ne semble ni inquiète ni même affligée en voyant son mari si mal en point. Quoi qu’il en soit, Zéphyr meurt deux jours plus tard. Le curé de Montpellier confie ses doutes, sur la cause de la mort de Zéphyr Viau  au Procureur général de la province qui ordonne l’exhumation du corps. Le médecin légiste trouve dans le corps de Viau assez de strychnine pour tuer douze personnes.

          Tous les soupçons se portent sur Marie Beaulne et Philibert Lefebvre qui après une interrogation en règle finissent par avouer leur crime, Lefebvre jetant la responsabilité sur son amante.

Ce n'est pas pas moi, c'est l'autre...

          Marie Beaulne déclare ceci : « …Lefebvre a fait de moi un martir […] il ses servi de l’huile de charme l’huile de radionne [?] puis l’huile danis il a mis cela sur moi vous savez qune créature est pas forte comme un homme quand sa veux mal fer… »

          Voilà, cela semble assez clair : elle était incapable d’opposer la moindre résistance aux caresses et aux désirs de son amant. Marie aurait-elle osé tuer son mari si elle n’avait pas eu de poison ? C’est si facile de compléter l’assaisonnement d’un plat à l’aide d’un petit quelque chose à effet définitif !

          Le procès des amants a lieu à Hull en juin 1929 et ils sont rapidement condamnés à mourir pendus haut et court. Le souffle coupé, la condamnée s’écrase sur son siège en cachant son visage en pleurs dans son mouchoir de deuil. Philibert Lefebvre s’écrie : Votre Honneur, vous devez m’accorder votre pardon. Dieu et les Évangiles exigent que vous soyez clément. »

          Partout, on s’active pour sauver la vie des condamnés. Sans succès. Marie Beaulne panique. De sa belle écriture cursive, mais bourrée de fautes, elle adresse au shérif Saint-Pierre une lettre dans laquelle elle charge son amant :

[…] comme vous voyez que c’est pas moi quil est la plus coupable aracher une mère de 8 enfants pour l’amour d’un malfaisant trouvé vous que cest juste que si savait pas été lui que jamais sa serais ariver sa fésait 25 ans que jetait avec mon marie quon setait toujours bien aranger puis que ce Moribon vien nous separer en meme temps maraché de mes enfants ses pauvre petit […]

          Le matin du 23 août 1929 – un vendredi, pour rappeler que deux larrons ont été crucifiés avec le Christ –, une foule évaluée à plus de 2 000 personnes est assemblée devant le palais de justice de Hull, où une partie d’entre elles a passé la nuit, et occupe les toits des bâtiments environnants qui donnent sur la cour de la prison attenante au palais.

          L’exécution achevée, le père de Philibert Lefebvre réclamera le corps de son fils, mais personne ne demandera celui de Marie Beaulne qui sera enterré dans la fosse commune du cimetière Notre-Dame à Hull même si le policier Joseph Frédéric Dalpé, qui avait le cœur à la bonne place, avait offert de payer de sa poche le transport de la dépouille mortelle à Montpellier.

Source :

OUIMET, Raymond, Crimes, mystères et passions oubliés, Gatineau, éd. Vents d'Ouest, 2010.