La Mission des crucifiés en Outaouais

ouimet-raymond Par Le 02/05/2023

Dans Histoire du Québec

Il est étonnant de constater la persistance de l’occultisme et des pseudosciences divinatoires dans notre monde moderne pourtant dominé par la science. L’être humain soumis à l’une des deux forces émotionnelles de l’espèce, la sexualité et la religion, est prêt à croire n’importe quoi et n’importe qui.

Dès que l’être humain s’est mis à penser, à essayer de comprendre son environnement, il a essayé de se concilier les forces qu’il estimait mystérieuses et à prévoir son avenir. Le premier grand auteur connu de l’occultisme est Bôlos de Mendès qui vivait en Égypte cent ans avant J.-C. Son livre principal s'appelle Questions naturelles et mystérieuses.

L’occultisme existait au Québec bien avant l’arrivée des populations européennes, car les Amérindiens pratiquaient eux aussi les arts divinatoires. Jongleurs et sorciers avaient mission de prévenir la maladie, de favoriser le triomphe des armes et d’assurer l’abondance de la chasse ; les incantations des sorciers servaient à éloigner les mauvais esprits.

En 1660, en Nouvelle-France, vivait à Beauport un meunier nommé Daniel Vuil. Amoureux de Barbe Hallay, celle-ci l’avait éconduit à cause de sa réputation de sorcier. Repoussé, l’amoureux n’a songé qu’à se venger, ce qu’il aurait fait en infestant la maison de la jeune femme de mille et un démons. On dit que dans la maison des pierres volaient de tous côtés jetées par des mains invisibles (sans blesser personne toutefois). La nuit, Vuil lui apparaissait avec deux autres sorciers. Mais seule Barbe voyait démons et sorciers. Exorcisée, enfermée chez les Hospitalières de Québec, elle finit par se débarrasser de ses démons et se marier avec Jean Carrier dont elle aura au moins cinq enfants.

Soupçonné de sorcellerie et de magie, Daniel Vuil a été condamné à mort comme hérétique, blasphémateur et profanateur des sacrements, puis arquebusé à Québec le 7 octobre 1661. Trente-deux ans plus tard, à Salem, en Nouvelle-Angleterre (États-Unis), les autorités exécuteront 21 « sorcières » pour avoir envoûté une quinzaine de leurs concitoyennes !

Les Crucifiés en Outaouais

Au cours de l’hiver 1931-1932, un comédien et hypnotiseur au chômage, Ovila Girard, s’improvisait gourou et fondait, à Montréal, la Mission des crucifiés. Girard entrait en transe au cours de chaque cérémonie qu’il célébrait dans un pauvre logement du Faubourg à m’lasse. Il prétendait incarner l’esprit du « docteur des Sauvages ». L’esprit de cet Amérindien qui s’appelait Baraboule avait été apparemment sauvé au Bic par la secte quand il avait été poursuivi par 200 Iroquois ! « Êtes-vous contents de me voir ce soir ? » questionnait le gourou enveloppé d’un nuage de fumée ?  L’assistance s’approchait de son chef spirituel et lui demandait de guérir leurs maux. Girard répondait parfois « May be » ou bien « You capish » !... L’emploi d’un anglais approximatif avait l’heur d’impressionner les esprits naïfs dont plusieurs prétendront avoir été guéris.Girard ovila et deux adeptes

Un jour que des membres de la Mission s’étaient rendus dans le Bas-du-fleuve pour y donner une représentation théâtrale, les fidèles de la secte s’étaient convaincus qu’une étoile d’une grosseur étrange les éclairait personnellement. Profitant de l’occasion, le gourou leur expliqua qu’il avait eu, pendant la nuit, une révélation : cette étoile était celle… des Rois mages et elle brillait pour la première fois depuis la naissance de Jésus-Christ !...

          En 1935, la secte des Crucifiés se transportait en Outaouais, plus précisément à Namur où elle disparaîtra à la suite d’un double meurtre commis par un de ses membres, Omer, frère du gourou. Accusé du meurtre prémédité de Léon Leclerc, 82 ans et d’Alfred Dudevoir, 65 ans, Girard sera pendu à Hull le 26 février 1937[1].

Une crédulité partagée

« Même les gens intelligents et cultivés croient en des choses bizarres », a écrit le professeur Michael Shermer, historien de la science, et rédacteur en chef du magazine Skeptic, dont le nom dit tout. Par exemple, dans les années 1990, l’Ordre du temple solaire réunissait des acteurs, des banquiers, des cadres d’Hydro Québec (une vingtaine), des hauts fonctionnaires, des ingénieurs, une journaliste du Journal de Québec, des médecins, des musiciens, des policiers, une psychologue, le maire de Richelieu, etc. Or, il s’y passait des choses difficiles à croire. Les membres de l’Ordre employaient comme engrais les « excréments du Christ », autrement dit ceux de la fille du gourou pour améliorer le rendement du potager biologique de la communauté, convaincus qu’ils avaient un pouvoir magique !

William Lyon Mackenzie King, premier ministre du Canada de 1921 à 1930 et de 1935 à 1948, pratiquait sérieusement le spiritisme et discutait, prétendait-il, avec l’esprit de Léonard de Vinci et celui de Louis Pasteur, rien de moins ! Dans son journal, à la date du 30 juin 1932, il a écrit : « Il ne fait aucun doute que les personnes auxquelles je me suis adressé étaient celles qui me sont chères et d'autres que j'ai connues et qui sont décédées. C'était l'esprit des défunts. »

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Ovila Girard (au centre) et deux membres de la Mission des curicifiés photographiés à Namur, en Petite-Nation. Collection Serge Girard.

SOURCES

GABOURY, Placide, L’envoûtement des croyances, Montréal, Les éditions Quebecor, 2000.
 LELEU, Christophe, La secte du temple solaire – explications autour d’un massacre, Claire Vigne Éditrice, 1995.
OUIMET, Raymond, L’Affaire des crucifiés, Québec, 2013.
SÉGUIN, Robert-Lionel, La sorcellerie au Québec du XVIIe au XIXe siècle, Montréal, 1978, éd. Leméac.


[1] Une troisième personne a été portée disparue, Annie Greenfield, conjointe d’Alfred Dudevoir.