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Le départ des filles du roy pour Québec

Par Le 16/02/2020

Dans Histoire du Québec

          On se plaît souvent à croire que toutes les Filles du roi sont venues au Canada volontairement pour y chercher mari. Mais est-ce si sûr ? Ce serait oublier qu’au XVIIe siècle, la France ne manquait pas d’hommes. Ainsi, on peut avancer que ce n’est sans doute pas de façon délibérée que certaines émigrantes ont quitté la France. Tel est le cas de Marie-Claude Chamois, cette jeune femme qui faisait partie du contingent des Filles du roi de 1670. Dix-huit ans après son arrivée en Nouvelle-France, elle a déclaré :

          [...] qu’au Commencement du mois de may 1670 ayant esté nommée avec plusieurs autres filles de l’hospital pour aller en Canada par ordre du Roy [...][1]

          C’est on ne peut plus clair : Marie-Claude Chamois avait dû se conformer à un ordre du roi ! Dans un document rédigé en 1686 par devant le notaire François Genaple, un témoin hautement crédible a laissé un témoignage important dont voici un extrait éloquent[2] :

          ...Elle certifie et ateste en son ame et conscience Il a environ les années gbjc soixante & unze soixante douze et soixante quatorze Elle a receu pendant chacune des années lettres de Paris a elle escrites et adressees par une personne nommée la veufve Chamois par lesquelles elle la prioit de s’informer de Marie Chamois sa fille venüe en ce pays quelques années auparavant et de vouloir employer son credit auprès des puissances de ce pays pour la faire repasser en France ; d’autant plus quelle n’avoit passé en ce pays que par les pratiques de son beaufrere et de sa sœur quy s’estoient efforcé de sen defaire par ce moyen...

          Qui était ce fameux témoin ? Anne Gasnier en personne, veuve Jean Bourdon et directrice des Filles du roi. Reprenons les dernières lignes du témoignage : quelle n’avoit passé en ce pays que par les pratiques de son beaufrere et de sa sœur quy s’estoient efforcé de sen defaire par ce moyen [...] Filles du royPas d’erreur possible : des membres de la famille de Marie Chamois, dont sa propre sœur, voulaient se débarrasser d’elle. Ils n’ont pas hésité à la chasser du cercle de ses proches et de son milieu ! Peut-on raisonnablement croire que cette Marie Chamois ait été la seule et unique fille du roi à subir ce traitement ? En tout cas, encadrée comme Marie et ses compagnes l’étaient, elles pouvaient difficilement se soustraire à la volonté du roi comme nous allons le voir ci-dessous.

Des filles étroitement encadrées

          Un document conservé au Musée de l’Assistance publique de Paris montre comment les filles à marier envoyées en Amérique étaient encadrées, pour ne pas dire étroitement surveillées. Voici la transcription de ce document inédit[3] :

26 avril 1670

          Messieurs de Pujol et Grenapin ont fait récit de ce qui s’est passé hier à la sortie des filles de l’hôpital que l’on envoie au Canada. Qu’à 2 h du matin celles de La Pitié entendirent la messe de monsieur le recteur et ensuite son exhortation. À 4 h elles partirent invitées par le sieur Champagne suivi d’une brigade d’archers et furent jusques au bord de la Seine au droit du pont de Bièvre, où elles trouvèrent celles de la Salpétrière qui venaient d’arriver. Toutes montèrent dans un grand bateau préparé en chantant Veni Creator dans ce bateau elles descendirent le long de la rivière jusques au droit du pont de Louvre ou était un grand foncet de Rouen, sur lequel se trouve monsieur Grenapin administrateur qui avait distribué tous les archers, tant ceux du grand prévost qui doivent escorter les filles jusques à Rouen que ceux de l’hôpital aux environs pour empeschement par l’intrusion et qu’aucun entrat dans le foncet Que les filles pour la commodité desquelles on avait mis 300 bottes de paille on l’avait couvert de toiles bien tendues et divisé en deux parties pour mettre dans l’une les filles de La Salpêtrière et dans l’autre celles de La Pitié et au milieu les hardes. Que mademoiselle de Mouchy après les avoir exhortées leur declara que l’intention du bureau était que celles de La Salpêtrière et de La Pitié fussent soumises à la conduite de le sieur Orienne et qu’à 10 h du matin elles partirent après avoir imploré la bénédiction du Ciel pour leur voyage par le chant de Veni Creator.

          Le document laisse entendre que c’est pour leur protection que les filles étaient encadrées par des archers – hommes d’armes chargés d’assurer l’ordre –, c’est-à-dire pour empêcher des personnes, autres que les Filles du roi et leurs accompagnateurs, de pénétrer dans le foncet[4]. Mais, nous venons de le voir, Marie Claude Chamois, qui faisait partie de ce contingent, a bel et bien déclaré être venue en Nouvelle-France par ordre du roi et non de son propre chef.

À SUIVRE...


[1] Archives nationale de France, section ancienne, Parlement de Paris, X3b 1662, cité par Yves Landry, dans Les Filles du roi au XVIIe siècle, Montréal, Leméac, 1992, p. 101, d’après un document trouvé par Mme Andrée-Hélène Bizier. Marie Chamois n’avait sans doute pas la mémoire des dates puisque c’est à la fin du mois d’avril que les Filles du roi ont quitté Paris et non au mois de mai. Elle s’est toutefois embarquée sur un transatlantique au mois de mai.

[2] Archives et Bibliothèque nationale du Québec, min. François Genaple, 5 novembre 1686. Sylvio Dumas a cité une partie de cet extrait dans Les filles du roi en Nouvelle-France, Cahiers d’Histoire, Société historique de Québec, Québec, 1972, page 140. Le témoignage en question est d’autant plus étonnant qu’au cours du procès qui s’est déroulé en 1693, la veuve Chamois a refusé de reconnaître sa fille.

[3] Archives de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, Extrait du Bureau de l’Hôpital général, 1656-1790, 45FossD/3 45 D1C, population. L’auteur remercie M. Jean-Claude Trottier qui l’a aidé à en faire la transcription.

[4] Le foncet était un bateau de transport fluvial lourd qui pouvait atteindre des tailles considérables et qui naviguait sur la Seine.