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CKCH, LA VOIX DE L’OUTAOUAIS 1933-1994

ouimet-raymond Par Le 11/11/2021

Dans Histoire locale

       La première transmission radio, c’est-à-dire sans fil, est l’œuvre de l’Italien Guglielmo Marconi en 1895. Mais la première émission radio destinée au public a été diffusée le 15 juin 1920 à Chemlsford en Angleterre, suivie le 2 novembre de la même année à partir d’une station de Pittsburgh, aux États-Unis, puis le 24 décembre 1921 à Paris, France. Vingt ans plus tard, le 1er janvier 1943, les statistiques dénombrent plus de 3 110 émetteurs de par le monde, dont les programmes sont suivis par plus de 425 millions d'auditeurs, possesseurs de 130 millions de récepteurs. Évidemment, ces chiffres sont maintenant dépassés, et de loin. Le 4 mai 1922, CKAC, propriété du journal La Presse, est devenue la première station de radio francophone de l’Amérique.

       En 1932, la région d’Ottawa compte deux stations de radio : CKCO et CNRO. Bien que la seconde diffuse quelques émissions en langue française, la population francophone est privée d’une station de langue française. En 1932, le pianiste Aurèle Groulx (originaire d’Ottawa), de retour de Détroit où il s’était produit trois fois par semaine dans une station de radio locale, décide de fonder une station de radio française en Outaouais. Ce passionné de musique et de radio, qui unit ses forces à Gaston Brodeur, met sur pied une équipe et demande une licence de radio. Imaginez la situation : la demande de licence de station radiophonique de Groulx est étudiée en 1933 par la Commission canadienne de la radiodiffusion., c’est-à-dire au pire de la crise économique commencée en 1929. Il fallait être drôlement convaincu, pour ne pas dire passionné pour se lancer dans une telle entreprise à un tel moment. Quoi qu’il en soit, la station CKCH ouvre officiellement le 30 juin 1933. Son modeste studio est situé au 63, rue Hôtel-de-Ville à Hull (aujourd'hui Gatineau), résidence de l’architecte Charles Brodeur, dont la maison a échappé, jusqu'à ce jour, aux démolisseurs. Mais à l'occasion de l'ouverture, CKCH a diffusé son émission à partir du Café Laurier situé au 178, rue du Pont (Eddy).

Une radio dynamique

       Les premières années de CKCH sont des années difficiles. Il y a la crise économique, mais aussi la faible puissance de l’émetteur, 100 watts CKCHsur la bande MA. L’entreprise a de lourdes dettes envers la Compagnie Marconi du Canada (fournisseur des équipements) qui, au printemps 1934, menace CKCH de saisie. C’est apparemment à cette époque que le commerçant Josaphat Pharand, propriétaire d’un gros magasin à rayons, rue Champlain, se porte acquéreur majoritaire de CKCH. En septembre précédent, la station avait déménagé son studio à l'hôtel Standish Hall, angle Principale (Promenade du Portage) et Montcalm, hôtel qui a depuis été démoli. En octobre, CKCH déménage pour la troisième fois, cette fois dans des locaux plus vastes situés au-dessus du magasin de Pharand. En 1937, CKCH reçoit la permission d’augmenter sa puissance de diffusion à 500 watts, ce qui n’est pas très puissant.

       La station prépare son âge d’or tôt quand, en 1934, elle s’affilie au réseau d’État, ce qui lui permet d’élargir sa plage horaire. CKCH devient alors La voix française de la vallée de l’Outaouais. À la fin des années 1930, la station atteint sa vitesse de croisière. En 1940, Pharand vend CKCH et pas à n’importe qui, mais aux Oblats de Marie-Immaculée, déjà propriétaires du journal Le Droit et de l’Université d’Ottawa, au prix de 35 000 $. C’est ainsi que CKCH devient un outil de promotion de la religion catholique et de la nation canadienne-française, mais aussi un outil d’éducation.

       En 1947, les Oblats déménagent les pénates de CKCH dans le Centre Notre-Dame, située dans l'actuelle rue Notre-Dame-de-l’Île (Gatineau), et ce, dans un immeuble rénové et dans des studios modernes aujourd'hui disparus. L’année suivante, la puissance de l’émetteur de CKCH passe à 1 000 watts, puis à 5 000 watts en 1954. En mai 1960, la station déménage dans de vastes locaux modernes au 72, rue Laval, locaux aussi disparus.

       CKCH est, au cours des années 1940 et 1950, une station de radio très dynamique qui présente non seulement des radio-romans, mais aussi de la musique francophone, des conférences, des débats, des concours, etc. Une de ses forces est alors l’information. CKCH informe la population outaouaise des événements qui se passent en Outaouais. C’est une radio locale qui répond à des besoins locaux. C’est une pépinière de journalistes, de réalisateurs, de comédiens.

Les animateurs de CKCH

       Si le grand Henri Bergeron a fait ses premières armes à CKSB à Saint-Boniface, au Manitoba, il deviendra directeur des émissions à CKCH ; le comédien Yvon Dufour y a été annonceur à Hull avant de devenir comédien. D'autres animateurs s'y sont fait une renommée canadienne et québécoise dont Colette Devlin, Lisette Gervais, Laurette Larocque dite Jean Despréz, Denis Binet, Gilbert Chénier et Rhéal Guévremont (Chez Bébert), Olivier Caron, Pierre Dufault, Lionel Duval, Guy Provost, etc.

 CKCH Bébert      Nous mourrons tous, les entreprises comme les êtres humains. En 1964, Radio-Canada ouvre une antenne à Ottawa, CBOF, qui vient chercher une partie de l’auditoire de CKCH, jusque-là captif. La station hulloise perd alors son affiliation à Radio-Canada. Pour la première fois de son histoire, la radio outaouaise se voit confronter à la concurrence. En 1968, une autre radio francophone s’installe à Ottawa, puis à Gatineau : CJRC. Incapables de s’adapter, les Oblats vendent en 1968 la station, devenue déficitaire, au réseau Télémédia qui se fera concurrence en inaugurant, en 1970, la station CKCH-FM. La fusion Radiomutuel-Télémédia, dans les années 1990, lui porte le coup de grâce. CKCH cesse de diffuser 30 septembre 1994 à 11 heures.

       De l'histoire de la station radiophonique CKCH il nous reste quelques pièces d'archives ainsi que la maison du 63, rue Hôtel-de-Ville. La Ville de Gatineau est-elle prête à la conserver ?

Sources :

BAnQ-Outaouais.
Communication de Jean Joly à l'auteur sur Henri Bergeron le 11 novembre 2021.
CRAO, fonds Rhéal Guévremont.
FILION, Michel, CKCH la voix de l’Outaouais, éd. Vents d'Ouest, Hull, 2008.