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Les marchands de glace de jadis

Par Le 05/01/2014

Dans Histoire locale

          Jadis, la glace n’était pas un produit facile à produire et à conserver, particulièrement en milieu urbain. Dans l'Antiquité grecque et romaine, la neige prélevée sur les montagnes était entreposée dans des fosses et isolée par des matériaux végétaux. Elle restait ainsi durant des mois à l'abri de la chaleur et à la disposition des utilisateurs. On raconte qu'Alexandre le Grand faisait rafraîchir des tonneaux de vin dans des tranchées bourrées de neige afin de donner du cœur au ventre à ses soldats à la veille des batailles.

          Le goût des boissons froides et des friandises glacées s'est répandu en Europe au moins dès le XVIe siècle. Aussi la vente de la neige et de la glace est-elle devenue une activité lucrative. Par ailleurs, on a fini par s'apercevoir que le froid favorisait la conservation des denrées alimentaires en enrayant la prolifération des organismes microscopiques. Le temps passant, on a eu de plus en plus recours à la réfrigération, même dans le grand commerce maritime.

          Bien que le réfrigérateur électrique ait été inventé en 1913, les marchands de glace sont nombreux en Outaouais urbain jusqu’à la fin des années 1940. Les principaux marchands de glace étaient : Henri Lafrance et Ernest Dubuc à Val-Tétreau, Godin Frères de même que Hector Lafleur dans le Vieux Hull, Joseph Filiou, Lorenzo Tellier et Vipond à Wrightville, Miron à Pointe-Gatineau, etc. On récoltait la glace sur la rivière des Outaouais, sur les rives du parc Moussette et de baie des Paresseux (Squaw Bay), au lac Leamy et sur la rivière Gatineau.

          Dès que la glace se formait sur le plan d’eau, les plus professionnels des marchands de glace préparaient leur produit naturel. Par exemple, les frères Godin, Aimé et Raoul, étaient fiers de dire qu’ils « font la glace » et pourtant ils la récoltaient au lac Leamy. Mais voilà, ils entretenaient leur « rond » soigneusement pendant de nombreuses semaines et n’y laissaient jamais la neige s’y accumuler. Si la pluie y laissait une couche de verglas, ils n’hésitaient pas à gratter la croûte friable jusqu’à la glace dure. Et pour la faire épaissir le plus rapidement possible et lui conserver sa limpidité, ils y perçaient des trous et faisaient monter l’eau par dessus.

          Habituellement, la glace était prête à récolter peu après les Rois, c’est-à-dire avant la mi-janvier, quand elle avait atteint environ 35,5 centimètres d’épaisseur. Une dizaine de travailleurs, épaulés par trois ou quatre charretiers, prenaient une quinzaine de jours à la découper, la transporter et l’entreposer. Ce n’était pas un travail facile. On commençait l’opération à la barre du jour pour n’arrêter qu’à la brunante. Il faisait très froid sur les plans d’eau gelée et on devait parfois exécuter les travaux pendant des journées de grands vents et de tempêtes de neige.

La récolte de la glace

          La glace était découpée au moyen de longues scies en blocs de 0,91 mètre de long, sur 35 centimètres d’épaisseur et 45 de largeur, qui pesaient plus de 200 kilogrammes. Un bon scieur de glace découpait environ 300 blocs par jour qui étaient ensuite poussés au moyen de longues perches jusqu’à une grue, actionnée par le va-et-vient d’un cheval, qui les soulevait et les déposait sur un traîneau tiré par deux chevaux. À partir des années 1930, la glace sera sortie de l’eau au moyen d’un chargeur-élévateur mécanique, puis chargée sur un camion.

          Les vêtements de travail des hommes étaient alors bien différents des nôtres. Généralement faits de laine, ces vêtements imbibaient l’eau et devenaient lourds à porter. Il y avait danger de se couper ou de se faire écraser un pied. Les chevaux travaillaient tout aussi fort que les hommes et au péril de leur vie. Par exemple, dans les années 1940, le marchand Hector Lafleur en a perdu deux qui se sont noyés dans le lac Leamy pour avoir marché sur une glace trop mince.

          La glace prélevée, des traîneaux en transportaient chacun une vingtaine de blocs jusqu’à la glacière. Outre leurs propres chevaux et traîneaux, les marchands de glace employaient des charretiers, avec chevaux et traîneaux, venant de la campagne environnante. Les plus assidus étaient les Benedict, de Hull, les Cardinal, de Clarence Creek et les Shouldice de Bourget. Ce transport de la glace, du plan d’eau aux glacières, était suivi de près par les enfants fascinés par le défilé des traîneaux pleins de glace. Montés sur le dernier rang des blocs de glace, jambes écartées, guides en mains, les charretiers dirigeaient les chevaux habilement décorés de clochettes et de fleurs en papier. Mais dès le début des années 1930, ces défilés se feront de plus en plus rares parce que les marchands de glace ont commencé à s’équiper de camions.

          Les frères Godin avaient leur glacière rue Charlevoix, juste en face du parc Flora (aujourd’hui Fontaine), depuis 1925. Ils y entreposaient plus de 15 000 gros blocs qui y étaient hissés au moyen d’un palan et ensuite déposés sur un glissoir qui dirigeait les blocs à l’endroit voulu dans le vaste entrepôt. Quand la glacière était pleine, on étendait du bran de scie sur le dernier rang de glace ; certains marchands en étendaient entre chaque rang de blocs de glace.

          Le printemps arrivé, les marchands livraient la glace de porte en porte. Mais, avant la livraison, les gros blocs de glace étaient découpés à la hache, en petits blocs de 8 kilogrammes, par un « débiteur » adroit. Ces petits blocs seront vendus 0,05 dollar pendant les années 1930, et de 0,10 à 0,15 dollar au cours des années 1940.

          Après la Deuxième Guerre mondiale, les réfrigérateurs, dont le prix d’achat a diminué, ont gagné rapidement en popularité de sorte que les marchands ont cessé leurs opérations les uns après les autres : les Godin en 1947 et les Lafleur en 1955. L’un des employés de Godin et frères, Emmanuel Émond, qui ne pouvait se résoudre à quitter le monde de la glace dans lequel il avait commencé à travailler en 1932, à l’âge de 14 ans, est devenu commerçant producteur de glace naturelle, puis artificielle. Dernier des marchands de glace de Hull, il a livré son ultime sac de glace en 1990.

Source :

Documentation personnelle.