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Le départ des filles du roy pour Québec (suite)

Par Le 06/03/2020

          En 1680, l’intendant des Antilles françaises, Jean-Baptiste Patoulet, était un personnage bien connu en Nouvelle-France puisqu’il y a été le secrétaire des intendants Talon et Bouteroue. À cette époque, la Martinique manquait de filles à marier. Patoulet s’est-il souvenu que quelques années plus tôt il avait été témoin du même problème dans la colonie laurentienne ? Quoi qu’il en soit, en juin 1680, le roi demandait l’envoi de 150 filles aux « Isles ». Le 24 du même mois, Mademoiselle de Mouchy, alors supérieure de la Salpêtrière, était « ...priee d’examiner les filles de ceste maison depuis quinze ans jusques a 30 ans est dans la maison qui seront capables pour passer aux Isles et entrer dans le nombre de cent cinquante par demande du Roy pour le mois de septembre. »

          Le 22 juillet, le marquis de Seignelay, secrétaire d’État à la Marine, écrivait à Patoulet que le roi avait résolu de faire embarquer, sur le vaisseau Le Croissant, 150 filles tirées de l’hôpital. Et du même souffle il ordonnait à l’intendant de prendre soin des filles jusqu’à ce qu’elles soient mariées. Pour des raisons que nous ne connaissons pas, la tâche de trouver des filles aptes au voyage et à l’établissement dans la colonie n’a pas été facile. Quoi qu’il en soit, la supérieure a Navire du XVIIe sièclechoisi 128 filles. Elles ont quitté la Salpêtrière le 27 octobre et se sont embarqué au Havre le 30 octobre et 14 novembre suivant. Voilà comment un décret royal changeait le cours d’une vie[1] ! À la fin du mois de novembre 1680, M. Barbier a fait lecture au bureau de direction de l’hôpital d’une lettre de M. des Moulins qui a « esté chargé de la conduitte des filles envoyées à la Martinique. » Ce rapport est éloquent[2] :

Elles furent conduittes depuis la maison jsuqu’au batteau par Madelle de Mouchy la Supérieure accompagnée de Mr des Varennes [?] Commandant de la Compgnie des Archers des officiers et principales officieres de la maison.

Elles entrerent toutes a sept heurs du mattin dans un batteau couuert armest qui les conduisit jusqu’au Pont rouge[3] ou Melle de Mouchy les fut attendre en carrosse pr les voir embarquer dans le fond ou l on avait deja place cinquante ballots pour les filles plombés par les commis de la douane.

Par ordre du Bureau les sœurs Lechantre et de la Boissiere officieres de la maison choisies par Melle de Mouchy se chargerent charitablement de les conduire jusqu’à la Martinique et les directeurs avaient pourveu à leur sûreté pour l’allee et le retour par des lettres de M. le marquis de Seignelay qui suivant l’ordre du Roy manda au capitaine du vaisseau et a l’intendant d avoir soin de ces deux sœurs pour les defrayer a la table du capitaine pendant tout les voyages et de les renvoyer avec toute securité.

M. de Bellinzani, chargé de ces sortes d’embarquement, [...] sur le même sujet à M. l’Intendant des Isles.

Conclusion

          Les archives de l’Assistance publique de Paris sur le transport des contingents des Filles du roi de 1670 et de 1680, en Nouvelle-France et à la Martinique, analysés à l’aune de la déclaration de Marie Chamois et de celle de sa mère, Jacqueline Girard, permettent de croire que des filles du roi ne sont pas venues en Amérique de leur propre volonté, mais à la suite d’un ordre des autorités françaises qui voulaient assurer le peuplement des colonies d’Amérique.

 


[1] Notons que quelques mois auparavant, le roi avait envoyé des filles à Madagascar.

[2] Musée de l’assistance publique de Paris, Registre des Séances et délibérations de Messieurs les Commissaires Directeurs de cette Maison de Saint-Denis de l’Hospital général, ditte la Salpêtrière, commençant en 1677. Registre A.P. 574. Je remercie M. Jacques Lacoursière, éminent historien, qui m’a mis sur la piste des Archives de l’assistance publique de Paris. Je souligne toutefois que ce document a aussi été publié dans un article signé par Pierre Bardin, intitulé Convois des filles pour les îles dans la revue Généalogie et histoire de la Caraïbe, numéro 120, novembre 1999, et dans un article de Nicole Mauger et de Raymond Ouimet intitulé Catherine de Baillon : une exclue ? publié dans la revue L’Ancêtre, automne 2002.

[3] Le pont Rouge reliait l’île de la Cité à l’île Saint-Louis.