Les frères Aubry ou chronique de scandales locaux

ouimet-raymond Par Le 09/09/2022

Dans Histoire locale

           La société est faite d'êtres humains dont la vanité et les ambitions, qui forment une jolie paire, ne sont guère différentes de celles que l'on observe partout où argent et pouvoir sont les seules choses qui comptent. Ainsi, n’y a-t-il rien de neuf sous le soleil. Pour preuve, l'histoire suivante : Les frères Aubry ou chronique de scandales locaux.

          Stanislas Aubry a vu le jour à Saint-Scholastique, aujourd’hui Mirabel, dans les Basses-Laurentides le 29 juillet 1860. D'un bouillant caractère, un rien le faisait sortir de ses gonds. Son comportement fantasque révélait, sans doute, une vieille blessure enfouie dans son inconscient, vraisemblablement celle causée par les circonstances de sa naissance. En effet, né en dehors des liens du mariage alors que sa mère était veuve depuis près de huit ans – un véritable déshonneur au siècle dernier –, il avait été baptisé à l'âge de neuf jours, soit la journée même des noces de ses parents. Pour quelqu'un qui voulait faire sa marque dans la vie, les circonstances de son arrivée en ce bas monde constituaient une tache... originelle.

     Médecin, Stanislas Aubry était un personnage fort imbu de lui-même ; il croyait vraisemblablement que son entourage était né pour le servir sinon pour faire ses quatre volontés. Une maison imposante, qu'il a fait construire en 1908 à l'angle de la promenade du Portage et de la rue Aubry, décrit bien la personnalité du médecin : elle a la particularité d'avoir deux façades apparemment identiques, mais qui se différencient par l'inversion de ses éléments architecturaux…

Scandale à l'église

          Ses défauts lui vaudront un étonnant scandale… familial qui fera le tour de la région. Stanislas Aubry et son frère cadet Georges avaient apparemment appris, peu de temps avant le mariage de leur jeune soeur Marie-Louise avec le photographe François-Xavier Filteau, que leur frangine était enceinte. Stanislas avait-il eu l'esprit obnubilé par la grossesse de sa soeur qui lui rappelait sa propre naissance ? La suite des événements Stanislas Aubryle laisse croire. Furieux, il avait résolu d'empêcher, avec l'aide de son frère, la célébration de ce mariage sans égard pour les sentiments des futurs mariés. Le jour de la cérémonie nuptiale, c'est-à-dire le 31 mai 1885, les frères Aubry mettaient à exécution leur plan, un beau scandale qui alimenta les conversations de la population hulloise pendant tout l'été. Le mariage avait lieu au presbytère de l'église Notre-Dame-de-Grâce, comme c'était généralement le cas quand on voulait éviter toute publicité. Au cours de la cérémonie, Stanislas s'était dirigé vers sa soeur qu'il avait d'abord frappée et à qui il avait ensuite arraché son chapeau devant une assistance ahurie. Puis, les deux frères s'étaient permis de bousculer vivement plusieurs personnes dans l'assistance. (Ci-contre, Stanislas Aubry)

              Le soir des noces, les frères Aubry étaient mis en état d'arrestation et le mercredi suivant, ils comparaissaient devant la cour de police. Les accusations étaient précises : avoir voulu empêcher la célébration d'un mariage et avoir frappé les personnes présentes à la célébration. L'avocat des deux frangins avait demandé que l'accusation soit limitée à une simple accusation de voie de fait, ce dont la cour n'avait pas tenu compte. Après avoir entendu plusieurs personnes qui avaient été témoins de la rixe, la cour de police condamnait les frères Aubry à subir un procès aux assises criminelles à Aylmer, là où le Palais de justice du district judiciaire était situé à cette époque.

          On ne sait pas si les frères Aubry ont été condamnés, car la plupart des documents d'époque sur cette affaire manquent. Mais, il a fort à parier que l’affaire s’est réglée hors cours.

Un politicailleux

          Trois ans après ce scandale, Stanislas Aubry, habile blablateur d'estrades, s'est lancé en politique municipale ; il sera élu conseiller municipal de Hull de 1888 à 1893 et maire de la ville en 1894. Il est le premier maire élu par le vote populaire – auparavant, le maire était élu par les échevins. Mais en 1895, il est déchu de ses droits civiques pour la vie et condamné à une imposante amende de 2 000 dollars pour avoir exigé des pots-de-vin d’entrepreneurs pour régler des factures. Il récupéra ses droits civiques quatre ans plus tard grâce à une étonnante loi passée au parlement à Québec.

          Aubry n’aura pas perdu le de sa prépondérance sociale : en 1905, il pose de nouveau sa candidature à la mairie de Hull. Et comme le peuple a la mémoire courte, Stanislas Aubry sera… réélu et restera au conseil jusqu’en 1907. Deux ans plus tard, il proposera le change de nom de la ville de Hull pour celui d’Ottawa-Nord ! Stanislas est décédé en 1936 à l’âge de 76 ans.

          Soulignons que magnifiquement restaurée, la maison Aubry a mérité à son propriétaire le prix d’excellence de la rénovation de la Ville de Hull en 1998.

SOURCES

Centre régional d'archives de l'Outaouais.
Encyclopedic Canada, vol. 5, The Bradley-Garretson Company Ltd, Toronto;1896.
Guitard, Michelle, Historique des bâtiments au coeur de Hull, Ville de Hull, 1990.
Le Spectateur, Hull, 12 janvier 1899.
La Vallée de l'Ottawa, 3 juin 1885, Hull.
Procès-verbal du 23 décembre 1885 du Conseil municipal de Hull.

 
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