Créer un site internet

Carnage à l'île aux Allumettes

ouimet-raymond Par Le 15/04/2022

Dans Histoire locale

Située au bout de la route 148, à environ 140 kilomètres à l’ouest de Gatineau, dans le comté de Pontiac, l’île aux Allumettes apparaît pour la première fois dans l’histoire du Québec sous la plume de Samuel de Champlain qui l’a visitée en 1613. D’abord occupée par les Kichesipirini, Amérindiens algonquiens, elle est colonisée par la population blanche à partir de 1836 ou environ.

À l’île aux Allumettes se trouvent un village, Chapeau, et trois lieux-dits : Desjardinsville, Demers Centre et Saint-Joseph. La population comptait, en 1933, une population composée de 2/3 d'anglophones et de 1/3 de francophones.

Parmi les francophones de Demers Centre se trouvaient aussi quelques familles anglophones. Au nombre de ces derniers, il y avait la famille Bradley, c’est-à-dire Joseph et son épouse Margareth Berrigan. En 1929, celle-ci acheta une ferme de 53 hectares, dans le rang de la Ouabache, au lieu-dit Demers Centre, au prix de 8 000 dollars. L’un des fils Bradley, Michael, y investit alors tout son avoir : 1 000 dollars.

Les Bradley formaient une sorte de clan. Vivaient ensemble les parents, Joseph et Margareth, trois de leurs enfants, Thomas, Michael et Johanna, et le frère de Joseph, John.

Une famille dysfonctionnelle

       Joseph Bradley était un homme dur, violent, qui élevait ses enfants avec une effroyable sévérité. Michael était celui qui travaillait le plus fort à la ferme de son père. Bien qu’il fut quadragénaire, son père n’hésitait pas à le frapper quand il estimait – le plus souvent à tort – que celui-ci méritait une correction. Mais Michael continuait à respecter le paternel. Un jour que son père eut une rude altercation avec Thomas, l’aîné des fils qui était, a-t-on dit, à demi fou, Michael lui sauva la vie en s’interposant entre les deux adversaires au moment où Thomas s’apprêtait à frapper son père avec un piquet de clôture.

En dépit du bon travail de Michael et de sa santé plutôtBradley michael fragile, Joseph n’arrêtait pas de le traiter durement pour ensuite l'expulser de sa maison. Michael avait bien tenté d’obtenir sa part de la valeur de la ferme, soit environ 3 000 dollars, mais son père avait catégoriquement refusé. Michael lui demanda alors la permission de se payer à même le bois debout qu’il couperait lui-même, sans plus de succès.

       Michael réussit à s’installer sur une autre ferme, à moins de 2 kilomètres de celle de son père où il continua tout de même à travailler. Ses parents le traitaient toujours aussi mal. On refusait de l’accueillir dans la maison et il prenait ses repas dehors, sur le balcon ou encore dans l’écurie avec les chevaux. Un jour, Michael finit par en avoir assez ; il commença à parler de suicide.

       C'était le 21 juillet 1933 à six heures et demie. Narcisse Vaillancourt était en train de prendre son petit déjeuner quand il entendit un coup de feu, puis un deuxième. Pan ! Pan ! Il se leva et alla voir à la fenêtre de sa maison qui donnait sur la terre des Bradley. Il aperçut un homme qui poursuivait une femme et qui entra par derrière elle dans la maison. Puis, Narcisse entendit deux autres coups de feu rapprochés et, quelques minutes plus tard, une autre décharge.

       Puis il vit l’homme, la tête couverte d’un sac kaki, quitter la ferme des Bradley à travers champs. Moins d’une demi-heure plus tard, les habitants du rang se massaient autour de la maison des Bradley. On envoya quérir un prêtre du village, l'abbé Denis Harrington, qui arriva sur les lieux vers les 10 heures. Il pénétra dans la maison des Bradley avec deux concitoyens. Dans la cuisine, le groupe trouva étendue sur le plancher Johanna Bradley (37 ans). À ses côtés, assise et appuyée contre un mur, une brosse à dents dans une main, Mme Bradley (67 ans) baignait dans son sang. Le groupe de citoyens monta à l’étage et y trouva dans une chambre, Thomas Bradley (45 ans), mort lui aussi. Ensuite, le curé se rendit à la grange où on finit par y trouver deux cadavres : celui de Joseph Bradley (65 ans), le père, et de John Bradley (62 ans), son frère.

L'enquête

       Pendant ce temps-là, le p’tit Narcisse se rendit chez Michael Bradley pour l’informer du drame qui venait de se dérouler à la maison paternelle. Michael eut peu de réactions si ce n’est de dire que c’était probablement son frère ou son oncle qui aurait fait le coup. La femme de Michael dit à son mari, en aparté, que s’il y avait problème, il serait mieux d’aller voir l'abbé Harrington.

       Le docteur Jean Roussel, de l'Institut médico-légal de Montréal, pratiqua une autopsie sur les corps des victimes et il y trouva des balles de calibre 32. L’enquête criminelle fut alors confiée au sergent-détective Dalpé de la Sûreté provinciale qui, en quelques heures, se fit une bonne idée de l’identité du meurtrier. Il arpenta la terre des Bradley, trouva le sac kaki du meurtrier, puis décida d’interroger Michael Bradley.

       Toujours est-il, après quelques interrogatoires du suspect, le policier décida de faire une perquisition chez Michael Bradley, en compagnie de collègues. Dans les poches d’une salopette de Michael, les enquêteurs trouvèrent la douille vide d’une cartouche de calibre 32. Or, en fouillant l’étable, un homme remarqua qu’une pièce de bois du plancher bougeait anormalement. Un policier la souleva : il y trouva une carabine Winchester de calibre 32 et une boîte de cartouches partiellement vide. L’examen de l’arme démontra peu après qu’elle avait bel et bien servi au massacre des Bradley.

       Michael Bradley était démasqué : il avait assassiné cinq personnes. Grand, maigre, stature osseuse, figure ovale illuminée par deux petits yeux bleu clair, Michael assista aux funérailles des siens à partir du balcon d'un hôtel Gray au village de Chapeau.

       Le procès eut lieu à Campbell’s Bay en juillet 1934. Le procureur de la Couronne était le fameux François Caron de Hull, celui-là même qui présidera à l’enquête sur la corruption à Montréal plusieurs années plus tard. Le jury ne réussit pas à s’entendre : la majorité voulait rendre un verdict d’homicide involontaire en dépit des directives du juge. On dut donc reprendre le procès.

       Le second procès eut lieu à Hull en janvier 1935. Il y avait tellement de monde au palais de justice que l’on eut peur que le plancher de la salle d’audience fléchisse sous le poids des spectateurs. De fait, le plafond du dessous perdit plusieurs morceaux de plâtre. Après 45 minutes de délibération, le jury trouva Bradley coupable de meurtres prémédités. Quand il entendit le juge le condamner à mort, le prévenu s’évanouit. On ne lui reconnut aucune circonstance atténuante. Choqués par la condamnation, des Pontissois firent circuler une pétition pour empêcher l’exécution du condamné, ce à quoi les autorités fédérales se refusèrent. Ainsi, Bradley fut pendu à la prison de Campbell’s Bay le 5 avril 1935 à 6 heures en présence de l'abbé Harrington.

Sources :

BAC, RG 13, vol. 1595, dossier CC 429; 1933-1937.
BAnQ-CAO, TP9-S9, Archives judiciaires, divers, exécutions 1863-1937.

 
×