L'incorrigible séducteur Louis Giroux

ouimet-raymond Par Le 02/08/2022

Dans Histoire locale

          Il était une fois un beau grand garçon brun à moustache noire, Louis Giroux, aventurier qui pratiquait l'art de la persuasion avec une surprenante habileté pour subvenir à ses besoins. Il avait l'incurable manie des grandeurs qui l'a fait vivre pendant une trentaine d'années aux crochets de gens trop crédules. Originaire de Montebello, Giroux avait épousé Scholastique Cayer à l'Orignal le 30 juin 1872, à son retour des États-Unis où il avait participé, comme soldat, à la guerre de Sécession (1861-1865). Intelligent comme un singe et roublard comme un diplomate, Giroux était aussi beau parleur et petit faiseur. Doué d'un sens de la réplique hors du commun, il n'était jamais à court d'arguments : un véritable orfèvre du mensonge quoi !

          À cette époque, Louis Giroux se faisait appeler Antoine Cyr, et il demeurait chez un certain Legault, à Clapham dans le comté de Pontiac. Il n'avait encore jamais payé sa pension et devait à son logeur la somme de 49 dollars. Or, un certain dimanche, il a voulu fuir sans payer son dû, mais Legault a eu le temps de lui réclamer le paiement de la pension. Indigné, Giroux a répliqué :

Comment, vous osez me demander de l'argent le dimanche ! Me prenez-vous pour un fou ? Je vous connais vous monsieur. Vous voudriez bien vous faire payer aujourd'hui sous prétexte que les affaires conclues le dimanche ne valent rien.

          Et avec un air de mépris, Louis a tourné le dos à son interlocuteur médusé et s'en est allé. Bien entendu, jamais Legault n’a revu la binette de son chambreur.

Un survenant

          Grand voyageur, Giroux connaissait les petites histoires de beaucoup de monde tant en Outaouais que dans l'Est ontarien. Aussi, il avait appris un jour qu'un nommé Lacouture, de Plantagenet, avait quitté sa femme dix-huit ans auparavant pour ne plus revenir. Où était-il passé? Nul ne le savait. Mais Louis Giroux a vu là une occasion en or de remplir sa bourse, mal en point, auprès d'une femme esseulée qui avait réussi, malgré tout, à épargner la rondelette somme de 500 dollars depuis le départ de son mari. Giroux a alors emprunté le patronyme de Lacouture pour ensuite se présenter chez l'épouse esseulée en se jetant dans ses bras et en lui demandant pardon pour tout le mal qui lui avait fait en l'abandonnant. Évidemment, Virginie avait trouvé son mari bien changé en dix-huit ans et elle aurait eu, du moins au premier abord, comme un léger doute sur l'identité du survenant. Mais pour lui prouver qu'il était vraiment son mari, Louis, qui savait que Virginie avait déploré la mort de son petit garçon longtemps auparavant, est allé jusqu'à simuler son regret en se rendant tous les jours pleurer sur la tombe de son prétendu fils. Convaincue – ne demandait-elle d'ailleurs pas mieux ? – par la magistrale performance de Giroux en père repenti et surtout heureuse du retour du mari infidèle, Virginie s'est finalement offerte avec un pudique abandon à l'imposteur.

          Au bout de quelques mois de bonheur parfait dont Giroux gardera un souvenir impérissable, Virginie s'est retrouvée seule à nouveau ; Giroux avait déserté son lit en emportant toutes ses épargnes. L'imposteur n'a cependant pas réussi à se sauver bien loin et la Justice, qui a parfois le bras long, est arrivée à lui mettre la main au collet, même si l'affabulateur de Montebello avait à nouveau changé son nom, cette fois pour celui Joseph Prévost. Enfin, au mois de mai 1894, les autorités le confinaient dans une cellule du pénitencier de Kingston.

Une bonne râclée

          Le séducteur de ces dames n'est pas resté longtemps en prison puisqu’en 1896, il prenait le nom de Jos. Latreille pour sévir à Ottawa, dans le quartier Mechanicsville, chez l'épicier Hyacinthe Latreille, et ce, pour lui annoncer qu'il venait le rencontrerH005 01 0084 xix au nom de plusieurs membres de la famille. Il avait à régler, lui aurait-il dit, la succession du grand-père Latreille, soldat de la guerre de 1812, à qui le gouvernement avait concédé plusieurs terres. Giroux a bien sûr été accueilli à bras ouverts par l'épicier chez qui, pendant une semaine, il a été traité comme un enfant de la maison.

          Hyacinthe Latreille avait plusieurs filles dont l'une, Flavie, était veuve depuis peu. Giroux s'en était amouraché et il avait fini par lui promettre le mariage. Après lui avoir acheté un jonc et lui avoir fait visiter plusieurs maisons de briques à Ottawa, il avait rencontré la parenté ottavienne en sa compagnie. Mais un jour, il a aperçu la jeune veuve, chez elle, en compagnie d'un jeune homme. Fâché, il a élevé la voix pour interdire au jeune homme de parler à Flavie qui devait, du moins dans son esprit, devenir la sienne. Le frère de Flavie, Mérile Latreille, qui avait assisté à la scène de jalousie, a estimé que le cousin était allé trop loin. Armé d'un beau gros morceau de bois franc, il a servi une véritable raclée à Louis Giroux alias Jos. Latreille qui a alors quitté Ottawa sans demander son reste

          En dépit de ses échecs, Louis Giroux a conservé une assurance hors du commun et pendant six autres années, il a accompli des dizaines d'entourloupettes, tant dans la Petite-Nation, à Hull que dans la Haute-Gatineau. Mais en novembre 1902, à Perkins' Mills, il a été mis en état d'arrestation à la suite d'une accusation pour vol portée par le notaire Labelle de Hull. Incarcéré dans la prison de Hull sous le nom de Joseph Prévost, il a fallu prouver l'identité du voleur qui avait nié s'appeler Giroux. Et chaque fois qu'on lui emmenait une personne qui prétendait l'avoir connu, il restait de marbre. On a même fait venir Mélina Latreille, sœur de la jeune veuve que Giroux avait fréquentée, qui l'a reconnu comme étant Jos. Latreille grâce à la cicatrice qui lui était restée à la joue par suite de la raclée que son frère lui avait infligée autrefois. Mais peine perdue, Giroux est resté coi. Enfin, on a fait venir un certain David Ranger qui l'avait bien connu au temps de sa jeunesse. Il a reconnu sans la moindre hésitation Louis Giroux et lui a parlé comme à une ancienne connaissance des souvenirs de chantier en l'appelant par son surnom : Ti-Noir. Mais l'escroc est resté imperturbable. Il lui alors a rappelé des souvenirs de jeunesse. Rien. Silence total. Mais quand Ranger a prononcé les noms de Virginie Lacouture, alors là Giroux a porté son mouchoir à la bouche pour cacher ce sourire qu’il a esquissé comme celui d'un joueur de tours qui se souvient d'une bonne blague.

          Le 17 novembre 1902, Louis Giroux alias Antoine Cyr alias Jos. Latreille alias Joseph Prévost était condamné par le juge Talbot à deux ans de prison à passer au pénitencier Saint-Vincent-de-Paul pour crime de vol. Il est ensuite passé à la trappe de l'histoire.

Sources :

OUIMET, Raymond, Histoires de cœur insolites, Hull, éd. Vents d’Ouest, 1994.

Le Temps, Ottawa, du 3, 4, 5, 6, 8 et 17 novembre 1902.

Photographie des Archives de la Ville de Gatineau, H005--01-0084.