Nos ancêtres les femmes

Par Le 20/03/2015

Dans Histoire générale

          Qui peut dire le nom de sa première ancêtre matrilinéaire ? La mienne est Marie Garnier (Charles et Jeanne Labraye), engagée avec son mari, Olivier Charbonneau, à La Rochelle le 5 juin1659, arrivée à Montréal le 20 septembre1659. C’est drôle, mais la plupart des généalogistes que je rencontre ne connaissent souvent pas l’identité de leur première ancêtre.

          Il suffit de consulter brochures, fascicules, livres et dictionnaires pour se rendre compte que les femmes, au Québec, sont ignorées par la généalogie et par l’histoire. À en croire les écrits de la majorité des généalogistes, la paternité est une certitude et la maternité un terme médical ! Dans nos livres d’histoire, on devise sur des ancêtres du moyen-âge dont le nom de la mère de leurs enfants est inconnu. Ce qui est encore plus étonnant, c’est que les femmes sont de plus en plus nombreuses à faire de la généalogie et de l’histoire, et pourtant la généalogie féminine et l’histoire des femmes sont à peine plus populaires aujourd’hui qu’elles l’étaient il y a un quart de siècle.

          De nombreux ouvrages ont été publiés sur les pionniers de la Nouvelle-France. Pensons, par exemple, aux ouvrages de Jacques Saintonge (Nos ancêtres) et de Robert Prévost (Portraits de familles pionnières), ainsi que le fameux ouvrage Nos racines dont chaque fascicule, on s’en souviendra, contenait une biographie d’ancêtre. Aucun de ces ouvrages n’a consacré de notices biographiques à des femmes. À les lire, on a l’impression que les femmes – pourtant la moitié des sociétés de toutes époques – n’ont été qu’accessoires. Saluons par contre le fichier Origine, le premier instrument de recherche qui traite les femmes comme des personnes, des ancêtres à part entière, et ce livre de Robert Prévost, Figures de proue du Québec. Évocation de 700 femmes « dépareillées ».

         La femme est pourtant la composante essentielle de la famille. La preuve en est que les foyers monoparentaux sont d’abord et avant tout composés de femmes chefs de famille, et que les familles se désunissent généralement après la mort de la mère. De plus, la maternité est un état biologique que l’on peut constater de visu alors que la paternité n’a bien longtemps été qu’un acte de foi. Je dis été, parce qu’aujourd’hui, l’ADN peut démontrer la paternité.

Le péché originel 

         Comment se fait-il que la femme ait été laissée de côté et le soit encore de nos jours, particulièrement en généalogie et en histoire ? Il faut dire que ce n’est pas d’hier que la femme est traitée comme une personne sans importance ou pire, comme une tentatrice ou un mal nécessaire. Cela remonte à loin dans notre histoire et celle du monde. Pensons à Ève qui aurait fait chuter Adam et à cause de qui nous naîtrions tous avec le… péché originel !Gertrude desmarais 1929

          Les évangélistes Luc et Mathieu ont voulu démontrer que Jésus a réalisé la promesse des écritures, faites jadis au roi David par l'intermédiaire du prophète Natan[1], qui disait que le roi sauveur attendu devait être un descendant de David. Ils font ainsi une généalogie de Jésus qui établit l'ascendance de Joseph, son père, jusqu'à Adam pour le premier, et à Abraham pour le second (Mathieu 1.1 à 1.17 et Luc 3.23 à 3.4). La première se décline comme suit : Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères, Juda engendra... Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie de laquelle est né Jésus.

          Je vous fais grâce de la seconde, car les deux généalogies ne coïncident pas. En effet, Mathieu prétend que le père de Joseph était Jacob alors que Luc dit qu'il s'appelait Héli. Notons que Luc est moins catégorique que Mathieu à l'égard de la paternité de Joseph. Il a écrit que Jésus : « ...était fils, croyait-on, de Joseph [...] »  Il omet cependant d’écrire que Jésus était le fils de Marie. Mais là où les deux généalogies sont rigoureusement exactes, c’est pour les mères : apparemment, les ancêtres de Jésus n’en avaient pas. Autre déclaration contradictoire : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint... Mais voilà, si Joseph est le géniteur de Jésus, le dogme de la virginité de Marie devient caduc, car on voit mal l'intérêt qui peut s'attacher au fait, très hypothétique, d'une appartenance de Joseph à la maison de David. Comment se fait-il que les évangélistes, pour démontrer leur point de vue, n'ont pas plutôt eu recours à la généalogie de Marie qui, elle aussi, était apparemment de la maison royale de David ?

          Après les personnages de l’Ancien Testament, pas tous recommandables, celui qui prend le plus de place dans la littérature féminine et l’histoire du monde chrétien est la Vierge Marie. Or, ce personnage irréel est un modèle inaccessible. À l’opposé du genre humain, elle est née sans la tache originelle, elle a conçu un enfant par l’entremise du Saint-Esprit, elle est restée vierge avant, et pendant la conception de son enfant et même après l’accouchement. Elle aussi est la mère d’un dieu. De fait, ses attributions la placent carrément au rang de déesse.

          Complètement obnubilée par le modèle de la mère de Jésus, l’Église catholique a emboîté le pas au judaïsme et a marginalisé la femme. Les juifs disaient : « Mieux vaut brûler la Torah que de la confier à une femme. » Ainsi, les recommandations de saint Paul (l’homme misogyne par excellence et néanmoins saint) ont déterminé la condition de la femme dans l'Église catholique et, par conséquent, dans la société civile. Dans une lettre aux Corinthiens, il écrit : « Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme. Toutefois, pour éviter tout dérèglement, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. » Paul estimait que le mariage était mieux que l'enfer, mais moins bien que la chasteté du célibat. Cette pensée devait en inspirer d'autres qui feront de la femme une personne de rang inférieur, et ce, pendant longtemps. Aux Éphésiens il déclare : « ...femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur. Car le mari est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l'Église... » L'apôtre condamnait la femme à obéir à l'homme, car à son avis elle était une dangereuse séductrice :

Pendant l'instruction la femme doit garder le silence, en toute soumission. Je ne permets pas à la femme d'enseigner ni de dominer l'homme. Qu'elle se tienne donc dans son silence. C'est Adam, en effet, qui fut formé le premier. Ève ensuite. Et ce n'est pas Adam qui fut séduit, mais c'est la femme qui, séduite, tomba dans la transgression. Cependant, elle sera sauvée par sa maternité...

          Voilà pourquoi la femme a si longtemps été représentée comme un obstacle au salut des hommes, comme une machine à faire des enfants, et que l'Église lui refuse, aujourd'hui encore, l'accession à la prêtrise.

À suivre...



    [1] Deuxième livre de Samuel, 2 S 7.12.