Créer un site internet

Les pompiers d'antan

ouimet-raymond Par Le 22/01/2022

Dans Histoire locale

       La vie des pompiers au début du XXe siècle n'était pas drôle. Ils étaient confinés de longues heures à leur caserne à réparer l'équipement, à entraîner et nourrir les chevaux, à nettoyer les écuries, à entretenir la caserne, à jouer aux dames... en bois. En 1918, ils vivaient à la caserne 24 heures par jour et n'avaient qu'une demie journée de congé tous les quatre jours. Ils ne voyaient donc pas souvent femme et enfants. En avril 1919, un pompier déclara à l'éditorialiste du journal Le Droit, Thomas Poulin :

Je suis pompier depuis quelques années, j'ai des petits [jeunes] enfants qui commencent à grandir et ces enfants ne me connaissent pas parce qu'ils ne me voient jamais[1].

       Rien d'étonnant que les pompiers de l'ancienne ville de Hull aient déclenché une grève en mai 1919 pour obtenir de meilleures conditions de travail. Le journal local appuya leurs revendications en ces termes :

Les besoins de la famille chrétienne exigent donc que l'employeur, qu'il soit individu ou corporation, fournisse au père les moyens d'élever chrétiennement sa famille, ce qu'il ne peut faire s'il ne va jamais à la maison[2].

 Brigade incendie hull 1903      Après une grève qui n'aura duré que 30 heures, le conseil municipal décida de créer une seconde équipe de pompiers, ce qui limita la journée à 12 heures consécutives à la caserne. Quarante ans plus tard, les pompiers passaient 72 heures par semaine à la caserne, mais ne bénéficiaient que d'une fin de semaine par mois de congé[3].

       Au temps des chevaux, la vie de pompier ressemblait à celle des pilotes de course d'aujourd'hui. Leurs fringants quadrupèdes prenaient parfois le mors aux dents ou tournaient les coins de rue trop rapidement, jetant équipement et équipage en bas du fourgon à échelles, équipement et équipage ou renversant la voiture qu'ils tiraient. Même s'ils leur donnaient du fil à retordre, les pompiers aimaient leurs chevaux si bien qu'ils n'hésitaient pas à braver le danger pour leur sauver la vie.

       Un jour d'avril 1914, les pompiers furent appelés pour intervenir dans une maison, située dans le coin de la rue Lois, ayant la réputation d'être possédée par des forces maléfiques, le feu s'y déclarant, disait-on, de manière mystérieuse. Une fois, il s'était déclaré sous un lit. Aussitôt éteint, il éclata dans l'armoire, puis dans une valise. Les propriétaires faisaient surveiller la maison par des gardiens chargés d'éteindre le feu aussitôt qu'il éclatait! Mais comme le feu continuait à s'allumer sans raison apparente, ils se résolurent à demander au pasteur de bénir la maison pour en chasser les mauvais esprits. Le pasteur MacFarlane, qui n'avait sans doute pas confiance dans ses prières, se rendit sur les lieux pour conseiller aux propriétaires de s'adresser à un prêtre catholique dont les incantations étaient à son avis plus efficaces !

       Mais avant qu'un prêtre eut le temps d'aller exorciser la fameuse maison, un incendie y éclata encore une fois. Les pompiers tentèrent de s'y rendre le plus rapidement possible, mais le sort – ou le diable peut-être? – se mit de la partie. Pour traverser le ruisseau de la Brasserie, deux des chevaux de la pompe à incendie furent détachés, car le ponceau n'était pas assez solide pour soutenir à la fois quatre chevaux et la pompe. Effrayés par la foule accourue à l'incendie, les chevaux partirent à l'épouvante et s'engagèrent au grand galop sur le pont. Soudain, Ned, le cheval de droite, fit un écart et plongea dans le ruisseau en entraînant avec lui l'autre cheval, Dick. Les pompiers se jetèrent alors dans l'eau glacée pour sauver leurs bêtes. Malgré la force du courant et le poids des animaux de trait, ils réussirent, après des efforts quasi surhumains, à traîner les chevaux sur le rivage où ils moururent aussitôt. Lorsqu'ils parvinrent enfin à la maison, plus un mur ne tenait debout. Cendres et fumée étaient tout ce qui restaient du bâtiment hanté par d'hypothétiques diablotins. Comme on n'a plus jamais entendu parler de ces esprits malicieux, il faut croire que, pour une fois, le retard des pompiers a eu du bon!

Un rude métier

       Rude tâche que le métier de pompier. Qui ne les a pas vus sortir du brasier la figure noircie par la fumée, les vêtements salis et déchirés et, parfois, le cœur chaviré par la mort d'un enfant qu'ils n'avaient pu sauver ? Les pompiers combattent l'incendie à toute heure, chaque fois que cela est nécessaire. Rien ne les empêche de faire leur devoir. Sortir par des froids sibériens avec tout le barda pour arroser pendant des heures n'est pas une sinécure. À -30°C, les pompiers finissent par ressembler à des fantômes à la moustache et aux sourcils de givre. L'hiver a longtemps été leur saison damnée, car ils n'ont pas toujours été aussi bien vêtus qu'aujourd'hui[4]. En décembre 1933, les pompiers hullois ont combattu 38 incendies à des températures inférieures à -17°C dont un, le 30 décembre, pendant 11 heures et par un froid de -34°C. Un an plus tard, le 24 décembre 1934, une tempête de neige aggravée de vents violents et de froid intense provoqua de si nombreux feux de cheminée et de tuyaux de poêle que les pompiers répondirent à 42 alertes en 3 heures! Dans ces conditions, on comprend que les engelures aient été fréquentes.

      Incendie hull 19630208 Combattre le feu dans le froid de l'hiver relevait de l'exploit. Le matin du 23 janvier 1948, alors qu'il faisait -27°C, un incendie se déclara rue de l'Hôtel-de-Ville, au coin de Maisonneuve, dans les immeubles Farley et Laverdure, vers 5 h 20. Six minutes plus tard, les pompiers étaient sur les lieux de l'incendie qui semblait vouloir se propager aux immeubles voisins. Les flammes montaient dans le ciel et on pouvait voir de partout dans la ville le rouge écarlate ajouter des teintes inhabituelles au lever du jour.

       Le froid était cinglant. Les pompiers grelottaient sous la couche de glace qui les recouvrait. L'un d'entre eux dut arrêter de combattre parce qu'il avait le poignet et le pied littéralement gelés. L'eau gelait à mesure qu'elle tombait sur les bâtiments en flammes. Tout à coup, un mur s'écroula, blessant deux pompiers. Pour éviter de perdre hommes et équipement, on voulut déplacer un camion à échelles, mais l'eau accumulée dans la rue avait emprisonné le camion jusqu'à la hauteur des essieux dans une couche de glace de 60 centimètres d'épaisseur. Fascinés par le combat que livraient les pompiers, les élèves du collège voisin « oublièrent » de rentrer en classe et les professeurs durent venir les chercher. Enfin, vers 13 heures, l'incendie fut éteint. Des édifices incendiés, il ne restait plus que des façades qui ressemblaient plus à des vieux châteaux de glace des contes de fée qu'à des immeubles de rapport.

Sources :

OUIMET, Raymond, Une ville en flammes, Hull, éd. Vents d'Ouest, 1996.

    [1] 7 avril 1919.
    [2] Ibid.
    [3] Communication de M. Jean-Marcel Gingras à l'auteur, 25 octobre 1991.
    [4] Aujourd'hui les pompiers sont vêtus d'un habit fait de « Nomex », un matériau léger et efficace contre le froid, l'eau et le feu.

 
×