Créer un site internet

Le Noël de mon enfance

ouimet-raymond Par Le 13/12/2022

Dans Histoire générale

          Dans les années 1950, les catalogues de Eaton et Simpsons Sears, puis la période de l’avent annonçaient l’arrivée prochaine du temps des Fêtes. L'avent, c'était les quatre semaines qui précédaient la veille de Noël, période de jeûne pas facile à respecter puisque les mères préparaient, à ce moment, la mangeaille des Fêtes. Chez nous, la parenté éloignée venait aider ma mère à préparer cette période de l’année. C’était une grand-tante et des cousines venues de la campagne de l’île aux Allumettes si chère à ma mère qui en était originaire. Pendant une semaine, la maison se remplissait d’effluves de tourtières, de beignets, de galettes à la mélasse et au gingembre, de tartes aux atocas, etc. Le gâteau au lard (aux fruits) était toutefois préparé deux mois avant Noël et pouvait se conserver pendant un an, mais il était rapidement dévoré.

          Nous allions acheter notre sapin de Noël environ une semaine avant Noël. Il y avait toujours quelqu’un dans le quartier qui faisait ce commerce annuel dans son fond de cours. Nous décorions l'arbre en famille au cours d'un samedi soir ou d’un dimanche après-midi. Sous l’arbre, on installait toujours une crèche que mon père avait fabriquée ; elle était entourée d’un petit village de maisonnettes blanches illuminées et de personnages de plâtre peint tels des anges, des bergers et des mages. Mais ce n'était qu'à minuit, le jour de Noël, ou dans les heures suivantes que le petit Jésus y était déposé. Nous conservions l’arbre de Noël jusqu’à la semaine suivant la fête des Rois alors que d’autres familles, certes peu nombreuses, le conservaient jusqu’au Mardi gras.

          Chaque année, nous postions et recevions entre soixante et quatre-vingts cartes de vœux de Noël que nous suspendions à une ficelle tendue sur un mur de la cuisine. Nous les comptions en espérant en recevoir un plus grand nombre que l’année précédente. Dans le journal Le Droit du début de décembre, on trouvait un cahier de chants de Noël allant de l’Adeste Fideles aux Anges dans nos campagnes que nous chantions en famille. Puis on allumait le « Victrola[1] » dont les vibrations de l’aiguille nous transmettaient la douce voix de Tino Rossi : Petit papa Noël.

La messe de minuit

          La messe de minuit était le moment fort du Noël de mon enfance. L’église Notre-Dame-de-Grâce (Hull) était éclairée comme jamais pendant l’année sinon à Pâques. Les yeux étaient tous tournés vers la crèche qui bordait la Sainte TableNoel 1961 famille ouimet ; elle faisait au moins trois mètres de haut.

          Les confessions terminées, la grand-messe commençait, sérieuse, solennelle. Minuit moins cinq : les grandes orgues Casavant faisaient entendre les premières notes. Puis le chœur de chant entonnait le Venez divin Messie. Mais toute l’assistance attendait « L’heure solennelle », celle qui, au moment de l’entrée des célébrants et des 80 enfants de chœur vêtus d’une soutane rouge et d’un surplis blanc, donnait le coup d’envoi au cantique tant aimé : Minuit, chrétiens ! Les fidèles étaient pris d’un frisson qui secouait tant le corps que l’âme. Tous, sans exception, écoutaient le chant comme des mélomanes.

          Ce chant a été composé en France en 1847 et a été banni de nombreuses églises du Québec dans les années 1930 et 1940 à la suite d’une campagne menée par le cardinal Villeneuve (1883-1947) qui emboîtait le pas à des autorités ecclésiastiques françaises. On avait fait courir la rumeur que ce chant avait été composé pendant une beuverie, et que l’auteur, un supposé franc-maçon alcoolique, avait recyclé la musique de l’un de ses opéras pour l’offrir à sa maîtresse, ce qui était évidemment faux.

          Si la grand-messe était longue et solennelle, les messes (la messe de l’Aurore et celle du Matin) qui suivaient étaient dites beaucoup plus rapidement. Et les chants éclataient plus joyeux les uns que les autres sous la voûte de la grande église. Chacun chantait à pleins poumons. Puis on quittait le temple pour se rendre à la maison, le plus souvent à pied et parfois sous une neige qui donnait un air féérique à notre parcours d’une vingtaine de minutes.

Une nuit miraculeuse

          On disait que la nuit de Noël, à la campagne, les ruraux prêtaient une attention spéciale aux bruits de l’étable. Un vieil adage français, repris au Québec, voulait que les animaux se parlent à ce moment ; on pouvait donc les surprendre en pleins palabres. Longtemps la population québécoise en a été convaincue. On répétait, par exemple, que les montagnes s’entrouvraient et laissaient voir le minerai qu’elles contenaient. Les morts sortaient des tombes et venaient s’agenouiller au pied de la croix du cimetière, là où le dernier curé de la paroisse, vêtu du surplis et de l’étole, leur chantait la messe. Puis toujours en silence, ils se relevaient, regardaient le village où ils avaient vécu, la maison où ils étaient décédés, et gagnaient à nouveau leur tombe.

          Évidemment, le monde des vivants n’avait pas le temps de voir ce qui se passait dehors puisque, à l’intérieur des maisons, le réveillon tant attendu était servi. Chez moi, jusqu’en 1956, il n’y avait pas de cadeaux à Noël : on mangeait, on riait au milieu de la nuit. Puis, on allait au lit la tête pleine de chants joyeux et religieux. Le reste de la journée se passait en famille à chanter et à jouer à divers jeux. Mais la fête la plus célébrée, celle où nous recevions nos étrennes, était évidemment le jour de l’An célébré chez mes grands-parents paternels avec toute la famille qui comptait plus d’une vingtaine d’adultes. C’était un véritable festin avec repas, chansons et alcool :

Prendre un verre de bière mon minou
Prendre un verre de bière right through
Tu prends d’la bière
Tu m’en donnes pas
J’te chante des belles chansons
J’te fais des belles façons
Donne-moé z’en donc…

La fête se terminait vers les trois ou quatre heures du matin, ce qui ne laissait aux travailleurs que deux petites heures de sommeil avant leur retour au travail, fatigués, mais gonflés à bloc par cette journée de réjouissances.

Joyeux Noël

Photographie : Noël 1961 chez mes parents.

 

[1] Tourne-disque 78 tours.

 
×