Une affaire de bigamie

ouimet-raymond Par Le 09/03/2022

Dans Histoire locale

       Hull, Québec, printemps 1871. Olivine Bleau est une femme heureuse. Âgée de vingt et un ans, elle a trouvé un mari à la fin de l’été précédent[1]. L’énergique père Louis-Étienne Delisle Reboul a consenti à bénir son mariage, lequel a été célébré à Hull en septembre 1870 dans l’église Notre-Dame en construction.

Olivine a vu le jour le 3 juillet 1849, à la Pointe-Claire, du mariage d’Édouard Bleau, forgeron, et de Louise Rableau. Mais que sait-elle de son mari, Onésime Lesage ? À part son âge – environ 37 ans – , elle le connaît que bien peu sinon pas du tout. Mais à son bras, un brin d’orgueil bien légitime rougit ses joues de contentement. Il est vrai que l’allure herculéenne du bel Onésime lui donne un air de Jos-Montferrand et que les amoureux ont des prénoms dont la rime semble être un présage de bonheur. Mais le bonheur est parfois éphémère.

Une femme en colère

       Olivine n’avait pas vu qu’Onésime avait la mine Reboul 1d’un renard maraudant près d’un poulailler. Alors que son mari bosse dans les chantiers de l’Outaouais, elle reçoit une lettre qui lui apprend qu’elle n’est pas le seul amour du bel hercule. En effet, Onésime a déjà convolé auparavant et on dit que sa première épouse a toujours bon pied bon œil. Pire encore, Onésime aurait aussi des enfants ! En colère, Olivine porte plainte auprès des autorités qui mettent en état d’arrestation Onésime le soir du 15 juillet 1871 alors qu’il fait une halte à Hull : il travaille comme cageux pour un certain Aenan.

       Onésime, fils de François Lesage et de Marie-Anne Arseneau, prétend que sa première épouse est décédée ; il avait épousé Sophie Roy le 23 septembre 1862 à Sainte-Ursule. De ce mariage sont nés quatre enfants : Délia, Hedwige, Hormisdas et Louis-Adélard[2]. Le 27 juillet 1871, Hilaire Roy, le frère de la prétendue morte, vient témoigner. Il dit que sa sœur, Sophie, a quitté Lesage quatre ans après leur mariage et qu’elle est ensuite partie pour les États-Unis. Il ne sait toutefois pas où elle habite – dans l’état de New York peut-être – et si elle vit encore. Mais on lui aurait affirmé qu’elle habitait dans la région de Moortown.

L’affaire n’est pas claire et le juge libère Lesage contre une caution et reporte la cause à plus tard en souhaitant qu’Hilaire Roy puisse vérifier ses renseignements. Le 31 juillet, la cause est entendue une nouvelle fois. Hilaire Roy déclare qu’il s’est rendu à Moore’s Junction où on aurait signalé la présence de sa sœur avec un homme, mais il ne l’a pas trouvée.

Un faux témoignage

Le père Reboul – un oblat de Marie Immaculée – identifie Onésime Lesage et Olivine Bleau puis assure la Cour qu’il les a bel et bien mariés en 1870. Olivine Bleau témoigne en après-midi. L’amour lui a donné une audace qui a plus à faire avec l’effronterie que le courage  : elle nie avoir épousé Lesage ! On se demande bien alors de quoi la jeune femme a à se plaindre. Quoi qu’il en soit, le juge reporte la cause une nouvelle fois. Et comme Lesage n’a pas payé la caution imposée, il est arrêté et emprisonné.

Eglise ndg 002Le 12 août, l’avocat de la Couronne Lees réclame l’ajournement de la cause pour lui permettre de prouver l’existence de la première épouse. Le défenseur de Lesage, un certain Mosgrove, s’oppose à l’ajournement et estime que la cause est sans objet. Et comme la Couronne n’a toujours pas de preuves à présenter, Lesage est enfin relaxé.

       Onésime Lesage était-il bigame comme on l’a prétendu dans une lettre ? Peut-être bien, car la mort de Sophie Roy n’a jamais été démontrée, pas plus que son existence. Quoi qu’il en soit, le couple Lesage-Bleau n’a pas moisi dans la région puisqu’il n’apparaît pas au recensement de 1881.

Sources :

BMS de la paroisse Saint-Joachim de la Pointe-Claire, 1849.

BMS de la paroisse Sainte-Ursule, 1862 à 1866.

The Ottawa Times (Ottawa) 17 juillet au 18 août 1871.

 


[1] Cette recherche a été faite avec l'aide de Jean-Guy Ouimet.

[2] Le premier enfant n’a vécu que quatre ans et le deuxième quatre semaines.