L'assassinat de D'Arcy McGee

Par Le 08/01/2015

Dans Histoire du Canada

            Ottawa, 7 avril 1868, 2 h 30. La nuit est claire. Une lune exceptionnellement brillante éclaire la capitale fédérale qui sommeille. Le député de Montréal-Ouest, Thomas D’Arcy McGee, quitte la Chambre des communes en compagnie du député de Perth, Robert MacFarlane, pour se rendre à sa maison de pension. McGee est satisfait de lui ; il vient de prononcer l’un des plus beaux discours de sa carrière de politicien, un discours qui a duré pas moins de 80 minutes. En dépit de l’heure tardive, près d’une quarantaine de personnes se trouvait dans les galeries réservées au public pour l’entendre.

  Mcgee          Thomas D’Arcy McGee est né en 1825 dans une Irlande pauvre et occupée depuis des siècles par les Anglais. Il émigre avec sa famille aux États-Unis en 1842. Très rapidement, il y prononce des discours hostiles aux autorités britanniques : « Les souffrances endurées par les gens de ce malheureux pays [l’Irlande], livré aux mains d’un gouvernement cruel, sectaire et despotique, sont connues de tous [...] Nés dans l’esclavage, et élevés dans l’esclavage depuis le berceau, les gens de ce pays ne savent pas ce qu’est la liberté. » Propriétaire de journaux, il exhorte ses concitoyens à soutenir la lutte nationaliste des Irlandais. McGee retourne plus tard en Irlande (1845-1848) où il contribue à élaborer des plans d’une révolution irlandaise. De retour aux États-Unis à la fin de 1848, il s’attaque au clergé catholique irlandais (cause de l’échec de la rébellion) provoquant ainsi la rupture avec les nationalistes. Notre homme s’établit alors à Montréal en 1857 où il vient défendre les intérêts des Irlandais. En décembre de la même année, il devient député de Montréal-Ouest et travaille à l’établissement de la fédération canadienne. Mais voilà, au cours d’une crise en Irlande, McGee s’oppose à l’émergence d’une république irlandaise et propose pour son pays d’origine le modèle canadien. De nombreux nationalistes irlandais ne lui pardonneront pas sa volte-face.

            À l'angle des rues Metcalfe et Sparks, McGee quitte son collègue MacFarlane pour s’engager dans la rue Sparks, direction ouest. Depuis un mois, il habite à la Toronto House, maison de pension et bar public, tenus par une certaine dame Trotter et situé au 71, Sparks.

            Arrivé à la porte de la Toronto House, McGee sort ses clefs et en insère une dans la serrure de la porte d’entrée. À l’intérieur de la maison, madame Trotter entend du bruit. Elle se lève et va ouvrir la porte. Au même moment, elle entend un coup de feu et en voit l’éclair. Devant elle, Thomas d’Arcy McGee s’effondre, mort, une balle dans la nuque.

Patrick James Whelan

            Les autorités gouvernementales se convainquent rapidement que les responsables de l’assassinat de McGee sont les féniens, association paramilitaire nord-américaine vouée à la lutte nationaliste irlandaise. Les rumeurs d’attentats terroristes se multiplient à ce point que le gouvernement prend peur et suspend la loi de l’habeas corpus, loi qui assure le respect des libertés individuelles. On arrête plusieurs personnes dont Patrick James Whelan, tailleur de 28 ans originaire d’Irlande, qui a sur lui un revolver de calibre .32 dans lequel une cartouche a été récemment remplacée. Il a aussi sur lui une boîte de cartouches. L’examen de l’arme à feu montre que celle-ci a déjà servi.

            Le procès de Patrick James Whelan commence le 7 septembre 1868, à 10 h 25, au palais de justice d’Ottawa ; il est présidé par le juge en chef de la cour du banc de la reine, William Buell Richards. À sa droite, un observateur : le juge Christopher Armstrong, de la cour du comté de Carleton. Le procureur de la couronne est l’Irlandais James O’Reilly qui a pour seul assistant l’avocat Robert Lees. Ces deux hommes affrontent une formidable défense composée de cinq avocats. Non seulement ce nombre de défenseurs surprend-il, mais leur apparition crée une véritable commotion parmi l’assistance, et pour cause. Le premier est l’un des meilleurs avocats au Canada : Hillyard Cameron. Or, cet homme de loi n’est rien de moins que le grand maître de l’ordre d’Orange de l’Amérique du Nord britannique, une organisation composée de fanatiques irlandais anti-catholiques. Dix ans plus tôt, Cameron a défendu avec succès un orangiste accusé de s’en être pris à McGee pendant une émeute à Toronto. Furieux, les orangistes accusent Cameron de défendre Whelan pour de l’argent dont ils estiment la somme à 10 000 dollars ! Le second est l’avocat unijambiste Matthew Crooks Cameron, secrétaire provincial de l’Ontario. Cinq mois plus tôt, Cameron avait signé une proclamation publique promettant une récompense de 3 500 dollars pour l’arrestation de l’assassin de McGee.

            Tout concourt à la culpabilité de Whelan. Fervent nationaliste irlandais et très critique envers McGee, il avait suivi le député de Montréal-Ouest James p whelanà Ottawa, laissant sa femme à Montréal, où il assistait régulièrement au débat de la Chambre des communes, plus particulièrement quand McGee parle. De plus, Whelan avait déjà rendu visite à McGee sous un faux nom pour soi-disant l’avertir d’un crime en préparation.

            N’avaient été témoins du crime que deux personnes : le tireur et un certain Jean-Baptiste Lacroix qui vit aux Chaudières (plaines Le Breton). Mais cet homme, qui affirme avoir assisté au meurtre et avoir vu le meurtrier, ne le reconnaîtra pas lorsqu’il sera mis, une première fois, en sa présence. Et de nombreux témoins n’hésitent pas dire qu’il est un menteur invétéré.

Coupable ou non coupable ?

            Les défenseurs de Whelan trouvent pourquoi une balle du revolver de l’accusé est différente des autres. Un jour de février, une jeune servante répondant aux doux noms d’Euphémie Lafrance, qui faisait le ménage de la chambre de Whelan, joue par curiosité avec l’arme à feu de Whelan et, par accident, l’arme se décharge et la blesse au bras.

            Mais il faut un coupable au meurtre. Vers la fin du procès, le premier ministre John A. Macdonald, accompagné de son épouse, se rend au tribunal et s’assoit au côté du juge. Nul doute que le jury est impressionné par la présence du premier d’entre les Canadiens. Évidemment, Whelan est jugé coupable. Deux fois Whelan ira en appel et deux fois, le juge qui a entendu le premier procès participera aux tribunaux d’appel. Whelan était-il coupable ? Peut-être. Mais chose certaine, on le voulait coupable et il a été pendu le 11 février 1869 à Ottawa.

            En 1972, on a retrouvé la boîte de balles que Whelan avait sur lui. Une étude scientifique a montré que la balle qui a tué McGee n’était pas de la même marque que celles que Whelan avait sur lui. Enfin, en octobre 1973, le revolver de Whelan est retrouvé après avoir été perdu pendant un siècle. Les analyses balistiques, conduites par des experts, n’ont pas été concluantes.

Sources :

Dictionnaire biographique du Canada, Les Presses de l’Université Laval, 2003.
Slattery, T.P., They got to find me guilty yet, Toronto, Doubleday Canada Ltd, 1972.