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Des enfants exilés en Outaouais

ouimet-raymond Par Le 04/04/2022

Dans Histoire locale

À la fin du XIXe siècle, la Grande-Bretagne dirigeait l’empire le plus grand et le plus riche du monde. Cela était dû au fait qu’en 1700, les élites dirigeantes de la Grande-Bretagne avaient décidé de dominer l’économie mondiale au moyen d’une flotte de navires commerciaux et militaires sans précédent. Ainsi, Londres est devenue la plus grande cité commerçante du monde et « ses richesses les plus importantes de tout l’univers. » Paradoxalement, la capitale britannique aura aussi été une ville où vivait une des plus grandes concentrations de nécessiteux de la planète. Au moindre écart, les démunis et les opprimés étaient sanctionnés. Par exemple, un homme y a été pendu à l’âge de 22 ans pour avoir volé un jambon en 1734.

Entre 1770 et 1830, 35 000 condamnations à mort ont été prononcées en Angleterre et au pays de Galles[1] ! En 1798, à la suite d’un soulèvement en Irlande, 30 000 paysans ont été massacrés dans le cadre de pendaisons officielles et de massacres improvisés. Non, il ne faisait pas bon pour un pauvre de vivre au Royaume-Uni.

Un poids social

          Dans les années 1850, on fonde en Grande-Bretagne des maisons de correction et des écoles industrielles pour les enfants des familles pauvres. En 1882, 17 000 enfants nécessiteux fréquentaient ces écoles devenues ingérables. Pour se débarrasser de ce poids social, les autorités ont alors décidé de mettre en œuvre un système d’immigration juvénile dans le but de « sauver les enfants de mauvaises influences » en les expédiant outre-mer dans un milieu rural loin des tentations urbaines et de ses misères ! À cette époque, la pauvreté était vue comme une maladie infectieuse. Ainsi, de 1869 à 1930, les autorités britanniques enverront au Canada entre 80 000 et 100 000 enfants orphelins, abandonnés ou touchés par la pauvreté, dont 70 000 en Ontario et 8 000 au Québec. Cette immigration était définie par Londres et imposée au Canada.

          Des enfants semblent avoir été Taudis londresrecrutés ou séduits par des circulaires aux promesses alléchantes, mais plusieurs ont simplement été déportés sans le consentement de leur famille alors que d’autres ont été envoyés au Canada par leurs parents qui espéraient que leur progéniture serait plus heureuse dans ce vaste pays. Le plus souvent, l’enfant ignorait où il allait et où il habiterait si ce n’est sur une ferme ; il ne savait même pas qu’il quittait sa famille à jamais, quand il en avait une. Or, la plupart ne savaient pas ce qu’était de travailler sur une ferme et ne connaissait pas la rigueur du climat canadien. Pire, frères et sœurs étaient souvent séparés.

          Au Canada, les enfants ont été accueillis dans des orphelinats ou des Home. Ils étaient souvent dans le désarroi le plus total. Le jour précédent leur arrivée, on informait la population que les enfants attendraient d’êtres accueillis ou même adoptés. Au Québec, les enfants ont été placés au nombre de quatre à douze par paroisse.

Si des enfants ont été accueillis comme des garçons ou des filles de la maison, de nombreux autres ont été reçus comme de la main-d’œuvre bon marché. Certains ont même été abandonnés quand leur tuteur jugeait qu’ils ne faisaient pas l’affaire ou qu’ils étaient malades, alors que d’autres ont été battus. Des enfants ont été logés dans des granges alors que des filles ont parfois été violées. Et nombreux ont été ceux qui ont subi plusieurs placements dans diverses familles d’accueil à cause de l’insatisfaction, le décès ou le déménagement du tuteur et à la suite d’une plainte de l’enfant pour mauvais traitements.

Les enfants ont généralement été bien accueillis au Québec. En 1902, un rapport de Bans & Chilton a souligné : « Il est clair dans la majorité des cas que l’enfant reçoit un meilleur traitement avec le Français [francophone] qu’avec l’Anglais. » Mais placer l’enfant dans un milieu francophone accentuait sa solitude à cause de la barrière de la langue et des mœurs différentes.

En Outaouais

Environ 3 000 enfants britanniques ont été placés en Outaouais dont 515 ont été identifiés par Mme Reine G. Morin-Lavoie. La vie de ces enfants n’a pas été différente en Outaouais qu’ailleurs au pays. Ainsi, celle du jeune Arnold Welsh, né en 1891 à Sheffield en Angleterre. Sa mère morte en 1901, son père s'est remarié, mais a confié son fils au Nugent Home. Arnold est arrivé au Québec en 1905, puis il a été placé à Masson chez un agriculteur prospère, James Kelly. Forcé à dormir dans la grange avec le bétail, l’adolescent mourra à la suite d’importants sévices moins de 7 mois après son arrivée au pays. Kelly sera condamné à 7 ans de prison.

          D’autres ont été plus chanceux que le jeune Welsh. Par exemple, Violet Low, née en Écosse en 1897, est arrivée au Canada en 1910. En 1911, elle vivait à Ironside (Hull Ouest) où elle travaillait chez William Olmsted qui a fini par l’adopter. En 1916, elle a épousé un jeune d’origine allemande qui lui fera trois enfants. Violet est décédée en 1972 à Ottawa.

          Comme l’a écrit Reine G. Morin-Lavoie : « [C’est-là] une page de notre histoire peu glorieuse qui mériterait d’être rappelée à ceux qui, trop souvent, utilisent les plus vulnérables pour forger leur profil philanthropique. »

Sources :

La Presse (Montréal), 1er mars 2017.

LINEBAUGH, Peter, Les pendus de Londres, crime et société civile au XVIIIe siècle, Montréal, éd. Lux, 2018.

MORIN-LAVOIE, Reine G., Enfants immigrants dans l’Outaouais québécois 1870-1930 – Portraits et destins, s.l., 2020.

 

[1] Ils ont été 7 000 à être exécutés.