L'arrivée du cinéma à Gatineau

ouimet-raymond Par Le 28/04/2021

Dans Histoire locale

          Le cinéma[1] a été qualifié, peu après son invention, de « Septième art ». Cela n'est pas étonnant puisqu’il fait rêver depuis maintenant plus de cent ans. Dès sa naissance, il a attiré des foules nombreuses et demeure toujours aussi populaire en ce XXIe siècle d’autant plus qu’il a conquis la télévision dès les années 1950, puis maintenant Internet.

Mais qui a donc inventé le cinéma ? Au moins une quinzaine d'autres personnes, dont les pionniers français Jules Marey et Louis Augustin Aimé Le Prince. Ce dernier, marié à une Anglaise, a conçu une caméra de projection cinématographique et tourné une scène de 2,11 secondes, Scène au jardin de Roundhay, en Grande-Bretagne en 1888 (Voir : Roundhay Garden Scene (1888) - YouTube). En octobre de la même année, il filmait des calèches, des tramways et des piétons sur le pont de Leeds à 16-20 images/seconde.

On ne sait pas où et quand exactement le premier film a été présenté à Gatineau : aucun historien de la région, à ce jour, n’en a dit mot si ce n’est Lucien Brault, dans son histoire d’Aylmer, qui raconte que le cinéma a fait son entrée dans cette ancienne ville en 1909, et Joseph Jolicoeur, dans son Histoire anecdotique de Hull, qui écrit erronément que le premier cinéma de Hull, le Talbotoscope, a ouvert ses portes en 1909.

Une première projection a eu lieu sur la rive droite de la rivière des Outaouais, à Ottawa, devant deux mille spectateurs, le 21 juillet 1896, au West End Park, et ce, au moyen du procédé Vitascope de l’inventeur Thomas Edison. Le spectacle comprenait alors 4 films Edison de 50 pieds (15 mètres) pour un total d’au plus 4 minutes de projection.

L'un des films produit par les frères ottaviens Andrew et George Holland, s’intitulait The Kiss  dans lequel un couple s'embrassait pendant 30 secondes. Et selon l'historienne Georgette Lamoureux, il a scandalisé les spectateurs[2]. Et c’est le 30 mars 1897 que le cinématographe des frères Lumière est présenté à Ottawa dans une salle de la haute ville.

Les vues animées à Gatineau

Il est possible que les premiers films montrés à Gatineau l’aient été soit dans un parc d’attractions soit dans une fête foraine comme c’était le cas ailleurs, ou encore dans une salle comme celle de l’Œuvre de la jeunesse à Hull – elle pouvait contenir plus de 500 personnes – d’autant plus qu’on y présentait des pièces de théâtre depuis 1884. De 1897 à 1906, une certaine comtesse Anne d'Hauterives et son fils Henry parcouraient le Québec, jusque dans les régions les plus éloignées, avec leur Historiographe – c'est ainsi qu'ils avaient nommé leur entreprise et leur projecteur Lumière – au moyen duquel ils montraient aux citadins et aux ruraux « des "vues" historiques et religieuses que le vicomte commentait avec une éloquence reconnue ». Il serait étonnant qu'ils ne soient pas venus en Outaouais d'autant plus qu'ils avaient fait plusieurs projections à Ottawa au mois de mars 1898.

Nous savons toutefois avec certitude qu'une projection cinématographique a eu lieu dans l’ancienne ville Hull le 30 octobre 1898 dans cette fameuse salle de l'Œuvre de la jeunesse. En effet, ce jour-là, le Père Murphy, Le Temps 19100602oblat de Marie-Immaculée et professeur à l'université d'Ottawa, a présenté des : « Magnifiques Vues (sic) à projections illustrées [...] Plus de 100 tableaux comiques, coloriés et animés. » Ce qui fait croire que nous sommes possiblement en présence de vues animées, c'est le mot « animés ». Une autre projection cinématographique se fera à Hull en 1899. En effet, le 14 janvier de cette année, le journal Le Temps a rapporté que Louis d'Odet d'Orsonnens s'apprêtait à montrer à la salle Tellier, le lendemain soir : « [...] une exhibition de tableaux vivants au biomograme [...] » L'article précise que le biomograme est le plus « récent perfectionnement du kinétoscope », ce qui démontre que nous sommes bien là en présence de vues animées. D'Odet d'Orsonnens promettait de montrer « [...] le mouvement des vagues de l'Atlantique, de l'oiseau en vol, de l'homme, etc. 

C’est en 1905 que le cinéma s’est implanté à Gatineau pour y rester : c’était alors le début de la sédentarisation des projections. En effet, cette année-là, Joseph Maxime Lavigne inaugurait la salle de « récréation » Frontenac, rue du Pont (Eddy), à l’angle de la rue Queen (boulevard des Allumettières), dans le secteur Hull.

Il n'y a pas qu'à Hull que des salles de vues animées se sont développées. Le 9 mai 1908, Joseph Théophile Croisetière inaugurait, à Buckingham, une nouvelle salle, réservée à la projection cinématographique, à l’étage d’un bâtiment appelé Cameron’s Hall : le National Theatre. L’ouverture de ce scope a passé presque inaperçue dans la presse locale. Croisetière utilisait un projecteur de marque Cameragraph, procédé Vitascope, fabriqué par Edison. Deux ans plus tard, il construira un nouveau cinéma au 68, rue Main, juste en face de la rue qui conduisait alors au pont qui enjambait la rivière du Lièvre, et le nommait Oasis.

À Aylmer, c’est apparemment Emmanuel Lavigne qui inaugure la première salle de projection de films en 1909. L'année suivante, Alphonse Moussette, futur maire de Hull, ouvre un scope à Masson : l'Eldorado. À Pointe-Gatineau, les vues animées apparaissent en 1911 avec l'établissement d'un certain Albert Crevier.

Quant au cinéma sonorisé, il est apparu à Gatineau en 1929, au cinéma-théâtre Laurier, propriété de Donat Paquin. Il avait été doté du système de sonorisation « Pacent » qui permettait de présenter du cinéma sonore et parlant au moyen d’enregistrements sur disques ou encore sur pellicule de film. Le 12 octobre, le Laurier a affiché un film qui contenait des segments sonorisés, mais au moyen du système RCA Photophone, et ce, pour la première fois en Outaouais. Ce film, qui avait été banni par le Bureau de censure de l’Ontario, avait un titre on ne peut plus provocateur : The Godless Girl (doublé en français en 1930 avec pour titres La fille sans dieu ou Les damnés du cœur). Tourné par Cecil B. DeMille, il met en vedette l’actrice Marie Prévost, née en 1898 à Sarnia, Ontario, que son gérant fait faussement passer pour une Canadienne-Française.

[1] Ce texte est extrait d'un projet d'histoire des cinémas de Gatineau.
[2] LAMOUREUX, Georgette, Histoire d’Ottawa, tome III – Ottawa 1876-1899 et sa population canadienne-française, Ottawa, 1982, page 196.

 
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