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Il était une fois l'industrie forestière outaouaise

Par Le 29/05/2017

Dans Histoire locale

          Pendant une centaine d'années, la population outaouaise a principalement vécu de l'exploitation de la forêt de la Gatineau, de la Petite Nation et du Pontiac. En effet, la forêt outaouaise a consisté en majeure partie de grands pins blancs et de chênes qui, une fois équarris, étaient exportés en Europe où ils ont été employés, de 1806 à 1840, à maintenir l'hégémonie des flottes commerciales et militaires de l'Empire britannique. Puis, ces arbres, de même que d'autres essences, ont été découpés en planches et exportés principalement vers les États-Unis. C'est cette industrie qui a véritablement donné naissance à nombre de municipalités outaouaises dont Gatineau, l'ancienne ville de Hull et Maniwaki.

 Cages de bois       C'est Philemon Wright qui, le premier, expédie à Québec, par la rivière des Outaouais depuis l'embouchure de la rivière Gatineau, le premier train de bois équarri le 11 juin 1806 ; il le nomme Columbo. Il est composé de 50 cages qui forment un train ; les gens qui pilotent ces trains sont alors désignés sous le nom de raftsmen, c'est-à-dire cageux. Une chanson, la préférée de mon grand-père maternel, a immortalisé ces hommes intrépides :

               Là ousqu'y sont, tous les raftsmen ?
               Là ousqu'y sont, tous les raftsmen ?
               Dans les chanquiers y sont montés.

               Bing sur la ring ! Bang sur la rang !
               Laissez passer les raftsmen
               Bing sur la ring ! Bing, bang !

               Et par Bytown y sont passés
               Et par Bytown y sont passés
               Avec leurs provisions achetées [...]

        Les trains de bois vogueront sur l'Outaouais jusqu'en 1908. Toutefois, la J.R. Booth les ressuscitera provisoirement en 1925 et 1930 pour expédier en Grande-Bretagne le bois nécessaire à la construction des ponts des navires de guerre britannique.

Les Chaudières

        Dès les années 1850, le site des chutes des Chaudières, à cheval sur la frontière Québec-Ontario, se voient occupés par plusieurs scieries – il y en aura jusqu'à 7 à la fois – qui comptent, en 1871, 1 200 scies activées par la seule force hydraulique. À l'usine d'allumettes de la E.B. Eddy, on fabriquait plus de 3 700 allumettes à la minute en 1869. Onze années plus tard, les scieries des Chaudières emploient environ 5 000 travailleurs et un millier de plus en 1888. On y scie alors pas moins 90 millions de mètres linéaires de planches et fabrique aussi des allumettes, des douves, des planches à laver, des portes, des sceaux, etc. Les Chaudières sont alors le complexe industriel le plus important au Canada. En 1901, l'Outaouais façonne aussi d'autres produits dérivés du bois dont 414 877 traverses de chemin de fer, 296 444 cordes de bois et 125 922 poteaux.

        Pour fournir cette industrie en bois, plus de 8 000 personnes travaillaient dans les chantiers forestiers de l'Outaouais l'hiver et, au printemps, 3 500 draveurs assuraient le flottage et le transport des billes de bois sur les rivières (le flottage du bois disparaît en 1992-1993). Métier dangereux que celui de ces hommes : en 1845, la drave a entraîné la mort de plus de 80 draveurs, et en 1846 celle d'une cinquantaine d'entre eux soit par écrasement, noyade où à la suite d'une explosion. En effet, la plupart des draveurs ne savent pas nager et, pour défaire les plus gros embâcles de billes, il leur faut employer des explosifs dont les effets ne sont pas toujours prévisibles. Ces embâcles pouvaient être impressionnants. Par exemple, au printemps 1900, sur la rivière Gatineau, à la hauteur de Cascades, un embâcle de 500 000 billes s'était formé sur une distance d'environ 800 mètres et avait atteint, par endroit, près de 10 mètres de hauteur !

Des employés et des forêts surexploités

        La vie dans les grandes scieries n'était pas des plus faciles et les employeurs ne respectaient guère leurs employés. À la seule E.B. Eddy, il y a eu pas moins de 562 accidents mortels de 1858 à 1888 dont certains concernent des enfants de moins de 14 ans ! Et que dire des allumettières et de leurs collègues masculins qui se voyaient aux prises avec la nécrose maxillaire (genre de mangeuse de chair) causée par le phosphore blanc qui ne sera interdit qu'en 1913 ?

        Non seulement les employés – ils travaillent de 12 à 15 heures par jour pour unDraveurs maigre salaire – étaient exploités par les industriels, mais ces derniers volaient aussi le gouvernement québécois, c'est-à-dire le contribuable. Par exemple, en 1888, un inspecteur s'était rendu compte qu'aux scieries Eddy on coupait plus de bois que l'industriel déclarait en avoir récolté sur les terres publiques, fraudant ainsi la province de milliers de dollars. Ruggles Wright, pourtant juge de paix, faisait la même chose dans les années 1840.

        La forêt outaouaise a été surexploitée et, dès le début du XXe siècle, la production de planches s'est mise à rapidement baisser parce que les réserves de bois de bonne qualité étaient pratiquement épuisées. Ezra Butler Eddy avait prévu le coup, car des 1889, il a commencé à transformer ses scieries pour produire du papier.

        Aujourd'hui, il ne reste plus de scierie à Gatineau et seulement quelques unes dans le reste de l'Outaouais. Mais il y a toujours deux papetières à Gatineau qui emploient moins de 500 personnes. Des grands barons du bois des Chaudières, qui faisaient la pluie et le beau temps en Outaouais, il n y a que leur nom qui, à Gatineau, identifie des rues : Booth, Eddy, Leamy, McLaren...

Sources

Histoire forestière de l'Outaouais,  site Internet http://www.histoireforestiereoutaouais.ca/d3/ consulté le 29 mai 2017.
LAPOINTE, Pierre-Louis, L'homme et la forêt, Québec, Les éditions Gid, 2015.
LEE, David, Lumber Kings & Shantymen, Toronto, James Lorimer and Company Ltd., Publishers, 2006.