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Louis Riel et ses complicités outaouaises

Par Le 20/11/2014

         Mars 1874. Les membres de la Chambre des communes, à Ottawa, sont sur le qui-vive : des rumeurs font état de la présence du chef métis Louis Riel, fondateur du Manitoba, à Hull et à la Pointe-Gatineau. Or, celui-ci est activement recherché par la police de l’Ontario pour l’exécution, en 1870, de Thomas Scott, un rebelle orangiste qui avait tenté de renverser, par la force, le gouvernement provisoire du Manitoba dirigé par Riel.

        La population métisse a confiance en Louis Riel et n’hésite pas à en faire son représentant au gouvernement fédéral. En février 1874, Riel est élu une seconde fois député de Provencher. Peu après, le chef métis se rend à Ottawa où il est accueilli à la gare de chemin de fer par un ancien confrère du petit séminaire de Montréal, le docteur Joseph Beaudin, qui le cache chez lui, à Hull, rue Principale (promenade du Portage).

       Lorsque s'ouvre la session du Parlement du Canada, le 26 mars 1874, la grande question est de savoir si Riel aura l'audace de venir occuper son siège à la Chambre des communes comme représentant de la circonscription électorale manitobaine de Provencher. Le 30 mars, Riel, accompagné du docteur Fiset, député de Rimouski, et de plusieurs compagnons agissant comme garde du corps, se rend au parlement pour prêter serment.

       Riel sait bien qu’il ne peut officiellement se présenter à la Chambre sans être arrêté par la police d’Ottawa. D'ailleurs, un certain Fred Davis a demandé l’émission d’un mandat d’arrestation à son encontre et une assemblée d’orangistes a lieu pour convoquer tous les « frères et amis » de l’Ontario. Sommé par la Chambre des communes de prendre son siège et d’expliquer sa conduite, Louis Riel évite sagement d’obtempérer à l’ordre pour le moins perfide.Louis Riel

       De plus, un député conservateur de l’Ontario, et grand-maître du fanatique ordre d’Orange, Mackenzie Bowell, présente une motion demandant l'expulsion immédiate du député Riel, absent de son siège. Les discours succèdent aux discours. Certains sont violents. Bien que Riel n'ait pas encore été trouvé coupable du crime dont on l’accuse et que le premier ministre John A. Macdonald ait promis l’amnistie aux membres du gouvernement provisoire du Manitoba, Riel, qui ne s'y trouve pas autrement qu'en esprit, est expulsé de la Chambre des communes par un vote de 123 voix contre 68 et le siège de Provencher déclaré vacant. Mgr Alexandre-Antonin Taché, évêque de Saint-Boniface, outré du comportement de Macdonald au sujet de ses promesses d'amnistie, écrit à un collègue : « Le Très honorable John A. Macdonald a menti (excusez le mot) comme ferait un voyou. »

      Recherché par les polices ontariennes qui, motivées par la haine plus que par la justice, ont juré de mettre la main sur le défenseur des Métis, mort ou vif, Riel change de cachette tous les jours ou presque pour brouiller les recherches et ne sort qu’accompagné d’une garde du corps composée de quelques patriotes dirigés par les Hullois Michel Navion et Damien Richer. Cela ne l’empêche toutefois pas d’assister à des séances de la Chambre des communes du haut de la galerie des spectateurs.

      Selon Adrien Moncion, contemporain de Louis Riel, ce dernier se rend au parlement presque tous les soirs « ...habillé comme un gentleman, le tuyau de castor sur la tête, la chaîne de montre au bedon, la canne à la main ; tantôt, il se déguisait en bon habitant, avec des habits râpés et des souiers de boeu aux pieds. » Sous différents déguisements, Riel nargue la police. On dit même qu’un certain soir, en sortant de la Chambre des communes, il a demandé une chique à un policier sans que celui-ci ne se doute un instant de l’identité de son interlocuteur.

Un réseau de complicités

      Le 7 avril, environ 500 francophones s’assemblent au village de Hull pour appuyer Riel. Une autre réunion a lieu en même temps à la Pointe-Gatineau. Jamais les policiers ontariens n’auraient pu arracher Louis Riel des mains de ces hommes parce que, d’après Adrien Moncion, « ...pour nos gâs (sic), se battre c’était comme aller aux noces. » La population est aux aguets et une centaine d’hommes se donnent le mot pour venir au secours de Riel au cas où on s’en prendrait à lui. Ils ont convenu de se rassembler à l’appel d’un certain Joseph Pariseau, gardien de la pompe à incendie, rue Duke (Leduc), à Hull.

         Mais les sbires orangistes ont flairé les traces de Riel et celui-ci convient qu’il vaut mieux quitter Hull. Accompagné d’Isaïe Richer et d’Adrien Moncion, Riel se rend à Angers, chez Xavier Moncion, père d’Adrien, où il reste environ deux semaines. Puis il revient dans la région de Hull. Il loge d’abord chez un certain Dumontier de la Pointe-Gatineau et ensuite chez Aldebert Quesnel qui demeurait rue Wellington, à Hull. Comme on peut le constater, Louis Riel bénéficie d’un réseau de complices bien organisé. Et ce réseau est non seulement composé d’amis, mais aussi de parents bien ancrés dans la région. En effet, une tante de Louis, Marie-Louise Riel – surnommée la Sauvagesse et aussi l’Ange gardien de la rivière (Lièvre) – qui a épousé Robert Richard McGregor en 1826 à Oka, a trois enfants et vit habituellement au lac McGregor.

         Riel retourne à la Pointe-Gatineau où sa tante, Marie-Louise Riel, lui a fixé un rendez-vous. Celle-ci, accompagnée de son petit-fils Régis McGregor, le conduit à Buckingham, probablement chez François Latour époux d’Élisabeth McGregor. Enfin, Louis Riel gagne Montréal où il loge chez sa tante Lucie Riel, épouse de John Lee, avant de partir pour Saint-Paul, au Minnesota, où il arrive le 19 mai 1874.

Les pendards

         De retour au Manitoba, Riel est réélu pour une troisième fois député de Provencher. Mais le gouvernement fédéral a proscrit le chef métis qui s’exile aux États-Unis où il y épouse une jeune métisse, Marguerite Monet dite Belhumeur. Rentré au Canada, Riel participe à rébellion des Métis et des Amérindiens de l’Ouest en 1885. Mais les rebelles sont défaits par les troupes canadiennes beaucoup plus nombreuses. Riel se rend alors à la police à cheval du Nord-Ouest.

         Louis Riel est jugé à Regina pour haute trahison et condamné à mort. La condamnation soulève un tollé de protestations presque partout au Québec, protestations auxquelles le premier ministre conservateur du Canada, John A. Macdonald, qui est favorable aux orangistes pour des raisons bassement électorales, aurait répondu : « Même si tous les chiens de la province de Québec aboient, Riel sera pendu. » Le 16 novembre 1885, Riel est pendu haut et court.

SOURCES :

Boutet, Edgar, Le bon vieux temps à Hull, tome 1, Hull, éd. Gauvin, 1971.
Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11.
Lalonde, Violet, Louis Riel, manuscrit dactylographié, incomplet, ANQ-O, P1000, D65.
Lapointe, Pierre-Louis, Buckingham, ville occupée, Hull, éd. Asticou, 1984.
Le Droit (Ottawa) 27 février et 13 mars 1924, témoignages de Florimond Desjardins et d’Adrien Moncion.
Ouimet, Raymond, Hull : Mémoire vive, Hull, éd. Vents d’Ouest, 1999.

Le français au Canada et l'inique Règlement XVII

Le français au Canada et l'inique Règlement XVII

Par Le 29/10/2014

         La lutte pour la conservation et l’enseignement du français au Canada n’a jamais cessé depuis l’Acte de l’Union en 1840. Aux premiers jours de la Confédération, le Free School Act établit en Nouvelle-Écosse l’école publique neutre et anglophone ; l’enseignement du français y est rigoureusement restreint. En 1871, le Common Schools Act supprime au Nouveau-Brunswick les écoles catholiques et bannit le français comme langue officielle. En 1877, c’est le Public School Act de l’Île-du-Prince-Édouard qui interdit le français dans les écoles de la province.

         En 1890, le gouvernement du Manitoba abolit les écoles séparées et interdit l’usage officiel de la langue française. En 1892, le Conseil des Territoires du Nord-Ouest abolit à son tour les écoles séparées. En 1905, en Saskatchewan, au cours élémentaire, une heure par jour est consacrée au français. En 1905, en Alberta, la loi scolaire ne permet l’usage du français comme langue d’enseignement que durant les première et deuxième années du cours primaire. En 1912, le Keewatin supprime les écoles confessionnelles et interdit l’enseignement du français. En 1916, le Manitoba supprime la langue française dans toutes les écoles primaires. En 1930, le premier ministre Anderson bannit le français des écoles de la Saskatchewan. C’est à croire qu’être francophone est incompatible avec la nationalité canadienne.

Le Règlement XVII

         En Ontario, la grande bataille contre le français commence en juin 1912 : le ministère de l’Instruction publique à Toronto, poussé par des fanatiques adversaires du français, édicte un règlement tristement célèbre connu sous le nom de Règlement XVII lequel mettait en vigueur une loi commune à toutes les écoles de l’Ontario, à savoir : « La langue de communication entre maîtres et élèves dans toutes les écoles de la province est la langue anglaise. »117296 grande assemblee protestation contre mgr On a vu, il y a quelques années, un règlement semblable être édicté dans les casinos de l’Ouest du pays : plus ça change, plus c’est pareil !

         Le premier ministre ontarien, un certain Whitney avait l’appui des fanatiques orangistes, des unilingues anglophones et du clergé catholique irlandais représenté par un certain évêque de triste mémoire, Mgr Fallon (oblat de Marie Immaculée), qui aurait même été le rédacteur du Règlement.

         Dans tout l’Ontario, mais surtout à Ottawa, c’est la stupeur suivie par une levée de boucliers. Dans la foulée du Règlement XVII, le Syndicat d’œuvres sociales, contrôlés à majorité par les Oblats de Marie-Immaculée, fonde (1913) le journal Le Droit dont la devise est : L’avenir est à ceux qui luttent. Le journal monte aux barricades pour dénoncer ceux qui osent s’acharner contre la langue française en Ontario. Cette même année, le gouvernement ontarien assouplit sa position : il permet que la lecture du français, la composition française et la grammaire française soient enseignées… en français, mais pas plus d’une heure par jour !

         Le 22 juin 1913, à Ottawa, a lieu une manifestation qui réunit de 7 000 personnes en faveur de la cause franco-ontarienne : les ténors québécois du nationalisme comme Olivar Asselin et Armand Lavergne viennent promettre l'appui de leur province. En même temps, le sénateur conservateur Landry demande en vain l'intervention du premier minisitre canadien Borden, tandis que le sénateur Thomas Chapais se fait dire par le premier ministre de l'Ontario que le Règlement XVII, règlement provincial ontarien, ne regarde pas les Québécois.

         La véritable lutte est commencée. L’Ottawa Citizen, particulièrement odieux, fustige ceux qui osent s’opposer à l’application du Règlement XVII. Au Québec, Olivar Asselin, président de la Société Saint-Jean-Baptiste, amasse, par le truchement du « sou de la pensée française » plus de 15 000  dollars qui sont versés à l’Association canadienne-française des enseignants de l’Ontario pour les soutenir dans leur lutte.

         Les Franco-ontariens font tant et si bien que le gouvernement a peine à appliquer son inique règlement. Des élections reportent au pouvoir le gouvernement Whitney, ce qui montre combien ses politiques étaient appuyées par les Ontariens. Au même moment, la chicane éclate entre les prêtres francophones et les prêtres irlandais dirigés par l’évêque de London, Mgr Fallon, qui sera suivi plus tard par le non moins odieux archevêque d’Edmonton, Mgr O’Leary. À noter que les Irlandais font partie d’une nation qui a, à toutes fins utiles, perdu... sa langue !

         En 1915, le gouvernement ontarien remplace la Commission des écoles séparées d’Ottawa par ce qu’on a appelé « La petite commission » chargée d’embaucher des instituteurs qui appliqueront le Règlement. S’ensuivent alors des batailles pour contrôler les écoles. Fallon et ses acolytes demandent l’arrestation du président de l’ancienne Commission scolaire, Samuel Genest, qui est obligé de se cacher. Au même moment, les autorités fédérales demandent aux Canadiens-Français d’aller combattre pour leur pays sur les champs de bataille d’Europe, un pays qui refuse de reconnaître leur langue !

         En 1916, les parents décident que les enfants reprendront leurs études à l’école Guigues qu’ils occupent après avoir chassé les institutrices Lafond, traîtres à leur peuple. Pour empêcher les autorités de reprendre l’école, les mères assurent la garde du bâtiment jour et nuit, armées d’aiguilles à chapeau ! Ces femmes, avec l’aide de leur mari, viendront à bout de 25 policiers envoyés pour reprendre l’école. Le 16 janvier, parents et enfants osent défiler dans les rues de la ville pour réclamer le respect de leurs droits. En vain !

         Ce n’est qu’au printemps 1927, que le gouvernement de l’Ontario abrogera le Règlement XVII. Cette victoire n’en sera pas véritablement une puisque les écoles dites françaises ne seront jamais aussi françaises que les écoles anglaises du Québec le sont. Ainsi, à l’Académie de La Salle, dans les années 1960, la majorité des manuels scolaires étaient rédigés en anglais.

         Le XXIe siècle est commencé depuis treize ans et nous, francophones, sommes toujours là. Nombreux, toutefois, ceux et celles qui compris que pour continuer de vivre en français en Amérique du Nord il n'y a qu'un endroit : le Québec. La preuve en est que la capitale fédérale, Ottawa, n'est toujours pas bilingue.

Sources :

25e anniversaire de l’Amicale Guigues, inc.
Lamoureux, Georgette, Histoire d’Ottawa 1900-1926, tome IV, Ottawa, 1984.
Nos Racines.

 

La grippe espagnole en Outaouais et à Ottawa

Par Le 10/10/2014

          Depuis plusieurs semaines, le coronavirus Covid-19 fait les manchettes des médias d’information du monde entier, car c’est là une maladie contagieuse qui peut être mortelle. Ce n’est pas la première fois, dans notre histoire qu’une maladie mortelle aura frappé notre continent. En 1918, c’est la grippe espagnole qui a fait des siennes en tuant entre 20 millions et 40 millions de personnes en 1918-1919. L’Outaouais n’a pas échappé à cette grippe.

          Le terme « grippe » vient du mot allemand grippen (saisir) et il a été introduit en Europe lors de l’épidémie de 1742. Il met en relief la soudaineté de l’affection. Les Italiens ont donné à cette maladie le nom d’influenza qui souligne l’influence du froid dans le déclenchement des épidémies. Les Anglo-Saxons l’ont adopté pour en faire l’abréviation flu. La grippe, qualifiée à tort d’espagnole, a pris naissance en Extrême-Orient. À l’automne de 1917, les Allemands l’ont signalé sur le front de l’est, en Russie, et en avril 1918 elle fait son apparition en Allemagne et en France. En mai suivant, elle frappe à Madrid au moment même où une grande affluence de personnes vient visiter la capitale espagnole et dans l'ouest des États-Unis.

          Le 18 septembre 1918, une nouvelle nous parvient des États-Unis à laquelle on n’accorde pas trop d’attention. Elle traite de nombreux cas de grippe circonscrits à l’intérieur des camps militaires. Le 23 septembre, on parle de marins américains morts sur leur navire, dans le port de Québec, et transportés à la morgue municipale sans que des précautions n’aient été prises pour pallier les dangers de la contagion. Dès le 22 septembre, la grippe a déjà fait un premier mort à Victoriaville en la personne de Lucien Deshaies, 17 ans, du 169, rue Saint-Patrick, à Ottawa.Grippe espagnole

          Dans l’Outaouais et l’Est ontarien, on signale les premières manifestations de la grippe espagnole à Ottawa, le 26 septembre, et à Hull vers le 1er octobre. Le 2 octobre, la ville d’Aylmer dénombre déjà cinq décès dus à l’épidémie. À Hull, comme ailleurs au Québec, on ne croit pas que l’épidémie de grippe puisse prendre des proportions extraordinaires. Le 7 octobre, le docteur Aubry déclare au journal Le Droit que la grippe espagnole : « [...] n’a généralement pas le caractère de gravité qu’on semble lui donner, si elle est bien traitée et si l’on prend les soins et le temps nécessaire afin d’arriver à la guérison complète [...] »

          La grippe se répand très rapidement. À Aylmer, les autorités dénombrent 500 cas de grippe et 14 décès. À Ottawa, les dirigeants municipaux ordonnent la fermeture des écoles et des théâtres dès le 5 octobre. Le village de Quyon compte 3 morts les 5 et 6 octobre. Le journal Le Droit du 2 octobre précédent fait état de 800 morts à Boston, dont 152 en 24 heures !

          Le 7 octobre, on compte déjà 700 cas de grippe en traitement à Hull. Les absences dans les écoles sont très élevées. À l’école Saint-Thomas-d’Aquin, une institutrice a signalé l’absence de 19 enfants de sa classe; les autres classes se trouvent dans le même état. Le 9 octobre, le Conseil municipal ordonne la fermeture des écoles de la ville.

Une mortalité en forte hausse

          Le 11 octobre, le Bureau de santé de la ville d’Ottawa signale l’apparition de 600 à 700 nouveaux cas de grippe espagnole et 14 décès au cours des deux derniers jours. La situation est telle que Mgr J. O. Routhier, administrateur du forte diocèse d’Ottawa, décide d’annuler tous les offices religieux dominicaux dans les églises de la capitale.

 Mort faucheuse         Des familles entières sont frappées par l’épidémie qui donne un surcroît de travail considérable aux médecins et aux pharmaciens. Ces derniers se plaignent de l’abondance des appels téléphoniques qu’ils reçoivent « à propos de tout et de rien ». « On oublie, a déclaré l’un d’eux, que nous avons actuellement quatre fois plus d’ouvrage qu’en temps ordinaire et on paraît s’être donné le mot pour nous faire faire de longues et nombreuses courses pour porter des petites commandes. Nous sommes fatigués par le surcroît nécessaire de travail [...] »

          Le 15 octobre, le Bureau de santé de Hull ordonne l’inhumation, dans les 24 heures suivant le décès, des corps des victimes de la grippe espagnole. Quatre jours plus tôt, on avait appris que la ville de Québec comptait 156 décès depuis le début du mois et qu’Ottawa dénombrait 4 341 cas de grippe. Du 15 au 22 octobre, cette dernière ville comptera 336 décès. À Hull, les choses ne vont guère mieux puisque du 13 au 19 octobre, on inscrit 53 décès dans les registres des cimetières catholiques de la ville.

          Le Droit du 25 octobre écrit qu’il est nécessaire « [...] que chacun reconnaisse la main de Dieu appesantie sur le monde entier et implore le Tout-Puissant d’éloigner l’épidémie. » Les oblats de Hull estiment, quant à eux, que c’est Dieu lui-même qui a envoyé ce terrible fléau au monde pour le châtier et n’hésitent pas à ajouter que ne pas le reconnaître serait pousser trop loin l’aveuglement.

          Dans l’ancienne ville de Hull, la grippe a causé près de 200 décès d'octobre 1918 à janvier 1919. Dans l’ensemble du Québec, 406 074 personnes ont été atteintes par la grippe et 13 139 en sont mortes. L’épidémie semble avoir touché un peu plus durement l’Outaouais que l’ensemble du Québec. Dans l’ancien comté d’Ottawa, 20,3 % (3,4 % en sont mortes) de la population a été touchée par la grippe contre 17,4 % dans la province. À Hull, c’est le groupe des 18-39 ans qui a été la cible privilégiée de l’épidémie avec 37,1 % des décès. En temps normal, ce groupe ne comptait pourtant que pour 6,5 % des décès. Et la très grande majorité de ces jeunes personnes demeuraient en quartier ouvrier. Chose intéressante, aucun médecin de la ville ni aucun prêtre, infirmière ou pharmacien n’a succombé à cette grippe.

Sources :

Annuaire statistique du Québec, 1918, 1919 et 1920.
Le Droit (Ottawa), septembre 1918 à mars 1919.
Le Spectateur (Hull), 1911 et 1912.
Registres des inhumations du cimetière Notre-Dame de Hull, 1900 à 1921.
Registre des inhumations du cimetière Très-Saint-Rédempteur de Hull, automne 1918.

 

Ces noms de rues controversés

Par Le 26/09/2014

         Au cours des dernières semaines, deux articles du journal Le Droit, écrit à la suite d'une plainte d'un citoyen gatinois ont semé un certain émoi dans la population. En effet, un conseiller municipal et un citoyen ont de la difficulté à accepter comme noms de rues ceux de Philipp-Lenard et d'Alexis-Carrel. En effet, ces deux personnages, bien que récipiendaires de prix Nobel, sont loin d'incarner des modèles de vie. Le premier, Lenard (1862-1947), d'origine austro-hongroise, a remporté le prix Nobel de physique en 1905. Mais il a été un nazi antisémite et idéologue de la physique aryenne dans les années 1930 et 1940. Le second est le Français Alexis Carrel (1873-1944) qui a obtenu le prix Nobel de médecine en 1912. Pétainiste, pronazi et antisémite, il a aussi fait la promotion de l'eugénisme, c'est-à-dire de l'élimination pure et simple d'humains qu'il estimait indésirables.

         La Ville de Gatineau devrait-elle faire remplacer ces noms de rues par d'autres noms plus acceptables aux yeux des citoyens ? Si elle décidait de le faire, il faudrait qu'elle en fasse disparaître d'autres pour les mêmes motifs ou pour des raisons tout aussi valables. Par exemple, le propriétaire de l'ancien journal hullois Le Spectateur, Ernest-Eugène Cinq-Mars (1873-1925), a commis quelques articles antisémites dans son journal au début du siècle passé. Et que dire des boulevard et parc Moussette ? Ils ont été nommés d'après l'ancien maire de Hull, Alphonse Moussette (1892-1952), lequel a été condamné en 1943 pour avoir protégé le vice commercialisé dans sa ville. Il y a aussi l'ancien maire de Hull Edmond-Stanislas Aubry (1860-1936), dont une place et une rue portent son nom. Il a été déchu de sa charge, en 1895, pour corruption.

Ces « grands » personnages

         Mais il n'y a pas que ces personnages qui ont une rue à leur nom sans l'avoir méritée. Certains de ceux-là ont fait ce qu'on appelle la « grande histoire » militaire ou politique et leurs noms apparaissent dans les dictionnaires. Pensons au général britannique Jeffrey Amherst (1717-1797) : il méprisait au plus haut point les Amérindiens. Devenu commandant en chef des troupes britanniques, il forme le plan ignoble d'exterminer les Amérindiens. En effet, dans sa correspondance avec le colonel Bouquet, un mercenaire suisse employé par les Britanniques, on trouve le dialogue suivant : « Ne pourrions-nous pas tenter de répandre la petite vérole parmi les tribus indiennes qui sont rebelles ? Il faut en cette occasion user de tous les moyens pour les réduire. »

– Je vais essayer, répond le colonel, de la répandre, grâce à des couvertures que nous trouverons le moyen de leur faire parvenir.

– Vous ferez bien de la répandre ainsi, dit le général, et d’user de tous autres procédés capables d'exterminer cette race répugnante.

         On peut ajouter à cette courte liste le nom de la reine Victoria (1819-1901). En effet, c'est sous son règne que le Royaume-Uni est devenu l'une desEnfant camp de concentration copie puissances les plus agressives du monde et que les Britanniques ont créé les premiers camps de concentration en Afrique du Sud. Ils y enfermaient les femmes, les vieillards et les enfants des Boers, et des membres de tribus indigènes alliées.

         Changer le nom d'une rue pour une autre parce que son titulaire n'a pas eu un comportement respectable n'est pas chose facile, car on sait souvent peu de choses sur les personnages que l'on honore. Et si nous nous mettions à fouiller dans la vie de toutes les personnes, nous trouverions sans doute beaucoup de choses qui nous scandaliseraient – combien de ces hommes glorifiés ont battu leur femme ? Mais ce qui scandalise aujourd'hui ne scandalisait pas nécessairement autrefois. Ainsi, devrait-on changer les toponymes qui portent le nom de Pierre-Elliot Trudeau (1919-2000), ancien premier ministre du Canada, parce que celui-ci a déjà été antisémite dans sa jeunesse et qu'il a déjà frappé son épouse ?

         Évidemment, un toponyme ça se change. En 1967, quand le général et président de la République française Charles de Gaulle a crié, au balcon de l’hôtel de ville de Montréal, « Vive le Québec libre ! », on a changé le nom de la rue qui portait son nom à Ottawa. Toutefois, on trouve de nos jours, dans la capitale fédérale, un… Amherst Crescent ! Cherchez l’erreur…

Sources :

Banque de toponymie de la Ville de Gatineau.
Le Droit (Gatineau-Ottawa), 17 septembre 2014. Article de Mathieu Bélanger.
LESTER, Normand, Le livre noir du Canada anglais, Montréal, Les Intouchables, 2001, p. 44 à 46.
Metro (Montréal), 20 avril 2010.
Nuit Blanche (Montréal), numéro 118, printemps 2010, http://72.10.139.201/AfficherPage.aspx?idMenu=0&idPage=347
Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Camp_de_concentration#mediaviewer/File:LizzieVanZyl.jpg

 

Cimetières de l'Outaouais

Cimetières de l'Outaouais

Par Le 09/09/2014

         Chaque année, en septembre, les cimetières de la région programment une cérémonie-souvenir. Autrefois, cette cérémonie attirait des milliers de personnes qui venaient se recueillir sur la tombe de parents et amis. Aujourd’hui, elle attire moins de monde et les cimetières sont peu fréquentés. Et pourtant, pour qui sait lire et sait voir, il y a là de belles choses à voir, des histoires à raconter.

          À l’entrée d’un cimetière, j’ai lu un jour : « Vous qui passez ici, priez Dieu pour les trépassés ; ce que vous êtes ils ont été, ce que sont, un jour serez[1]. » C’est au cimetière que l’on se rend compte que la vie a une fin et que personne n’échappe à la mort.

          En dépit du caractère définitif du cimetière, il y a beaucoup à voir dans une nécropole, et même de très belles choses. Dans les cimetières reposent toutes les peines, tous les espoirs et toutes les vanités du genre humain ; l’homme y perpétue l’image qu’il se fait de lui. Fidèle reflet de nos villes, le cimetière immortalise l’individu, mais aussi sa classe sociale et parfois son appartenance ethnique. On trouve là des stèles de toutes les époques de notre histoire locale, des pierres qui marquent les lieux de sépulture d’illustres personnages d’autrefois, des croix de fer si rouillées qu’on n’y distingue plus les noms qui y ont été gravés jadis et, bien souvent, une fosse commune où on y ensevelit les sans-le-sou, les plus humbles de notre société ou les pendus, et les individus non identifiés.

          Longtemps, les morts ont été inhumés dans un cimetière qui était situé tout autour de l’église. Sainte-Rose-de-LimaÀ cause de la communion qui unit tous les fidèles, l’Église désirait que les morts demeurent près des vivants. Les « meilleures places » étaient celles qui entouraient le mur de l’église, car elles « reçoivent la pluie du ciel qui a dégouliné sur le toit d’un édifice béni… »

          On a aussi longtemps inhumé dans les églises. La tradition veut que les plus pieux (ou les plus riches ou encore les plus puissants) soient enterrés le plus près possible du chœur et ainsi de suite par cercles concentriques jusqu’aux limites du cimetière.

          Le silence de la mort n’a pas toujours été le seul attribut des cimetières. Adjacents aux églises, les cimetières avaient, au moyen-âge, un droit de franchise et d’immunité. Ainsi, plus d’un délinquant y vivait de longues années pour échapper au châtiment des autorités (voir à ce sujet La Chambre des dames de Jeanne Bourrin) en vaquant à leurs activités de travail ou de loisirs. Les proscrits y tenaient donc des échoppes ; des foires et même des marchés saisonniers s’y tenaient épisodiquement.

Les cimetières de l'Outaouais

          Nos cimetières regorgent d’art et d’histoire et pourtant nous les visitons si peu. Dans celui de Montebello, le calvaire est l’œuvre du réputé sculpteur sur bois Louis Jobin (1845-1928) dont l’atelier était situé à Sainte-Anne-de-Beaupré. Le Calvaire est composé de trois personnages : un Christ en croix, la Vierge et Marie-Madeleine. Jobin a aussi sculpté une Sainte-Anne en compagnie de sa fille Marie.

          On trouve encore dans nos cimetières le souvenir de nombreux personnages de notre histoire. Ainsi, dans le cimetière de St. James, boulevard Taché, à Hull, se dresse fièrement, dans un enclos borné par des clôtures de fer, un obélisque de granit rose qui indique le lieu de sépulture des fondateurs de Hull, Philemon Wright, et son épouse, Abigail Wyman. L’obélisque est entouré de monuments plus petits qui marquent les tombes de ses nombreux descendants. L’escalier de pierre qui mène à la sépulture de la famille William Francis Scott, ancien maire de Hull, est envahi par des pousses d’arbres et d’arbustes.

          Boulevard Fournier, à Hull, se trouve le  cimetière Notre-Dame d’une superficie de 13 hectares. On a commencé à y enterrer les morts en 1872 et de 1886 aux années 1930, on y aurait recueilli plus de 45 000 dépouilles ! Le portail d’entrée en pierre taillée a été construit en 1902 d’après les plans de l’architecte hullois, Charles Brodeur. Il est surmonté d’une statue de l’Ange de la mort sonnant la trompette du jugement dernier. Fabriquée en cuivre martelé, la statue a été réalisée par le sculpteur québécois Arthur Vincent (1852-1903) dont c’est la dernière œuvre d’importance.

Portail cimetiere notre dame          De nombreuses personnalités sont inhumées au cimetière Notre-Dame de Hull. Parmi celles de stature nationale, notons la comédienne, auteure et critique Laurette Larocque, mieux connue sous le nom de Jean Despréz (1906-1965), et le fondateur du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), Marcel Chaput (1918-1991). Parmi les personnalités locales, notons le père Louis-Étienne Reboul (1827-1877), fondateur de la paroisse de Hull ; l’acteur et metteur en scène René Provost (1903-1966), père du comédien Guy Provost ; la pianiste et poétesse Clara Lanctôt (1886-1958) ; l’allumettière Donalda Charron (1886-1967) qui a dirigé la fameuse grève des « faiseuses d’allumettes » de la E.B. Eddy en 1924 ; Marcelline Dumais (1850-1916), propriétaire de la maison où a commencé le Grand feu de Hull en 1900, le peintre Jean Alie (1925-1997), etc. Le plus beau cimetière de la région est sans doute le Beechwood. On y trouve un monument au Parti communiste du Canada (ML) preuve que le communisme est bien mort !

          Chacun des cimetières de la région a ses particularités et ses célébrités. À Aylmer, le cimetière Saint-Paul est un véritable jardin public de 4,5 hectares. Créé en 1840, il invite les promeneurs à retrouver l’ancienne coutume de visiter ses morts. Dans le cimetière catholique de Buckingham se trouve la tombe de deux syndicalistes assassinés le 8 octobre 1906 par les sbires de la MacLaren : Thomas Bélanger et François Thériault. À Bryson (Pontiac), une pierre noire en forme deux cœurs enlacés rappelle le souvenir de la famille... Jolicoeur !

          Il n’y a pas que les grands cimetières, il y en a aussi des petits : dans le West Templeton Cemetery, chemin du rang 3 (sur le bord de l’autoroute 50), reposent les restes de quelques familles d’origine écossaise et plus particulièrement la famille Kerr. Route 148, près du Cheval blanc, se trouve un cimetière privé où sont inhumés les membres de la famille Dunning. Et rue de l’Épée, à Gatineau, on trouve un tout petit cimetière abandonné dans lequel il y a trois ou quatre monuments, pour la plupart renversées, soit celles des Barber, Davidson et Langford. À Papineauville, se trouve le monument de Benjamin Papineau, en son temps premier ministre du Canada-Uni.

          Il y a aussi en Outaouais une chapelle funéraire privée, celle des Papineau. Construite en 1855 à Montebello, on y a inhumé non seulement le patriote Louis-Joseph Papineau et plusieurs de ses enfants, mais aussi son épouse, Julie, qui a fait l’objet d’une biographie et d’un roman à succès, ce dernier intitulé : Le roman de Julie Papineau.

POUR EN SAVOIR PLUS

Cimetière Barber :  https://sites.google.com/site/cimetierefamilialbarber/ 
Jardins du souvenir : http://lesjardinsdusouvenir.com/

SOURCES

Documentation personnelle.
GAGNON, Serge, Mourir hier et aujourd'hui, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1987.
MÉTAYER, Christine, Au tombeau des secrets, Paris, éd. Albin Michel, 2000.


 

[1] Montfort-l'Amaury, Yvelines, France.

L'incendie de l'église Notre-Dame-de-Grâce de Hull.

L'incendie de l'église Notre-Dame de Hull : accident ou crime ?

Par Le 30/08/2014

          Il y avait, autrefois à Gatineau, dans le secteur Hull, aux intersections des rues Victoria, Laurier et Notre-Dame-de-l'Île, une splendide église appelée Notre-Dame-de-Grâce. C’était la troisième église construite dans ce quadrilatère. La première, dite chapelle de chantiers, avait été érigée en juin 1846 et était dédiée à Notre-Dame-de-Bonsecours. Transformée en école paroissiale en 1869, elle est détruite en 1873 à la suite d'un incendie. En 1868, on a commencé la construction du deuxième temple, une vaste église en pierre, qu'un incendie détruira le 5 juin 1888  dans la conflagration du « feu du marché ».Hull notre dame 1888 copie 1

          Construite de 1888 à 1892, la nouvelle et dernière église a été inaugurée le 25 décembre 1892. De style romano-byzantin, elle mesurait 58 mètres de long et son clocher culminait à 79 mètres. Cette église, qui pouvait contenir par moins de 3 100 personnes dont 1 134 au sous-sol, avait un maître-autel surmonté d’une gigantesque statue de Notre-Dame-de-Grâce, qui tenait dans ses bras l’Enfant-Jésus, fichée dans une niche bleu ciel et encadrée par deux archanges dorés. Un extra-terrestre qui serait entré dans cette église aurait conclu que les Hullois avaient pour principale divinité une femme. Il faut se rappeler que la paroisse Notre-Dame-de-Grâce était dirigée par les Oblats de Marie-Immaculée (O.M.I.), un ordre religieux consacré à la mère de Jésus.

Incendie accidentel ou criminel ?

          Le dimanche 12 septembre 1971, vers 5 heures 30, le curé Gilles Hébert appelle les pompiers parce qu’il a vu de la fumée s’échapper de l’extrémité du clocher, plus précisément du socle sur lequel reposait la croix lumineuse. Il communique de suite avec l’employé de la paroisse qui se rend aussitôt sur les lieux. Ce dernier veut monter au clocher, convaincu en tant qu’électricien il peut éviter le déclenchement d’un incendie sérieux. Mais le directeur du Service des incendies le lui interdit. Le directeur, accompagné d’un de ses hommes, s’aventure alors à l’intérieur du clocher, qui abrite de grosses cloches, pour repérer la source de la fumée. Cet à ce moment-là que les flammes jaillissent de la flèche du clocher qui, en quelques minutes, est transformée en torche.

 Ndg feu         Montés dans l’échelle de 30 mètres, les pompiers constatent vite que les jets d’eau ne peuvent atteindre la flèche du clocher, trop haute (je rappelle que le clocher culminait à 79 mètres au-dessus de la rue). Pire encore, à cause de travaux, rue Champlain, la pression de l’aqueduc – un problème récurrent à Hull – était réduite. Vers 7 heures 30, le clocher et ses quatre cloches, qui pèsent ensemble quatre tonnes, s’effondrent, dans un énorme fracas, partie sur le toit de l’église, partie sur la pelouse du bâtiment. Les flammes s’attaquent ensuite à la structure de bois du toit et aux pièces de cuivre qui le recouvre. Les trois lustres qui pendent au-dessus de la nef se détachent de la voûte et s’effondrent dans l’allée centrale. Mais la voûte et l’intérieur de l’église résistent aux flammes et bien que sérieusement endommagée, l’église n’est pas irréparable.

            Toutes sortes de rumeurs ont circulé sur la cause de l’incendie de l’église Notre-Dame-de-Grâce et la plus persistante veut que l’incendie ait eu une origine criminelle. En effet, moins d’un an plus tôt, l’hôtel de ville avait brûlé dans un incendie aux causes si nébuleuses que des fonctionnaires ont cru que la Gendarmerie royale du Canada n'y était pas étrangère : des policiers avaient déjà allumé des incendies, ailleurs au Québec, dans le cadre de la lutte contre le Front de la libération du Québec. Et puis, le député provincial du comté de Hull, Oswald Parent, avait voué le Vieux-Hull à la destruction… Puis trois jours après l’incendie, le curé Hébert, sans doute aiguillé par son conseil provincial, déclarait : « […] est-ce important de reconstruire un édifice de cette envergure sur ce terrain ? » Ainsi a commencé cette rumeur d'incendie criminel.

            Des gens ont même témoigné avoir vu un homme marcher sur la toiture de l'église, peu avant l'incendie, après être sorti du clocher de l'église ce qui était impossible. En effet, la pente de la toiture était trop glissante et trop raide pour pouvoir s'y aventurer en marchant.  Cela dit, il a été démontré que l’incendie était d’origine électrique. Un mois avant le feu, un témoin avait remarqué que la croix du clocher n’avait pas sa luminosité habituelle. Et un soir ou deux précédant l’incendie, un employé de la paroisse s’était aperçu que les lumières de la croix étaient éteintes. Il s’était dit qu’il irait voir ce qui n’allait pas dès qu’il en aurait le temps.

La démolition

            « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage », prétend un vieux dicton. Ainsi, en février 1972, l’éditorialiste du journal Le Droit, un quotidien alors propriété de la communauté des O.M.I., Claude Saint-Laurent, écrit avec mépris : « Il convient de souligner ici que l’architecture de cet édifice n’impressionne personne et que son seul mérite, ou à peu près, est de représenter un type de construction populaire au XIXe siècle au Québec. »Eglise notre dame

            Bien sûr, la Ville de Hull et la Société historique de l’ouest du Québec se sont opposées à la démolition du temple parce qu’elles reconnaissaient sa valeur historique et patrimoniale. Même le député a cherché à préserver l'immeuble religieux. Mais la paroisse était en voie de disparition, et ce, pour deux raisons : non seulement la pratique religieuse diminuait-elle à un rythme qui s’accélérait, mais de nombreuses expropriations de maisons étaient en cours à Hull. Déjà, une partie du quartier situé autour de la rue Hôtel-de-Ville avait été démolie pour être remplacée par les immeubles Jos-Montferrand, Place d’Accueil et Place du Portage. On avait aussi commencé à exproprier tout le côté ouest de la rue Maisonneuve et le côté sud de la rue Saint-Laurent (des Allumettières). Ainsi, les Oblats ont-ils constaté, avec raison, que la paroisse n’aurait bientôt plus assez de paroissiens pour défrayer les coûts d’entretien d’une église aussi vaste. En 1972, l'église tant aimée succombe sous le pic des démolisseurs. Ses objets de culte et artistiques sont dispersés aux quatre vents : la lampe du sanctuaire se trouve maintenant dans l'église de Montebello.

            Avec la destruction des lieux de mémoire identitaires tels l’hôtel de ville, l’église Notre-Dame-de-Grâce et le palais de justice, la ville de Hull a amorcé, au début des années 1970, un déclin qui l’a conduite, trente ans plus tard, à sa disparition, et ce, parce qu’une ville sans mémoire est une ville sans avenir pour ses citoyens.

Sources :

Archives de la Ville de Gatineau.
Documentation personnelle.
Le Droit (Ottawa), septembre 1971, février 1972.
OUIMET, Raymond, Une ville en flammes, Hull, éd. Vents-d'Ouest, 1994.

 

Un bilan de la Grande Guerre

Par Le 16/08/2014

La guerre, la guerre, c’est pas une raison pour se faire mal !
La guerre des tuques

Si j’aurais su, j’aurais pas venu.
La guerre des boutons

Ah ! Si les morts de cette guerre pouvaient sortir de leur tombe,
 comme ils briseraient ces monuments d'hypocrite pitié,
car ceux qui les y élèvent les ont sacrifiés sans pitié !
Louis Barthas

          Quand la Grande Guerre commence à l’été de 1914, soldats et militaires de hauts rangs sont convaincus qu’ils seront de retour à la maison pour Noël. Et on croit que les armées remporteront des batailles avec des charges de cavalerie dignes de celles des armées napoléoniennes. Mais la guerre a changé. Or, il appert que les généraux européens n’ont retenu aucun enseignement de la guerre civile des États-Unis (1861-1865) qui a fait pas moins de 620 000 morts. La mitrailleuse de 1865 ne tirait guère plus de 300 coups à la minute et n’était pas du tout fiable,Affiche 1914 tandis que celle de 1914 en tire pas moins de 700 à la minute. Pendant que le canon de 1865 tirait au plus 8 coups à la minute, celui de 1914 en tire 20. À la mitrailleuse, la Grande Guerre ajoute la mitraillette, les chars d’assaut, les gaz asphyxiants, les lance-flammes, les canons qui tirent à très longue distance des obus énormes, les ballons dirigeables et les avions qui bombardent et mitraillent les villes, etc. La Grande Guerre aura été un déluge d’acier et de fer ainsi qu'un vaste de champ de souffrances.

          Les pertes sont si énormes que dans les premiers mois on cache à la population la vérité sur le nombre de morts dans les batailles. Pas étonnant quand on sait que juste pour les mois d’août et septembre 1914, les armées françaises perdent 313 000 hommes (morts, disparus et prisonniers). À vrai dire, les généraux de cette époque sont peu soucieux de la vie de leurs hommes. Le maréchal Ferdinand Foch est partisan de l’offensive à outrance qui entraîne de lourdes pertes pour l’armée française. Le général Douglas Haig se voit surnommer « Boucher de la Somme » par ses hommes. Les hommes politiques canadiens, comme ceux gouvernements alliés, envoient, sans état d’âme, ses citoyens, ses soldats au sacrifice. Ainsi, le 15 septembre 1916 à Courcelette, le Royal 22e bataillon, seule unité francophone canadienne, perd pas moins de 806 hommes sur un total de 930 après avoir grappillé quelques mètres à l’ennemi.

Bilan statistique

          Voici donc le triste bilan statistique de la Grande Guerre tiré des recherches les plus récentes en ce domaine.

Hommes mobilisés :                             65 millions
Soldats morts :                                       9,7 millions (dont 64 944 Canadiens)
Soldats disparus/prisonniers :                8,9 millions
Soldats blessés :                                  +21 millions
Gueules cassées :                                  300 000
Invalides :                                                6,5 millions
Civils tués                                                9 millions (dont 2 000 Canadiens)
Veuves :                                                  4 millions
Orphelins :                                              8 millions
Nombre de chevaux tués :                   ±10 millions
Avions fabriqués :                                   60 000
Obus tirés :                                           +1 milliard
Habitations détruites :                             300 000 (France et Belgique)
Usines détruites :                                      20 000 (France et Belgique)
Coût des destructions :                         110 milliards $ ($ de 1918)
Coût de la guerre :                                300 milliards $ ($ de 1918)
Empires effondrés :                             4

          Les conséquences de la Grande Guerre, outre les souffrances humaines, auront été gigantesques et se font encore sentir de nos jours : effondrement et disparition des empires allemand, austro-hongrois, ottoman (dépecé) et russe ; apparition de nouveaux États (Estonie, Finlande, Lituanie, Lettonie, Pologne, Tchécoslovaquie, Turquie, Ukraine et 22e bataillon 1915Yougoslavie) ; révolution en Russie et coup d’État des communistes qui s’y emparent du pouvoir ; perte de la prééminence de l’Europe dans le monde au profit des États-Unis d’Amérique ; prise de pouvoir des fascistes en Italie et des nazis en Allemagne ; déficit de naissance de 20 millions d’enfants ;  partage du Moyen-Orient entre Britanniques et  Français avec l'accord Picot-Sykes en 1916 ; trahison des Britanniques à l’endroit de leurs alliés Arabes** avec la déclaration Balfour qui annonce que la Grande-Bretagne est favorable à la création d’un foyer national juif en Palestine ; endettement de l’Europe au profit des États-Unis.

          La Grande Guerre aura été une boucherie bien inutile et coûteuse. L’historien américain de l’économie, E. L. Bogart, a estimé, en 1919, que le coût du conflit, pour chacun des belligérants européens, avait été quatre fois supérieur à leurs PIB respectifs de 1913. Et puis, vingt et un ans après sa conclusion, une Seconde Guerre mondiale a éclaté et met en cause les mêmes belligérants que ceux de 14-18 (bien que l’Italie ait changé de camp). Elle fera encore plus de victimes que la Première.

Notes :

* Mutilés du visage
** Les Arabes avaient aidé les Britanniques à conquérir la Palestine en échange de la promesse de la création d’un grand royaume arabe unitaire au Moyen-Orient qui aurait compris la Palestine.

Sources :

Apocalypse : la 1ère Guerre mondiale (TV5).
Le Devoir (Montréal), 16 mai 2014, page B1.
Enseigner la Première Guerre mondiale, site Internet http://www.cndp.fr/crdp-reims/memoire/bac/1GM/sujets/europe_1918.htm
Hérodote.net
Historia, mars 2014, no 807.
Musée de la Grande Guerre, Meaux, France.
La Presse (Montréal), 28 juin 1914.

 

1914 : la Grande Guerre, les Canadiens français et l'Outaouais

Par Le 28/07/2014

          À la suite de l’assassinat de l’archiduc Joseph Ferdinand de Habsbourg et de sa femme, Sophie, le 28 juin 1914 à Sarajevo (voir texte intitulé : Il y a 100 ans : l'attentat qui déclencha la Grande Guerre), l’Autriche-Hongrie sert, le 23 juillet, avec l’accord de l’Allemagne, un ultimatum en dix points à la Serbie avec l’obligation de donner une réponse favorable au plus tard le 26 juillet. Celle-ci, appuyée de la Russie, répond favorablement à l’ultimatum, le 25 juillet, sauf pour un point qui précise que les enquêteurs austro-hongrois pourront enquêter sur le territoire Serbe.

          Le 24 juillet la Russie, qui se fait protectrice des populations slaves d’Europe, avait ordonné la mobilisation générale d’une partie de son armée dans le but de faire pression sur l’Autriche-Hongrie. Le 25 juillet l’Autriche-Hongrie, encouragée par les militaires allemands, rompt ses relations diplomatiques avec la Serbie, puis lui déclare la guerre le 28 juillet 1914. Ce même jour, un volontaire de 16 ans de l’armée serbe, Dŭsan Donovic, est tué à Belgrade par un coup de fusil tiré d’un vaisseau de la flotte austro-hongrois du Danube.

          Europe1914

          La France, alliée de la Russie (et du Royaume-Uni), ordonne à ses troupes de se retirer à 10 kilomètres des frontières avec l’Allemagne en vue de faire baisser la tension. Le 30 juillet, la Russie ordonne à son armée la mobilisation générale. Inquiète, l’Allemagne qui a peur d’être prise en tenaille par la Russie et la France, proclame « l’état de danger de guerre » et demande à la Russie, qui refuse, de suspendre la mobilisation, et à la France de ne pas soutenir la Russie. À la suite de la réponse négative de la Russie, l’Allemagne lui déclare la guerre le 1er août. La France décrète alors la mobilisation générale. Le 2 août, l’Allemagne, qui a signé une entente avec l’Empire ottoman, envahit le Luxembourg, adresse un ultimatum à la Belgique, dans lequel elle réclame le passage libre de ses troupes, et un autre ultimatum à la France qui réclame sa neutralité. Devant les fins de non-recevoir des Belges et des Français, l’Allemagne leur déclare la guerre le 3 août. Les dés sont jetés : 19 millions d’hommes, de femmes et d’enfants, dont 65 mille Canadiens, perdront la vie à cause du bellicisme des militaires de l’époque dans une guerre qui durera 4 longues années.

Le Canada français et la guerre

          Dès que l’Allemagne procède à l’invasion de la Belgique, le Royaume-Uni, qui se tenait garant de la neutralité du petit royaume, déclare la guerre à l’Allemagne. Le Canada, alors colonie de l’Angleterre, entre automatiquement en guerre. Les journaux du pays rapportent que la population est enthousiaste à la participation du Canada à la guerre qui ne compte alors que 3 000 soldats. Tous les belligérants croient que le conflit s’achèvera avant Noël. Erreur !

          Ledroit19140804Le journal Le Temps d’Ottawa, favorable à la participation des Canadiens à la guerre écrit, le 5 août : « Le Canada doit envoyer de l’aide à la Grande-Bretagne et un important contingent d’hommes […] » Ce même journal rapporte, dans une autre page, qu’au-delà de 500 jeunes hommes de Hull « […] ont montré le plus grand enthousiasme […] » à la participation du pays à la guerre au cours d’une manifestation dans la cour du collège Notre-Dame.

          Le journal Le Droit est beaucoup moins enthousiaste que son concurrent ottavien. Le 5 août, il écrit :

Et pourquoi les Canadiens français iraient-ils exposer leur vie pour la gloire du peuple anglais ?

Pour prouver notre loyauté à la couronne britannique ?

Nous avons prouvé cette loyauté hors de tout doute en 1775, en 1812 et en 1813. Nous en a-t-on tenu compte ?

À ces époques mémorables, nous avons, nous les Canadiens français, sauvé l’honneur du drapeau anglais, nous avons conservé le Canada à la couronne britannique, et depuis, au nom de cette même couronne, les Anglais n’ont cessé de nous persécuter et de vouloir arracher de nos cœurs les plus nobles sentiments. Ils ont voulu nous étouffer dans les provinces Maritimes (sic), au Manitoba, dans les Provinces (sic) de l’Ouest, et voilà que les forces les plus formidables des Anglais en ce pays coalisent pour empêcher 250,000 Canadiens français de l’Ontario de conserver dans leurs foyers leur langue maternelle…

          Le journal Le Temps, favorable à la participation des francophones à cette guerre, répond au journal Le Droit, le 6 août :

À côté de cette prose écœurante, nous avons heureusement le plaisir de lire dans d’autres journaux des phrases qui réflètent (sic) la véritable âme canadienne-française qui puise son patriotisme dans ses attaches françaises et dans sa loyauté à l’Angleterre.

          Le journal Le Temps n’était probablement pas au diapason des ses lecteurs, car il disparaît avant la fin de la Grande Guerre. Quant à la population francophone, elle sera en majorité rébarbative à l’enrôlement militaire des siens dans cette guerre qui n’était pas la sienne et dans laquelle elle n’avait rien à gagner.

Sources :

DUROSELLE, Jean-Baptiste, La Grande Guerre des Français 1914-1918, Paris, éd. Perrin, 2002.
Le Devoir (Montréal) 28 juillet 2014.
Le Droit (Ottawa) 5 août 1914.
Le Temps (Ottawa), 5 et 6 août 1914.
PÉPIN, Carl, La guerre des Canadiens-Français dans Revue historique des armées sur le site Internet http://rha.revues.org/7426#tocto1n1

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